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Bosch : un accord illégal ?

Publie le lundi 2 août 2004 par Open-Publishing

de Lucy Bateman

L’établissement Bosch de Vénissieux entend faire travailler ses salariés 36 heures payées 35, sous la menace de licenciements. Un juriste expertise l’accord et rappelle que l’employeur ne peut aménager à sa sauce les règles impératives qui protègent les salariés.

Attention aux expérimentations sauvages. Les entreprises qui ont décidé ces derniers mois de revenir à la hussarde sur les 35 heures risquent de se faire taper sur les doigts par les juges. Quand les syndicats seront sortis de la stupeur dans laquelle les a plongés l’offensive médiatique en faveur de la remise en cause des 35 heures (" la fin d’un tabou ! " " travailler plus pour gagner plus ! "), ils pourraient trouver dans ces dispositifs de quoi alimenter quelques procès. Seb, Doux, Cattinair, Bosch, INA, Solectron, bientôt Arcelor ou EADS : plusieurs entreprises profitent du climat anti-35 heures du gouvernement et du MEDEF, et de la situation catastrophique de l’emploi, pour revenir sur la réduction du temps de travail. Pas très subtilement, comme le montre l’exemple de l’accord Avenir Vénissieux signé au printemps chez l’équipementier automobile Bosch : négocié sous la pression d’un chantage à l’emploi, il impose, entre autres révisions des droits des salariés, une hausse gratuite du temps de travail. Les salariés étaient appelés début juillet à accepter ces modifications de leurs contrats, le refus étant sanctionné par un licenciement pour motif économique.

Le juriste en droit social Michel Miné s’est livré à l’expertise de l’accord d’établissement de l’équipementier (lire page suivante). Il en ressort, estime-t-il, que les syndicats non signataires (CGT, FO) pourront utilement faire un tour devant le juge pour demander l’annulation de l’accord, ou l’interdiction pour l’employeur de mettre en oeuvre les modifications de contrats, voire sa condamnation pour travail dissimulé.

Dans la droite ligne du rapport Virville sur le droit du travail ou des préconisations du MEDEF, les rédacteurs de l’accord Bosch ont, semble-t-il, ignoré les règles qui régissent les heures supplémentaires ou le rapport entre les différents niveaux de négociation. L’article 6 de l’accord limite par exemple dans le temps le recours au juge. C’est illégal. Mais cohérent avec la volonté patronale qui veut voir la négociation dessaisir le salarié de son droit d’accès à la justice, et l’employeur rester le seul juge des contrats qu’il impose dans l’entreprise.

" Le patronat livre ici une bataille plus idéologique qu’économique dans l’entreprise, qui devient une arène politique ", prévient Daniel Sanchez, secrétaire général de la fédération CGT de la métallurgie, qui annonçait la semaine dernière une journée d’action le 21 octobre sur le sujet. Et de rappeler que " la rémunération moyenne des ouvriers P 1 (ouvriers qualifiés - NDLR) chez Bosch avoisine les 1 300 euros avec dix ans d’ancienneté, une prime d’équipe et une prime de rendement ". L’offensive contre les 35 heures est menée au nom de la croissance ou de la compétitivité. Le fameux " coût du travail ", dont le poids insupportable paralyserait les entreprises françaises ? Les salariés français sont parmi les " moins chers " d’Europe, loin devant les Allemands et les Anglais, et leur productivité horaire est bien supérieure à la moyenne européenne. La rigidité imposée par les 35 heures ? Les lois Aubry, en plus de l’échange RTT contre baisses de cotisations patronales, contenaient des possibilités de modulation et d’annualisation que les entreprises, dans la métallurgie en particulier, ont utilisées à plein. La loi Fillon sur les 35 heures, début 2003, a encore assoupli le dispositif, en faisant passer de 130 à 180 heures le contingent annuel d’heures supplémentaires qu’un accord collectif peut décider de ne majorer que de 10 %, des dispositions jusqu’ici boudées par les branches.

Bref, on ne voit pas trop ce que pourrait ajouter le ministre du Travail Gérard Larcher qui doit ouvrir fin août une concertation avec les syndicats et le patronat sur les 35 heures afin de les " assouplir " davantage. Les 35 heures ne seraient donc qu’un prétexte, dans des branches (la construction automobile ou l’agroalimentaire avec Doux) où l’organisation du travail a tiré tout ce qu’elle pouvait des capacités d’adaptation des salariés, et où il ne reste plus qu’à les faire travailler moins cher pour gagner en productivité. Représentant syndical CGT au CE de Vénissieux et au comité de groupe européen de Bosch, Mohamed Brahmi affirme que les fameux 12 millions d’euros d’investissements promis par l’accord Avenir Vénissieux en échange du passage à 36 heures (" machines, outillages et équipements " pour la " fabrication de pompes haute pression ") étaient prévus de longue date : un nouveau système de nettoyage de l’air nécessaire au montage sous vide de cette pompe a ainsi été installé " depuis deux ans " tandis que des cadres ont été formés à cette nouvelle fabrication bien avant le début des négociations sur la remise en cause des 35 heures dans l’établissement. Le syndicaliste assure qu’il " y a du travail chez Bosch à Vénissieux ", que l’usine va " monter en cadence " à partir de 2005. " Bosch France veut simplement faire un résultat net de 7 % du chiffre d’affaires contre 5 % aujourd’hui, en baissant le coût du travail comme le font beaucoup d’entreprises aujourd’hui. "

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-02/2004-08-02-398217