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Brésil : La politique gouvernementale critiquée par des intellectuels

Publie le dimanche 4 janvier 2004 par Open-Publishing

Chico de Oliveira, un des fondateurs du Parti des travailleurs, critique "le
renoncement aux réformes".

Sao Paulo de notre envoyé spécial

Professeur retraité de l’université de Sao Paulo, Francisco de Oliveira, 70
ans, a occupé deux fois le devant de la scène politique durant l’année 2003.
D’abord, la réédition de son ouvrage sur l’économie brésilienne, Critique de
la raison dualiste, a été enrichie d’un texte qui a alimenté la polémique
sur les orientations du Parti des travailleurs (PT) du président Luiz Inacio
Lula da Silva. L’auteur y cerne la mutation des militants en gestionnaires
de fonds de pension ou d’entreprises publiques. Champion du monde des
inégalités, le Brésil est une sorte d’hybride, qu’il compare à
l’ornithorynque.

Ensuite, la Folha de Sao Paulo du 14 décembre a rendu publique sa lettre de
démission du PT, dénonçant "son embourgeoisement ou vieillissement précoce".
De Oliveira n’est pas seul à claquer la porte. Alors que la direction du PT
a exclu, le 15 décembre, quatre parlementaires dissidents, les départs
volontaires sont bien plus nombreux, notamment chez les intellectuels.

Familièrement appelé Chico de Oliveira, le professeur reçoit dans son
bureau, une petite maison de Vila Romana, modeste quartier de Sao Paulo. Les
étiquettes des étagères, remplies d’ouvrages d’économie, de sociologie ou de
littérature, réservent une place particulière à Celso Furtado, fameux
théoricien du développement. Né à Recife, Chico de Oliveira l’a secondé dans
l’organisme de développement du Nordeste créé en 1959 sous la présidence de
Juscelino Kubitschek, la Sudene, qui vient de renaître de ses cendres. "A
pied ou en voiture, j’ai parcouru tout le Nordeste, raconte Chico de
Oliveira. J’ai vu un homme à peine sorti de l’âge de pierre, portant juste
un cache-sexe et un poinçon taillé dans l’os d’un animal."

Chico de Oliveira compte parmi les fondateurs et maîtres à penser du PT.
Avant le coup d’Etat de 1964, il avait milité dans le Parti socialiste
brésilien. "Je suis réformiste depuis que j’étais petit, assure cet homme à
l’ironie subtile. Je ne critique pas le PT parce qu’il ferait du réformisme,
mais parce qu’il a renoncé à en faire. A mesure qu’il s’ancrait dans les
institutions, le PT s’est bureaucratisé. Le tournant de la campagne
électorale de 2002, la "Lettre au peuple brésilien" de Lula, n’a pas été
discuté et approuvé par un congrès", critique le démissionnaire.

"Le PT est arrivé à la présidence de la République avec une faible
expérience administrative : 200 municipalités (sur 5 500) et le gouvernement
d’un seul Etat digne de ce nom, le Rio Grande do Sul, dit l’économiste.
Juste avant la présidentielle, le PT s’est allié au Parti libéral, une
coquille vide investie par les évangéliques, pour ne pas effrayer le
patronat, en offrant la vice-présidence à José Alencar. Pendant vingt ans,
le PT n’a pas eu de véritables alliances à cause de la méfiance envers les
politiciens entretenue par les syndicalistes et, en partie, par la base
catholique. Dans les années 1970, Lula disait que les travailleurs n’ont pas
besoin de politique, mais d’un salaire. Elu député à la Constituante, il
prétendait que le Congrès était composé d’escrocs. Lula n’a pas changé parce
que ses conceptions auraient évolué, mais par calcul, pour arriver au
pouvoir."

"Je n’ai pas voté n pour continuer la politique de Cardoso et
l’approfondir, mais pour la changer, justifie Chico de Oliveira. Je ne vois
aucun changement important. Certes, la rupture prônée naguère par le PT
était purement rhétorique, personne ne savait ce que cela voulait dire au
juste. Le PT ignorait ce qu’implique un programme de gouvernement et
baignait dans un vague retour à la politique de développement des années
Kubitschek. La direction du PT mêle le mirage de la Chine à une fascination
pour les finances, comme si le capitalisme était encore capable de
bénéficier à tout le monde. Les dirigeants croient que les travailleurs
peuvent s’enrichir avec les fonds de prévoyance."

Les programmes sociaux du gouvernement ne trouvent guère grâce à ses yeux.
"Ils reviennent à pérenniser la pauvreté, puisqu’ils ne modifient pas la
distribution de la rente, soutient Chico de Oliveira. L’Etat remplace la
charité de jadis. Notre formation chrétienne nous garde du cynisme. La
compassion est un acquis, celui qui a faim a besoin d’assistance, mais cela
n’en fait pas une politique. Là où commence à être appliqué le programme
Faim zéro règne une désolation à la Pedro Paramo, le roman du Mexicain Juan
Rulfo. Une famille qui reçoit 50 reals dépensera tout en nourriture, sans
que rien ne change à sa situation structurelle."

Chico de Oliveira n’a pas pour autant l’assurance des réponses toutes
faites. "Personne ne croit qu’il soit possible de décréter le moratoire,
mais il faut tout de même chercher à lever le poids de la dette extérieure,
avance-t-il. Ni la droite ni la gauche ne comprennent ce qu’est l’économie
mondialisée, ni ce qu’il faudrait faire. Les théories d’il y a cinquante ans
sont dépassées. Les prévisions de la Réserve fédérale américaine tiennent à
peine une semaine, c’est du Keynes réchauffé. Il n’existe pas de nouveau
paradigme économique."

Paulo A. Paranagua