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Briançon vu du Michigan

Publie le dimanche 22 novembre 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

Je suis tombé récemment sur un article scientifique consacré à la prononciation de certaines voyelles dans le français parlé à Briançon. L’auteur est une universitaire française, assistante-professeur à l’université d’État du Michigan.

Même si j’ai effectué de nombreux et fréquents séjours à Briançon, dans le Briançonnais et dans le Queyras, et bien qu’ayant randonné et pédalé jusqu’à plus soif sur les routes et chemins de ces contrées magnifiques (http://blogbernardgensane.blogs.nou...), je n’ai aucune science particulière concernant la prononciation de la variété de provençal parlé dans les Hautes-Alpes. J’ai, en revanche, quelques lumières sur l’histoire de ces montagnes et sur la manière dont on y vit depuis quelques siècles.

Bien que française, la linguiste, qui a, forcément, elle aussi, séjourné dans le Briançonnais, nous décrit ces lieux comme un trou perdu (« the middle of nowhere », comme disent les anglophones). Les routes qui mènent à cette sous-préfecture, écrit-elle, sont « sinueuses et dangereuses ». L’auteur ajoute que la région est « demeurée isolée de toute influence extérieure pendant longtemps, jusqu’à la Révolution française ». Elle précise par ailleurs que l’éducation obligatoire, à partir de 1880 (l’époque de Jules Ferry), a contribué à mettre fin à cet isolement.

Nous sommes en présence d’une vision plutôt fantasmée du Briançonnais et d’une connaissance historique peu rigoureuse de cette province.

Chacun sait qu’il est excessivement rare que Briançon ne puisse pas être atteinte en hiver et qu’il n’y a pas plus d’accidents automobiles dans ce département qu’ailleurs.
Plus généralement, l’universitaire étatsunienne confond enclavement et isolement. Les vallées des montagnes peuvent être enclavées (ce n’est pas le cas de celle de Briançon), elles ne sont jamais isolées. Au contraire : ce sont des lieux de passage importants pour les autochtones (sans parler de ceux qui transitent par ces vallées).

De plus, Briançon et ses environs ne furent pas isolés jusqu’à la Révolution française, mais se trouvèrent dans une situation d’indépendance. Au XIVe siècle, Humbert II, le dauphin viennois, ruiné, décide de vendre ses droits aux cinq mandements de montagnes, dont le Queyras et Briançon. Contre 12000 florins, les habitants deviennent « francs et bourgeois » : ils sont exemptés de redevances, ils jouissent de la liberté de réunion, peuvent élire démocratiquement leurs représentants. Bref, ils mettent un terme à un certain système féodal (n’idéalisons pas : ce n’est ni le socialisme, ni la démocratie). Les habitants ont la jouissance gratuite de leurs moulins, de leurs fours banaux, ils peuvent creuser des canaux, utiliser l’eau des torrents, chasser. Dès le XVIIe siècle, chaque village dispose d’une école et bénéficie d’une forme de sécurité sociale car il peut recruter un médecin (payé en partie en nature et en partie en argent) qui dispense ses soins gratuitement.

Pour revenir à cet article scientifique, je me demande si nous ne sommes pas dans le cas de figure d’une recherche telle que la rêvent Sarkozy et Pécresse, inspirée par les États-Unis. Au nom de la culture du résultat, ce qui compte, c’est la réalisation d’un produit. Un produit formaté, à partir d’un moule qui a déjà servi. On part de lieux communs : dans les montagnes, les routes sont verglacées et les pauvres gens sont isolés (je simplifie), et l’on bat les sentiers même si l’on fait fausse route. Peu importe, au contraire, si l’on souscrit à une sorte d’orthodoxie de l’erreur.

Le résultat est attendu, dans les deux acceptions du terme : on en a besoin pour le toujours plus des statistiques et pour s’assurer de ce que l’on savait déjà.

Messages

  • Si Briançon était "au milieu de nulle part", on ne voit pas pourquoi Vauban l’aurait à ce point fortifiée, au début du 18ème siècle, donc bien avant la Révolution. Fortifications qui n’ont cessé d’être agrandies et améliorées, jusqu’à la ligne Maginot au 20ème siècle. Au contraire, c’est un point de passage important, d’une part nord sud, et surtout vers ou venant de l’Italie. Drôle d’universitaire, pour énoncer des âneries pareilles...

    Chico

  • Je serais d’avis de faire savoir à cette "assistante-professeur" qu’elle ferait bien de passer à autre chose. Elle n’imagine quand même pas avoir un jour sa place dans une grande université américaine ?

    Parce que je ne suis pas d’accord avec B. Gensane quand il dit "Pour revenir à cet article scientifique, je me demande si nous ne sommes pas dans le cas de figure d’une recherche telle que la rêvent Sarkozy et Pécresse, inspirée par les États-Unis. Au nom de la culture du résultat, ce qui compte, c’est la réalisation d’un produit. Un produit formaté, à partir d’un moule qui a déjà servi". Et je lui suggère d’appliquer sa propre méthode à ses propos et de se demander s’il n’est pas, lui aussi, en train de déblatérer des lieux communs qui n’ont aucun sens.

    Les Etats-Unis, je les connais bien. Très bien même. Les universités américaines aussi. J’en sors ! J’y ai rencontré beaucoup plus de gens très biens et hyper compétents que l’inverse. Quant à l’autre professeure à sa manière... je ne donne pas grand chose de sa carrière.