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C’est confirmé : l’Air Bus A380 Vote " NON "

Publie le vendredi 29 avril 2005 par Open-Publishing

L’A380 vote « non »
Retour sur quarante années de construction aéronautique.

Par Jean Navals (technicien d’Airbus à la retraite).

L’Airbus A380 et son premier vol sont à la une de l’actualité. Bravo à ces dizaines de milliers d’ouvriers, de techniciens, d’ingénieurs européens, qui ont conçu et réalisé ce merveilleux avion qui va concurrencer le monopole américain des très « gros porteurs », notamment avec leurs Boeing 747. Et déjà, avec l’indécence - pour ne pas dire plus - qui les caractérise, les partisans du projet actuel de la constitution européenne font et veulent faire de l’A380 l’avion du « oui ». Ce sont Jack Lang, bon en culture mais inculte en construction aéronautique européenne, Patrick Devedjian, ministre délégué à l’Industrie, et Philippe Douste-Blazy, le Toulousain sans mémoire. Heureusement que l’A380 n’a pas de cerveau humain, car ces affirmations affecteraient ses extraordinaires capacités !

À ce stade, il nous faut donc retracer l’Europe aéronautique depuis quarante ans, et, sans aucun « cocorico », affirmer que la France en fut le pilier : Le supersonique Concorde - « l’avion du général de Gaulle » diront certains - a donné à nos équipes d’ouvriers, de techniciens, d’ingénieurs un immense savoir, une immense expérience, une immense confiance dans nos capacités futures. Évidemment, les « boursiers » de tout poil parlaient, eux, de « gouffre financier » et de Gaulle affirmait que la politique de la France ne se faisait pas « à la corbeille ».

En 1974 apparaît Giscard d’Estaing, le père actuel du projet libéral de constitution européenne. Il est alors président de la République. C’est la fin de la Caravelle, le Concorde ne se vend pas, la coopération européenne, avec l’Airbus A300, connaît des difficultés, il programme donc le déclin de l’aéronautique française. Ça bouge, ça gronde à Toulouse, les grèves se multiplient et... une goutte d’eau, déversée peut-être par une direction qui veut maintenir le potentiel français - une mutation autoritaire de six jeunes ouvriers à Marignanne - fait déborder le vase ! Les usines toulousaines de l’Aérospatiale sont occupées et on découvre dans les locaux de la direction un plan de démantèlement « mal caché ». Toulouse se mobilise : les syndicats, les partis politiques de gauche, les gaullistes, des membres de l’UDR, jusqu’à l’archevêché ! Giscard d’Estaing est obligé de reculer. L’essentiel est gagné, le potentiel humain est maintenu, même si ça coûte de l’argent qui ne va pas à la Bourse. Mais la lutte continue...

Pour l’atterrissage du Concorde à New York - interdit de territoire par les Américains -, pour l’A200 - premier nom du futur Airbus A320 et successeur moyen-courrier de Caravelle -, les ingénieurs du bureau d’études nous fournissent les esquisses et nous affirment que c’est le socle principal de la relance. En 1981, Jacques Mitterrand, frère du président, PDG de l’Aérospatiale, nous confie dans son bureau qu’il ne lancera pas l’A320 pour faire plaisir au parti communiste, que l’on ne lancera pas un « avion politique ». Charles Fiterman, alors ministre des Transports, nous aide énormément, et, enfin, l’A320 voit le jour... Quel immense succès ! L’A320 et sa famille : l’A321, l’A319, l’A318, aujourd’hui des milliers d’appareils vendus dans le monde et, avec ce socle, se développent et se vendent les familles des Airbus A330, des Airbus A340, aujourd’hui de l’Airbus A380, demain nous l’espérons, de l’Airbus A350.

La construction aéronautique européenne autour de ces appareils s’est construite pas à pas, avec des accords de coopération équilibrée, d’État à État, d’industrie à industrie, faisant dans chaque pays progresser le potentiel aéronautique, et, il faut le dire, avec surtout au début beaucoup de subventions, ainsi que des avances remboursables. Un PDG allemand des années quatre-vingt-dix déclarait même, alors que si nous étions en train de rattraper Boeing, la cause en était que pendant que Boeing licenciait par dizaines de milliers quand il navait pas de travail, en Europe, nous ne le faisions pas, nous n’avions pas pu le faire. Notre savoir et notre expérience ont été maintenus, et nous en avons profité pour développer des formations.

Aujourd’hui, certains dirigeants d’Airbus France avouent, en privé certes, qu’il est parfois difficile, après la privatisation partielle de l’aéronautique française, de concilier un bénéfice supérieur à deux chiffres pour les actionnaires avec le développement de l’industrie aéronautique. Tout cela montre, à l’évidence, que la construction aéronautique européenne est bien le résultat d’une politique non libérale, inverse du contenu du projet de constitution européenne avec la concurrence non faussée et la liberté des capitaux financiers comme credo.

Le 29 mai, si l’A380 pouvait voter, il voterait « non ».

L’Humanité