Accueil > CGT : LE TEST DES RETRAITES
« Je veux rendre un hommage particulier aux partenaires sociaux qui ont fait preuve d’un grand sens des responsabilités » ainsi s’exprimait le Chef de l’État ors de ses vœux le 31 décembre 2009. Dans la langue de bois officielle les « partenaires sociaux » regroupent le MEDEF et les organisations syndicales. Ces dernières sont placées devant l’alternative suivante : soit poursuivre dans la démarche de 2009 qui a conduit comme le souligne Alain Minc à « canaliser le mécontentement » et à « cogérer cette crise avec l’État » [1], soit travailler à la construction d’une mobilisation générale contre la politique du Président.
Cette alternative a traversé les débats du 49e congrès de la CGT qui s’est tenu du 7 au 11 décembre 2009. D’une part la voix de l’opposition syndicale lutte de classe s’est faite entendre et d’autre part la direction confédérale a fait valider sa stratégie de syndicalisme institutionnel et mis en chantier une refonte totale des structures. Ce dernier point constitue la grande nouveauté du congrès. L’objectif est de briser les outils actuels qui sont loin d’être parfaits mais dont le principal défaut est de ne pas être adaptés au « dialogue social » tant au niveau du pays que de l’Union européenne. L’enjeu du projet est de rendre la CGT compatible avec l’accord sur la représentativité syndicale et avec la future réforme des collectivités territoriales. Cela passe par la mise en hibernation du syndicat d’entreprise ou sur le lieu d’exploitation au profit de petites structures de permanents incontrôlables disposant de l’expertise nécessaire pour dialoguer avec les experts du patronat et du pouvoir. La déjà significative expérience du Conseil d’orientation des retraites montre ce que cela peut donner : des bataillons de clones de Jean-Christophe Le Duigou.
Malgré toute la minutie mise en œuvre par la bureaucratie dans la sélection des déléguées, ceux qui contestent l’orientation confédérale et ses brillants résultats ont pu s’exprimer avec plus de force qu’au précédent congrès [2]. Parmi les points les plus critiqués il y a la signature avec le MEDEF de l’accord sur la représentativité auquel un délégué de la chimie oppose la perspective suivante : « la grande force de la CGT n’est pas dans la cogestion mais dans le rapport de force » à construire. Répondant à la caricature de Bernard Thibault faisant passer les opposants soit pour des sectaires soit pour des jusqu’au-boutistes, une déléguée des services publics remet les pendules à l’heure : « nous considérons que la mobilisation interprofessionnelle doit se fonder sur les revendications, l’unité syndicale est un moyen et non un but. » A la lumière de la plate-forme intersyndicale du 5 janvier 2009 sans contenu concret, de la participation au simulacre de dialogue avec Nicolas Sarkozy le 18 février 2009 et à l’encadrement des journées de grèves pour qu’elles ne dépassent pas la limite permise et qu’elles s’éteignent d’elles-mêmes ; bref à la lumière de l’année 2009 cette intervention correspond au défi qui est posé aux militants de la CGT.
Depuis plusieurs années la direction confédérale a renoncé à toute revendication concrète et chiffrée. Elle préfère les concepts plus ou moins fourre tout. Il en va ainsi du nouveau statut du travail salarié, de la sécurité sociale professionnelle (concept repris parfois dans le discours présidentiel) et aujourd’hui du développement humain durable ou encore de la maison commune des retraites. L’introduction du discours confédéral part de la réalité du salariat de plus en plus en miettes, avec des statuts disparates et de moins en moins protecteurs, avec l’explosion de la sous-traitance et de la précarité. Parvenu dans son développement le discours confédéral se perd dans les dédales ambigües du langage technocratique. Quant à la conclusion, deux délégués au congrès, l’une de l’agroalimentaire et l’autre des organismes sociaux, la tirent en ces termes font justes il s’agit finalement d’une : « adaptation de la CGT à la précarité montante, non son combat. »
Ce qui a effectivement fait la différence entre le 49e congrès et les précédents, et qui en fait un congrès pas comme les autres, ce fut la candidature de Jean-Pierre Delannoy au poste de secrétaire général, candidature défendue par le Comité national pour une CGT de lutte de classes et ayant reçue plus de 2 000 soutiens d’organisations syndicales ou de militants. Dans son intervention au congrès, Jean-Pierre Delannoy a posé le problème en ces termes : « Sortir de la démarche institutionnelle et redonner la priorité aux organisations syndicales de base » ; « La CGT ne doit pas être une organisation d’accompagnement du système capitaliste et de la politique gouvernementale ». L’expérience des décennies passées pose la question « d’en finir avec la spirale de l’échec ». En effet, à part l’enterrement du CPE (contrat première embauche de Chirac-Villepin), qu’a pu imposer le monde du travail au patronat et au gouvernement ?
La direction confédérale a pris la mesure de l’ampleur de la bataille en cours dans la CGT. Tout en confirmant son orientation de syndicat institutionnel, tout en accélérant la mutation en ouvrant le chantier de la réorganisation, elle a accepter de lâcher un petit lest symbolique. Ainsi il y a quelques différences entre le projet de résolution et le document voté. On voit apparaître des passages comme : « Le capitalisme conduit à des crises multiples et récurrentes dont les populations sont les premières victimes » ; « La CGT a naturellement une responsabilité particulière dans la bataille contre les orientations du patronat et du gouvernement » ; « c’est ce qui fonde son [la CGT] caractère de masse et de classe. »
Certes nous ne sommes pas naïfs et il ne suffit pas de s’afficher contre la politique du patronat et du gouvernement ou mieux se prétendre de classe pour l’être effectivement. C’est dans la pratique au quotidien que cela se mesure. Les militants attachés à une CGT qui ne compose pas dans les faits avec le patronat et surtout avec le pouvoir ne peuvent se satisfaire de déclarations de principes qui généralement s’évanouissent sitôt le congrès fini. Au contraire, ils vont poursuivre leur action à l’intérieur de la CGT ; cela passe par le développement du Comité national pour une CGT de lutte de classes. Bernard Thibault peut bien menacer comme quoi la CGT ne « peut fonctionner avec des écuries et des tendances ». L’écurie dont il est le poulain conduit la CGT dans l’impasse du « dialogue social » et autres « diagnostics partagés » dont les fruits ne sont comestibles que pour le patronat. L’écurie confédérale est la plus mal placée pour donner des leçons de démocratie. Elle vient d’innover en créant un poste hors statuts de conseiller personnel du secrétaire général confié à un certain Le Duigou.
Le test grandeur nature de l’enjeu de la bataille politique, au sens de stratégie et de tactique, sera la question des retraites que Nicolas Sarkozy a décidé de remettre sur le tapis cette année, sûrement après les élections régionales afin de ne pas embarrasser la gauche parlementaire. Alain Minc, l’homme qui parle à l’oreille du Président, annonce la couleur : « Il faut jouer sur le niveau des pensions, sur leur indexation et sur la durée de cotisation. L’équation est simple, même si elle est politiquement difficile. Je pense qu’il est temps d’envoyer un signal très fort, et d’allonger la durée de cotisation, le cas échéant en prenant mieux compte le facteur pénibilité. » Et il ajoute, comme si de la bataille des retraites en France dépendait l’avenir du capitalisme mondial : « La réforme des retraites sera aussi un signal de sérieux adressé au monde entier. » [3]
Mais le tableau peint par Alain Minc est incomplet. Ainsi l’article 75 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2009 stipule : « Avant le 1er février 2010, le Conseil d’orientation des retraites remet aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat un rapport sur les modalités techniques de remplacement du calcul actuel des pensions personnelles par les régimes de base d’assurance vieillesse légalement obligatoires, soit par un régime à points, soit par un régime de comptes notionnels . » Ce projet n’a rien de technique. C’est la fin programmée du régime par répartition. Plus question, tous les cinq ou six ans, de devoir légiférer sur l’âge de départ à la retraite ou sur le nombre d’années de cotisation avec le risque d’une explosion sociale. En effet, le salarié devient « libre » de partir en retraite en fonction du nombre de points péniblement accumulés. Enfin, cette option favorise grandement l’arrivée des assurances privées puisqu’elle transforme la retraite en une forme d’épargne personnelle.
Comme on peut s’en rendre compte, l’enjeu de la bataille des retraites est vital pour les salariés. Que prévoit sur ce point le 49e congrès de la CGT. Sa vague proposition de maison commune des retraites n’apporte pas grand chose pour se préparer à l’affrontement. Il s’agit de « garantir l’ouverture des droits à 60 ans avec un taux de remplacement d’au moins 75% et l’indexation sur les salaires ». Ce qui est le strict minimum, mais pour pouvoir partir à 60 ans après 40 à 42 ans [4] de cotisation il faut avoir commencé à travailler jeune et que le patronat ne se débarrasse pas des « vieux » dès 57 ans. Voilà pourquoi la durée de cotisation demeure la question centrale. Et là la direction confédérale est aux abonnés absents. Après avoir cédé sur les 37,5 années, elle « entend arrêter la spirale de la durée de cotisation » [5] Traduit en clair, en 2003 nous avons perdu sur les 42 ans, de grâce Monsieur le Président n’aggravez pas la situation.
Ce n’est pas faire de l’opposition systématique que de dire que ce n’est pas ainsi que l’on peut préparer la riposte à l’offensive qui se profile et dont on connait le contenu dans ses grandes lignes. Si la direction confédérale veut vraiment, comme le dit Bernard Thibault dans l’euphorie d’un congrès, faire de la contre-réforme finale des retraites « le marqueur de la volonté de résistance des salariés » c’est dès aujourd’hui qu’il faut engager la campagne pour faire monter du cœur de la classe ouvrière le rejet du plan gouvernemental.
Car, au vue de ce qui se trame il ne s’agit pas simplement de résister le plus longtemps possible. Il faut battre le gouvernement. Il faut gagner le retour de la retraite à 60 ans et après 37,5 années de cotisation pour tous.
La mobilisation ne peut pas se construire à partir d’un discours ambigüe laissant entendre que des concessions seraient possibles. Il est grand temps de briser la spirale de l’échec.
Emile Fabrol
– http://promcomm.wordpress.com
1.- Le Parisien du 27 décembre 2009.
2.- Les citations de délégués qui suivent sont tirées du numéro de décembre 2009 de Options, journal de l’UGICT-CGT.
3.- Le Figaro du 4 janvier 2010.
4.- Contre-réforme Fillon de 2003.
5.- Résolution votée par le 49e congrès.
Messages
1. CGT : LE TEST DES RETRAITES, 19 janvier 2010, 19:26, par Patrice Bardet
c’est vrai que sur la durée de cotisation nécessaire pour obtenir le taux plein, la revendication de la CGT n’est pas fixée.
Ceci dit, revenir aux 37,5 années telles qu’elle étaient appliquées avant la casse Balladur, n’est pas non plus une solution satifaisante, puisqu’elles ne comportaient ( à la différence de la revendication actuelle)
– pas de prise en compte de la période de recherche de premier emploi
– pas de prise en compte des années d’étude
extrait des repères revendicatifs
2. RETRAITES : c’est pas un "test", mais un combat à mener !, 19 janvier 2010, 20:15, par Patrice Bardet
je viens de mettre le commentaire suivant sur le site de l’Humanité, suite à l’article
Le report de la retraite au-delà de 60 ans : inévitable ?
la question n’est pas de savoir si la CFDT va trahir l’intersyndicale que voudrait la CGT, mais QUAND !
La direction de la CGT va-t-elle préparer et emmener la Classe Ouvrière au combat ? ou faire comme en 2003 au nom du "syndicalisme rassemblé" ????