Accueil > CHIAPAS 1994, OAXACA 2006
de Neil Harvey
La répression qui s’est déchaînée à Oaxaca ces derniers jours mérite une
condamnation totale et la solidarité la plus déterminée avec l’APPO. Le
fait que les officiers et les policiers locaux aient pu agir avec autant
d’impunité, montre le manque d’intérêt de la part du gouvernement fédéral
à trouver une solution politique réelle.
Les comparaisons avec le Chiapas sont nombreuses et préoccupantes parce
qu’elles démontrent une fois de plus l’incapacité du gouvernement à
reconnaître des demandes légitimes comme par exemple la démission d’un
gouverneur qui a ordonné l’usage de la force pour essayer d’en finir avec
le mécontentement social.
En janvier 1994, Salinas, le président de l’époque, a essayé d’écraser
les zapatistes par des actions militaires jusqu’à ce que la société civile
se mobilise pour exiger une solution politique. Une grande partie de la
population a reconnu que l’EZLN était et est un mouvement aux demandes
justes et que sa révolte a ouvert un espace important dans la lutte pour
la démocratie dans le pays, et pas seulement au Chiapas. A Oaxaca, la
demande de la disparition des pouvoirs cherche aussi quelque chose de plus
profond qu’une simple alternance de partis au gouvernement. Il s’agit de
la démocratie participative, de l’amélioration du système éducatif, et de
l’attention montrée pour les besoins des secteurs les plus marginalisés,
les bases pour arriver à une vraie transformation démocratique.
Au Chiapas, le changement de pouvoir à la fin de 1994 eut lieu dans un
contexte de profonde crise politique et économique. Le gouverneur Eduardo
Robledo ne put éviter le rejet d’une part importante de la population qui
continua à soutenir un gouvernement rebelle. Durant le sexennat de
1994-2000, le Chiapas eut trois gouverneurs, dont deux par intérim, qui
recoururent à l’usage de la répression. De son côté, Ernesto Zedillo
essaya de dépasser la crise financière avec l’appui du gouvernement de
Clinton et lança une nouvelle offensive contre l’EZLN en février 1995. A
nouveau des milliers de citoyens et de citoyennes se mobilisèrent pour
exiger le dialogue et la fin de la répression. Il convient de signaler
que, comme Abascal et Fox, le gouvernement de Zedillo utilisait un
discours. Zedillo trahit le dialogue et mit en route un processus de
militarisation qui continue à avoir des effets désastreux pour les
communautés indigènes chiapanèques.
Au Chiapas, le manque de volonté politique du gouvernement s’est reflété
aussi dans la formation et les agissements de groupes paramilitaires liés
au vieux régime priiste et organisés et entretenus par les autorités pour
attaquer les sympathisants de l’EZLN. La protection de ces groupes est
telle que les dénonciations faites par des organisations de droits humains
avant le massacre d’Acteal en 1997 furent ignorées. Au contraire, la
réponse officielle au massacre ne fut pas l’arrestation des auteurs
intellectuels de ce crime mais l’augmentation des effectifs des troupes
fédérales dans la région des Altos du Chiapas, sous prétexte qu’il était
nécessaire de "rétablir l’ordre, la paix et la loi", c’est-à-dire le même
discours que le gouvernement applique aujourd’hui à Oaxaca. S’en suivirent
les attaques des comunes autonomes, l’expulsion des étrangers, la
manipulation clientéliste des fonds fédéraux et de l’attention médicale.
Comme nous l’avons vu au Chiapas, il est impossible de vivre dans cette
"normalité" que le gouvernement a prétendu imposer par la force. La
militarisation divise et polarise les communautés éloignant chaque fois
davantage les possibilités de paix.
Le gouvernement et tous les partis ont rejeté en 2001 l’opportunité de
ratifier les accords de San Andrés. Au lieu de reconnaître l’autonomie
indigène comme un droit constitutionnel, les législateurs ont laissé les
peuples indigènes sans possibilités juridiques d’exercer leur autonomie
dans l’usage et la jouissance de leurs ressources et territoires.
En même temps, le gouvernement de Fox a promu le Plan Puebla Panama (PPP)
avec l’intention de construire l’infrastructure nécessaire (routes, ports
et aéroports, intégration énergétique, barrages, etc.) pour attirer des
investisseurs intéressés à profiter des ressources naturelles, de la main
d’œuvre bon marché et de la situation stratégique du Sud-Est mexicain. Ce
modèle bénéficie aux groupes au pouvoir et non à la majorité de la
population. Le PPP a rencontré tant de résistances, en plus de celle à San
Salvador Atenco, au Chiapas et à Oaxaca que le gouvernement a cessé d’en
faire la propagande bien qu’il ait continué à réaliser plusieurs des
grands travaux. Maintenant, Felipe Calderon promet de ressusciter le PPP,
ce qui provoquerait davantage encore de conflits dans une région déjà si
troublée. Le facteur commun entre le Chiapas, San Salvador Atenco et
Oaxaca est cette résistance à l’imposition d’un plan de développement
marginalisant et insoutenable qui a été conçu sans l’approbation des
communautés directement affectées.
Ces jours-ci, il est prévu des manifestations au Mexique et à l’étranger
contre la répression. Par exemple, lundi 30 octobre, il y a eu des
manifestations face aux consulats mexicains dans plus de 15 villes des
Etats-Unis, et l’ambassade de Barcelone a été prise. De son côté, l’EZLN a
appelé la population à sortir manifester contre la répression le 1er et le
20 novembre. Ces protestations ne montrent pas seulement le manque de
démocratie dans les institutions mais aussi la grande persévérance des
mouvements sociaux dans la lutte pour leurs demandes légitimes.
nharvey@nmsu.edu
http://www.jornada.unam.mx/2006/11/04/019a1pol.php
Traduit par Corinne.
"La Jornada", Mexico, samedi 4 novembre 2006.