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CHOMDU 25

Publie le vendredi 21 mars 2008 par Open-Publishing
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de P’tit Nico

« "Tout communique !" Dans le véritable traité des angoisses suscitées par la modernisation que constitue Mon oncle de
Jacques Tati, ell’ raconte m’dame Ross, Mme Arpel, la maîtresse de maison atteinte de psychose de la ménagère, répète
cette phrase comme une antienne, chaque fois qu’elle fait visiter sa maison à de nouveaux invités. "Tout communique" :
cette expression résume fièrement un espace conçu afin de permettre l’efficacité du mouvement et de favoriser la libre
circulation des corps d’une pièce à l’autre, en une sorte de trafic intérieur comparable à celui effectué par les
automobiles à l’extérieur.

Tout le sel de l’histoire, c’est précisément qu’il n’existe aucune communication réelle dans ce
stérile univers banlieusard, claquemuré et cloisonné, où les parents ne s’adressent à leur enfant silencieux et boudeur
que pour lui intimer des directives parfaitement obsessionnelles et exclusivement relatives aux questions d’hygiène : ne
mets pas tant de désordre dans ta chambre, range tes livres, lave tes mains, accroche tes vêtements et ainsi de suite... »

« A cette aune, y dit m’sieur Mattelart, le politique se dissout totalement dans la culture médiatique globale. Il en
découle une conception de la "société de consommation" comme société de la transparence. Ainsi se complète le
brouillage des enjeux de pouvoir amorcé sous le signe du "village global" et de la "société globale", comme façon de
nier les différenciations entre sociétés et la continuation de l’existence de rapports de force et de l’intérêt collectif.
Depuis le milieu du siècle dernier, les réseaux du chemin de fer, du télégraphe, du câble sousmarin, du téléphone puis
de la "télédiffusion sans fil", donc de la radio et enfin de la télévision, ont créé une nouvelle représentation du monde,
basée sur le principe de la communication comme "agent de civilisation". »

« Cette attitude n’est pas nouvelle, ell’ rajoute m’dame Richard, et se trouve à chaque saut technologique majeur, en
particulier dans le domaine des communications ; en effet, de l’âge de la vapeur à Internet, en passant par l’électricité, le
télégraphe, le téléphone, la radio-diffusion et la télévision, le rêve d’une harmonie sociale de l’humanité engendrée par
les progrès techniques n’a eu de cesse d’être repris. En 1793 déjà, des penseurs révolutionnaires prophétisaient que
l’installation du télégraphe optique ainsi que l’utilisation de messages codés permettraient à "tous les citoyens de la
France de se communiquer leurs informations et leurs volontés". Ces espoirs de démocratie par la technique furent bien
vite déçus, les codes devenant peu de temps après réservés à un usage militaire. À la fin du XIXème siècle, P.

Kropotkine et P. Geddes font de l’électricité le point de départ de l’ère néotechnique, de laquelle doit émerger une
société égalitaire et transparente : la nouvelle énergie va réconcilier la ville et la campagne, le travail et les loisirs. Dès
1948, le mathématicien N. Wiener se représente la future "société de l’information" comme un idéal de transparence et
de démocratie. Pour le père de la cybernétique, "la communication effacerait le secret, qui seul rendit possible le
génocide nazi, Hiroshima et le Goulag". Wiener pose alors les questions essentielles et préconise l’utilisation des
machines pour "un usage humain des êtres humains", mais son discours ne sera pas entendu. Il est actuellement remis
au goût du jour. Le rapport officiel de S. Nora et A. Minc remis en 1978 à V. Giscard d’Estaing n’hésite pas à considérer
les réseaux télématiques comme la réponse à une véritable crise de civilisation. D’après les auteurs, l’informatique et les
réseaux devraient recréer une "agora informationnelle" élargie et modernisée. L’idéal de la société de la transparence et
de l’abolition des déséquilibres sociaux à l’échelle mondiale est repris par A. Gore en 1994 au moment de justifier son
projet de NAI.

Des scientifiques comme N. Negroponte adhèrent à cette vision ultra-optimiste d’une société totalement
informatisée et numérisée. L’utopie de la communication reste donc à l’ordre du jour. Y compris, chez les libertaires, les
fervents défenseurs d’un cyberespace anarchique ont d’ores et déjà amorcé une véritable guerre idéologique contre les
gouvernements qui tentent de réguler et contrôler Internet et les entreprises avides de profiter d’un nouveau marché si
prometteur. Qualifiés de "techno-anarcho-post-capitalistes" , ces nouveaux hippies cherchent par tous les moyens à
sauvegarder l’un des derniers espaces de liberté au monde. Militants des droits de l’Homme, ils tentent de protéger la vie
privée et la liberté d’expression des citoyens. A. Torrès craint que le choix du citoyen ne se résume plus qu’à "être
éduqué par Disney ou Bertelsmann, informé par IBM ou par Alcatel et diverti par AT&T ou par Siemens". »
Et nourri par Monsanto, qu’y s’plaint Fred qu’à vu l’documentaire qu’ça l’a laissé sur l’cul d’voir qu’les paysans d’l’Inde y
s’suicidaient autant qu’les prolos d’chez Renault. C’est parce qu’y veulent pas devenir des errants comm’ les pauvres du
XIXème y z’étaient, qu’m’sieur Attali y voudrait les appeler nomades parce qu’ça fait mieux, mais comm’ y l’est
milliardaire socialiste y parle pour les riches en croyant qu’c’est des pauvres comm’ lui, et c’est vrai vu qu’y l’est
socialiste.

C’est qu’l’p’tit bourgeois y croit à la communication et à la technique avenir de l’homme nouveau futur des lumières
qu’ « avec l’éclairage on y verra jusqu’au flanc du coteau ».
Je t’attendrai à la porte du garage
Tu paraîtras dans ta superbe auto
Il fera nuit mais avec l’éclairage
On pourra voir jusqu’au flanc du coteau
Nous partirons sur la route de Narbonne
Toute la nuit le moteur vrombira
Et nous verrons les tours de Carcassonne
Se profiler à l’horizon de Barbeira
Le lendemain toutes ces randonnées
Nous conduiront peut-être à Montauban
Et pour finir cette belle journée,
Nous irons nous asseoir sur un banc

Qu’déjà, en 1832, y cite m’sieur Musso, Michel Chevalier, polytechnicien, disciple d’m’sieur l’comte d’Saint Simon, y
l’écrivait dans son journal Le Globe à propos du "système de la Méditérannée" d’not’ président : « aux yeux des hommes
qui ont la foi que l’humanité marche vers l’association universelle, et qui se vouent à l’y conduire, les chemins de fer
apparaissent sous un tout autre jour. Les chemins de fer le long desquels les hommes et les produits peuvent se mouvoir
avec une vitesse qu’il y a vingt ans l’on aurait jugée fabuleuse, multiplieront singulièrement les rapports des peuples et
des cités. Dans l’ordre matériel, le chemin de fer est le symbole le plus parfait de l’association universelle. Les chemins
de fer changeront les conditions de l’existence humaine ».
Mais la communication et la technique, y dit mon ancien délégué syndical CGT, ell’ sont forcément c’que les hommes
en font.

« L’affirmation de Merton, y dit l’pote Paul beaud, selon laquelle la recherche sur les communications est une science
américaine prend ici une nouvelle coloration puisqu’il est affirmé que son objet est l’ensemble des mécanismes de
contrôle et de reproduction d’une société donnée en tant que territoire, système politique, unité culturelle, principe
organisant la complexité des fonctions spécialisées de ses composants. (...)

Par une série d’anamorphoses, la société contraint la technique à adopter le moule de ses schémas dominants, qu’ils en
suscitent les progrès ou qu’ils en modèlent par l’usage les développements. Ses principes d’organisation, à l’échelon
macro-social comme à celui de structures plus restreintes (entreprise industrielle ou administration) se retrouvent
toujours transposés physiquement et symboliquement dans l’organisation de ses systèmes de communication. (...)

Diverses études ont démontré que l’informatisation des entreprises n’a pas pour effet d’en modifier l’organisation mais
bien d’en renforcer les modèles de fonctionnement. Pas plus que les autres ne résiste au moindre examen cet argument
de McLuhan selon lequel une technologie comme le téléphone détruit les hiérarchies, puisque chaque point du réseau
peut être relié à tous les autres. Les exemples de "décentralisation" du pouvoir qu’il donne ont d’ailleurs de quoi laisser
songeur, comme la disparition du proxénétisme, la call-girl étant une prostituée passée de l’âge du capitalisme à celui de
l’autogestion ! Des études américaines ont à l’inverse montré, par exemple, qu’avant l’apparition du télégraphe,
diplomates ou capitaines de marine marchande disposaient d’une large autonomie de négociation en raison de la lenteur
des transmissions. L’accélération des communications a eu pour effet une plus grande centralisation des pouvoirs, une
moindre grande délégation accordée aux intermédiaires politiques ou commerciaux, quand bien même toute technologie
nouvelle en ce domaine permettrait théoriquement le contraire. "Lors d’une conférence sur les effets de l’ordinateur sur
la gestion qui s’est tenue en 1966 à la Sloan School of Management du M.I.T., relate Ronald Westrum, plusieurs
participants ont émis l’avis que l’informatique pouvait conduire à une décentralisation des organisations, mais l’accord
se fit parmi ceux qui avaient fait des études sur le terrain pour reconnaître que cela ne s’était pas encore produit.
L’introduction de l’informatique a eu pour effet, si elle en a eu, la centralisation."

Est-il encore besoin de rappeler que le télégraphe de Chappe ne se développa qu’en fonction des besoins militaires de
Paris vers les frontières, que beaucoup de pays du Tiers-Monde dépendent encore pour leurs intercommunications d’un
système mis en place à l’époque coloniale, avec Paris ou Londres pour centres des grandes liaisons transmaritimes.
Centralisme encore dans l’industrie, comme le note Sidney Aronson : "C’est sans doute plus qu’une coïncidence que
l’introduction par Henry Ford de la production par chaîne d’assemblage s’est effectuée à une époque où le technologie
du téléphone avait déjà atteint un niveau sophistiqué". En d’autres termes, les possibilités de coordination offerte sur de
vastes ensembles par un moyen de communication ont permis le passage de l’ancien système d’organisation du travail
en ateliers où chaque équipe possédait une large autonomie, des compétences polyvalentes, à une structure intégrée et
unifiée et à la parcellisation des tâches. Les projets des futurologues des années soixante-dix d’un démantèlement des
grands centres de production au profit de petites unités dispersées, voire du travail autogéré à domicile grâce à la
téléinformatique, aux téléconférences, ces projets ressemblent dès lors au voeu d’Alphonse Allais de construire les villes
à la campagne. Quand bien même elle serait effective, la déconcentration géographique ne signifierait pas
décentralisation, mais très vraisemblablement, dans les structures de pouvoir actuelles, nouvelle dégradation des
conditions de travail par un contrôle accru. L’éclatement de la production à l’échelle mondiale, la nouvelle division
internationale du travail que facilite l’amélioration des communications démentent par avance les utopies intéressées
des officines d’astrologie sociale et de sciences sociales. (...)

L’histoire des technologies n’est pas moins étroitement liée à l’histoire du pouvoir social. Jésuite et savant allemand,
Athanasius Kircher publia au XVIIe siècle plusieurs ouvrages encyclopédiques, en particulier sur l’acoustique et la
lumière. Dans l’un, Musurgia universalis, il nous rappelle que l’antiquité connaissait déjà diverses techniques de
transmission à distance des sons. Alexandre le Grand dirigeait ses armées grâce à d’immenses porte-voix suspendus à
des potences. Par la gravure, Kircher nous donne une extraordinaire description du palais - que fréquenta Platon - de
Denys 1er l’Ancien, tyran de Syracuse au lVe siècle avant Jésus-Christ. Célèbre pour sa suspicion - on dit qu’il se faisait
brûler la barbe par ses filles par peur du rasoir de son barbier - Denys est resté dans l’histoire pour avoir obligé l’un de
ses courtisans, Damoclès, à déguster le festin auquel il l’avait invité, assis sous une lourde épée retenue par un crin de
cheval, pour lui faire éprouver la peur que lui-même ressentait quotidiennement. Mais sans doute aurait-il mieux mérité
de passer à la postérité comme le promoteur d’un fantastique système d’espionnage faisant appel à une étonnante
connaissance des principes de la propagation et de l’amplification des sons. Un réseau de cornets acoustiques noyés
dans les murs du palais lui permettait d’écouter les intrigues de sa cour et même les conversations de rue de ses sujets.

Mais l’étonnant est d’en retrouver trace, vingt-deux siècles plus tard, dans les écrits de Bentham qu’analyse M. Foucault
dans Surveiller et punir. A la fin du XVlIe siècle, Bentham avait imaginé un système de prison circulaire à tour centrale
(le panoptique), "machine à dissocier le couple voir-être vu". Les prisonniers sont répartis dans des cellules disposées en
cercle et ouvertes vers le centre, de telle sorte que les gardiens puissent sans cesse les observer tous : " ... dans l’anneau
périphérique, on est totalement vu, sans jamais voir ; dans la tour centrale, on voit tout, sans être jamais vu".
Les nombreuses histoires de la presse, de la radio, de la photographie ou de la télévision ne sont en majorité guère plus
satisfaisantes. "L’effet Cléopâtre" en est la clef universelle. Braille était aveugle, certes. Mais on oublie de dire que le
système qui porte son nom est issu d’un procédé inventé pour permettre aux militaires de lire des messages dans
l’obscurité. (...) La touche romantique dont a besoin l’histoire vulgarisée fait de même de la surdité de l’épouse
d’Alexander Graham Bell le déclic qui lui fit inventer le téléphone. A ceci près qu’à la suite de son père, il travaillait
bien avant son mariage à la mise au point d’alphabets par signes destinés aux sourd-muets. Et si Edison était atteint de
surdité lorsqu’il travailla à son phonographe dont le principe avait été imaginé par le poète Charles Cros, qui avait
travaillé lui aussi dans une institution pour sourds-muets, si Chappe qui créa le télégraphe optique se suicida lorsqu’il ne
put plus supporter les douleurs provoquées par une tumeur à l’oreille, il convient de préciser que toutes ces inventions
eurent différents auteurs, à la même époque et dans différents pays.

Cette apologie de l’individuel, (...) est le propre bien
connu d’une tradition historique bourgeoise où le monde est façonné par la personnalité des personnalités, ce par quoi
se naturalise le pouvoir et se reconstruit l’image d’une société à l’image qu’une classe a d’elle-même. Cette histoire des
média n’est ainsi que l’histoire telle que l’écrivent les média. »
Mais l’p’tit bourgeois y continue quand mêm’ à croire qu’la technique peut sauver l’monde, vu qu’la communication c’est
d’la technique, y r’marque Polo.

« Pour Wiener, y dit m’sieur Breton, le savoir sur la communication, et notamment son incarnation dans des machines
intelligentes, est "bon" par nature, puisqu’il s’oppose à l’entropie. Il suffit donc de le laisser agir par lui-même. Le
scientifique a dès lors une mission fondamentale. Non pas prendre le pouvoir, mais bien plutôt construire des machines
qui déposséderont rapidement l’homme de cette tâche dont il s’acquitte fort mal, des machines qui permettront, comme
le dit le mathématicien anglais Alan Turing, qui fut un des pères de l’informatique, de "transformer les intellectuels en
gens ordinaires". il s’agit, là aussi, d’une stratégie de "contournement du pouvoir", qui finira bien par "tomber des
mains" des hommes le jour où les machines auront pris réellement et concrètement la direction des affaires humaines.

Dans ce sens, la pensée de Wiener est une sorte d’anarchisme rationnel car il prône une société sans État où les
régulations sociales s’opèrent de façon rationnelle. "La communication, dit Wiener, est le ciment de la société et ceux
dont le travail consiste à maintenir libres les voies de communication sont ceux-là mêmes dont dépend surtout la
perpétuation ou la chute de notre civilisation." »
M’sieur Wiener, ça doit être un fils d’m’sieur l’comte d’Saint-Simon, y s’souvient Djamel : « Dès son origine saintsimonienne,
y dit m’sieur Musso, l’idéologie de la communication porte en elle la suppression du politique... »

« À propos de la cybernétique, y dit un anonyme, il y a au moins une chose sur laquelle tout le monde s’accorde : Ce
mot dérive d’un mot grec, kubernêtikê, que Platon utilisait pour désigner le pilotage d’un navire.
Il s’est souvent servi de cette métaphore pour présenter l’art véritable de gouverner, celui qui repose sur la sagesse, sur
la connaissance du Bien.
"La cybernétique est l’art de rendre l’action efficace". Cette définition de Couffignal, un pionnier français de la
cybernétique, est celle qui se rapproche le plus de la conception de Platon. Le bon pilote est celui dont l’action est
efficace dans la tempête. "Science du contrôle et de la communication chez l’animal et la machine." Telle est la
définition de Norbert Wiener, l’auteur Cybernétics or control and communication in the animal and machine, ouvrage
paru en 1948. C’est à cet Américain qu’on attribue la paternité de la cybernétique. Norbert Wiener appartient à la lignée
de ceux qui ont repris à leur compte le rêve de Leibniz : des procédés automatiques, semblables à ceux de l’algèbre,
pour accéder à la vérité et, par suite, pour assurer la conduite des guerres et la gouverne des sociétés.

Il n’empêche que le rêve de Wiener est devenu réalité, du moins en ce qui a trait à la conduite de la guerre. À ce propos,
il importe de rappeler que pendant la guerre Wiener a collaboré, avec von Neumann notamment, à divers projets
militaires, comme Shannon l’avait fait de son côté. On sait d’autre part comment le réseau Internet a pris forme dans le
cadre d’un projet du Pentagone. Il était logique que, née en contexte militaire, la cybernétique trouve là son premier
champ d’application.

Quant à l’Atlantide cybernétique,– au rêve d’un être humain d’abord réduit à la machine informatique puis refabriqué
ensuite selon ce modèle – , force est aussi de constater qu’elle a conservé tout son attrait. L’idée, l’image et la réalité de
l’homme-machine, du cyborg sont désormais omniprésentes et le projet d’une nouvelle espèce mi-chair mi-machine
n’est plus limité à quelques illuminés sans influence. Or Wiener et von Neumann font partie de ceux à qui on peut
attribuer la paternité de ce fils de l’homme. Comme nous le rappelle Cécile Lafontaine, "en définissant l’être humain
uniquement en fonction de la complexité de son intelligence, Wiener laisse entendre que la reproduction artificielle d’un
organisme aurait une valeur existentielle identique à celle d’un être vivant."

Ajoutons à ce tableau le fait, souligné également par Cécile Lafontaine, que Wiener a été très influencé par les vues de
John B. Watson, le fondateur du béhaviorisme qui réduit l’homme à ses comportements comme Wiener le réduit à
l’information. Nous voilà devant un homme dépourvu d’intériorité, entièrement façonné et structuré par
l’environnement – dont l’information est un élément tout juste assez libre en vertu de quel principe – pour étudier et
manipuler les circuits dont il est le résultat.
La cybernétique soulève aussi la question de la formation de l’élite dans les démocraties. Manifestement Wiener préfère
le risque d’un gouvernement automatique à celui de la loyauté à un chef. Son projet était destiné à alimenter les utopies
de l’auto organisation, toutes fondées sur l’hypothèse que les chefs, comme Platon et Aristote les concevaient, ne sont
plus nécessaires. »

C’est pour ça qu’y dit m’sieur Lévy : « L’usage des ordinateurs n’accompagne pas la naissance d’une culture nouvelle
dont le corps spécifique, les gestes, la mémoire, le langage et les dieux viendraient peupler un monde. Munis de nos
machines et de nos sciences, nous nous établissons sur une strate bien antérieure à toute culture et qui les supporte
toutes. Nous atteignons le fond sans chair aucune, amnésique, aveugle et infiniment efficace de l’univers. L’univers du
calcul.

L’univers du calcul est la figure contemporaine de la nécessité. Son accession à la dignité de régime planétaire date sans
doute de la Seconde Guerre mondiale. Pour la première fois, toutes les forces qui sommeillaient sur le globe furent
converties par les nations en guerre en ressources à utiliser, mobiliser, optimiser, dans un seul but. De cette expérience
sans précédent devait naître l’ère de la gestion et du « management » triomphant. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle,
appliquée aux systèmes d’aide à la décision, radicalise cette mutation en soumettant à l’optimisation la gestion optimale
elle-même.

La métamorphose de la science en "recherche et développement" s’origine en grande partie dans le conflit géant des
années quarante. Issus de la conflagration universelle, les armes nucléaires et les ordinateurs contribuèrent chacun à leur
manière à constituer la planète en système global aux interactions fulgurantes. Le regard encore terni par l’éclair
d’Hiroshima et l’éternelle nuit des camps, l’humanité s’engageait au sortir de la guerre dans la période de
transformation la plus radicale et précipitée de son histoire. Les mondes incrustés de mémoire, chassés du lit de leur
tradition, se sont dissous par pièces et morceaux dans les voies d’un réseau universel de communication, de calcul et de
mobilisation de la puissance, dont la machine universelle allait rapidement devenir le centre indéfiniment multiplié. (...)

Tout ce qui peut se faire se fera, à plus ou moins longue échéance. »
Et du calcul y en mettent partout, mêm’ qu’m’sieur Pythagore y dit qu’ les nombres créent l’ordre du monde et que
l’essence de la réalité toute entière est contenue dans les nombres.
Et m’sieur Comte Auguste, grand-père d’la sociologie, y rajoute : « Il n’y a pas de question quelconque qui ne puisse
finalement être conçue comme consistant à déterminer des quantités les unes par les autres, d’après certaines relations,
et par conséquent, comme réductible, en dernière analyse, à une simple question de nombres. On le comprendra si l’on
remarque effectivement que dans toutes nos recherches, à quelque ordre de phénomènes qu’elles se rapportent, nous
avons définitivement en vue d’arriver à des nombres, à des doses.

Quoique nous n’y parvenions le plus souvent que
d’une manière fort grossière et d’après des méthodes très incertaines, il n’en est pas moins évident que tel est le terme
réel de tous nos problèmes quelconques. Ainsi, pour prendre un exemple dans la classe de phénomènes le moins
accessible à l’esprit mathématique, les phénomènes des corps vivants, considérés même pour plus de complication, dans
le cas pathologique, n’est-il pas manifeste que toutes les questions de thérapeutique peuvent être envisagées comme
consistant a déterminer les quantités de tous les divers modificateurs de l’organisme qui doivent agir sur lui pour le
ramener à l’état normaI, en admettant, suivant l’usage des géomètres, les valeurs nulles, négatives ou même
contradictoires pour quelques-unes de ces quantités dans çertains cas ? Sans doute, une telle manière de se représenter la
question ne peut être en effet réellement suivie pour les phénomènes les plus complexes, parce qu’elle nous présente
dans l’application des difficultés insurmontables ; mais quand il s’agit de concevoir abstraitement toute la portée
intellectuelle d’une science, il importe de lui supposer l’extension totale dont elle est logiquement susceptible ».
C’est pour ça qu’les sociopathes y z’ont fait la division du travail pour diviser les ouvriers. Un n’ouvrier = un n’ouvrier, et
c’est l’patron qui commande.

« (La bourgeoisie) a noyé les frissons sacrés de l’extase, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petitebourgeoise
dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle
a substitué aux nombreuses libertés si chèrement conquises l’unique et impitoyable liberté du commerce. »
Cyborg ou pas, qu’ell’ dit la soeur à Polo, pour "eux" c’est toujours « le gouvernement de ceux qui savent » comm’ y
voulait m’sieur Platon. L’aristocratie, le gouvernement des meilleurs. Et les meilleurs, c’est les philosophes. C’est-à-dire
Platon, himself. Vu qu’c’est lui qui l’dit, c’est lui qui l’est.

(... à suivre)

Chomdu 24

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