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COLOMBIE... Dans le Chocó, grève pour la dignité et contre l’abandon de l’Etat
Publie le lundi 23 février 2009 par Open-PublishingAvec la grève, le Chocó rappelle au pays qu’il est vivant
Ce 19 février 2009, à l’Est de la Colombie, le Chocó s’est arrêté. Avec des milliers de personnes mobilisées dans les rues, et des manifestations de soutien dans d’autres départements, les habitants du Chocó ont rappelé au pays que leur région continue d’être une des plus oubliées du pays.
Avec une population de 454.000 personnes (Recensement 2005), des fleuves importants qui la traversent (San Juan, Atrato, Baudó), cette porte principale du pays vers le Pacifique, frontière avec le Panama, habitée par des afro descendants et des indigènes des peuples Embera et Waunana, est une belle région colombienne qui souffre d’énormes manques en matière de santé, d’éducation, de services publics, de chômage structurel. Et en matière de routes.
C’est précisément le thème des routes qui a réveillé la rage des habitants. Le 4 février, un autobus de l’entreprise « Rapido Ochoa » qui allait de Medellín à Quibdó et se trouvait à un endroit appelé « El Siete », est tombé dans un précipice. Bilan : Plus de deux douzaines de morts, et autant de disparus.
Tragédie qui avait déjà eu lieu en d’autres occasions, avec des morts au « goutte à goutte » occasionnées par le risque de circuler sur une voie qui n’arrive pas à son but. « La route de la mort », comme on l’appelle populairement, compte 98 kilomètres qui pourraient être théoriquement parcourus en 3 heures. Heures interminables, au dire de bien des gens, car les tronçons trop étroits empêchent de passer en sécurité et font présager que le parcours peut durer plus de 8 heures.
De longue date. Cette route doit être rectifiée et pavimentée depuis la moitié du siècle dernier mais, alors que le gouvernement central l’a annoncé à plusieurs reprises, le manque d’argent a empêché que cela se concrétise.
La douleur réveillée par l’accident de début février a obligé le Ministère des Transports à s’engager à assumer la réparation de la route : Cent mille millions de pesos colombiens (35 millions d’€) ont été assurés. Mais toutes les études précisent que ce montant n’arrivera même pas à couvrir les dépenses pour réhabiliter la moitié de la route. C’est pourquoi le cahier des revendications esigeait que soient versés 100 % du coût des travaux.
Un problème qui en cache beaucoup d’autres
Les gens du Chocó sont de ceux qui souffrent le plus de l’abandon de l’Etat. Pauvreté, malnutrition, manque d’éducation, de santé, de logement… C’est ce que l’on respire au quotidien dans le département. Année après année, on voit de nouvelles catastrophes, mais c’est toujours la même réponse de l’Etat : Des soins palliatifs pour remédier à des problèmes de fond.
On se souvient du scandale qu’avaient déchaîné les enfants morts de dénutrition en 2007. Les statistiques ont révélé une cruelle réalité : De 2000 à 2005, dans ce département, 235 personnes sont mortes à cause d’anémies et de déficits nutritionnels, dûs principalement à la faim. Il s’agissait à 84% de personnes dans un état prévisible de vulnérabilité (enfants de moins de 5 ans et adultes de plus de 65 ans). Quelle réponse a été donnée ? Des ressources restreintes.
Cela met en évidence les procédés du gouvernement national. Selon Juan G. Angel, conseiller présidentiel pour le Chocó : « Le Gouvernement a destiné 2.4 billions de pesos pour le développement socio-économique et la récupération de la viabilité du Chocó. Avec le CONPES 3553 de décembre 2008, les ressources ont été affectées, entre autres, à des programmes de réduction de la pauvreté, d’emploi et de gestion environnementale. Le Département est sinistré en matière de santé, de routes, d’éducation et d’eau potable »
C’est peu pour tant de besoins. Et l’abandon de la région se manifeste également à d’autres niveaux : Dispute militaire à cause de sa riche biodiversité, pour le contrôle du territoire comme zone pour le trafic de stupéfiants et le commerce d’armes, mais aussi comme territoire pour implanter des mégaprojets comme celui des agro carburants, le vieux projet du Canal Atrato-Truando, avec lequel on suppléerait celui du Panama, et les voies qui intègrent le pays aux projets de l’Iirsa, comme la route à travers le Tapón del Darién… Projets qui, les uns et les autres, ont coûté la vie d’une multitude d’habitants de la région et qui, aujourd’hui même, sont la raison pour laquelle les paramilitaires font pression sur les communautés frontalières comme celles du Cacarica, situées dans l’Uraba (Département d’Antioquia).
Un mouvement porteur d’espérance
La mobilisation des habitants de la région a donné des résultats positifs. C’est tard dans la nuit du 19 février que le gouvernement, afin de les démobiliser, s’est engagé à financer à 100 % la route El Siete – Quibdó. Mais il en faudrait beaucoup plus, vu leur détermination (voir le cahier de revendications). On peut sans aucun doute en retirer un enseignement : S’ils agissent comme un seul corps, ils ne peuvent passer inaperçus. Conserver cette unité est fondamental pour obtenir ce qui est demandé, mais pour obtenir également qu’à long terme, les maux structurels dont souffre la région soient une chose du passé.
Grève Générale Départementale !
Jeudi 19 février 2009
Mal nommée, la « route Quibdó-El Siete » est une honte nationale qui porte atteinte à la vie et à l’économie des habitants du Chocó, et à tous les êtres humains obligés de s’aventurer par ce chemin. Ouverte en 1942, on l’appelle la « Route de la Mort » à cause du danger que représente sa chaussée découverte, pleine de nids-de-poule, de bourbiers et de précipices dans lesquels des chutes ont lieu régulièrement. Sur certains tronçons, elle est si étroite que la chaussée ne mesure que 2.50m, ce qui expose les véhicules qui y transitent à tomber dans l’abîme. C’est ce qui est arrivé récemment avec l’autobus « Rapido Ochoa », dans un accident dont le bilan tragique a laissé plus de 40 victimes mortelles.
L’absence d’entretien par l’Institut National des Routes a engendré la détérioration totale du tronçon correspondant au département du Chocó, entre les localités de El Siete et de Quibdó, ce qui entraîne des retards terribles sur le parcours. Un tronçon d’à peine 98 km, qui devrait être parcouru en une heure et demi, prend entre huit et douze heures, ce qui démontre l’état déplorable de ce qui est censé être une route nationale. Fréquemment, des véhicules se retournent et les marchandises sont détruites. Cela contribue à la hausse des prix pour les consommateurs et affecte le budget des habitants qui doivent, en plus de leur extrême pauvreté, assumer les surcoûts engendrés par le manque d’une route digne de ce nom.
Après des décennies de lutte pour qu’elle soit rectifiée et pavée, le Chocó n’a reçu que des promesses non tenues de l’Etat et des gouvernants de tous bords. Elles n’ont servies à rien ces prières que les habitants du Chocó portent depuis plus de 50 ans en espérant le pavage promis de cette voie. Le dernier accident, qui a eu lieu à Santa Ana sur la commune de Carmen de Atrato et où sont mortes plus de 40 personnes, a rempli d’indignation et a fait débordé la patience des gens du Choco. Face à cette tragédie, l’unique réponse du Gouvernement National a été la déclaration du Directeur de Invias qui a affirmé que la voie permettait un trafic normal.
Le Ministre du Transport a éludé la gravité de l’affaire en affirmant qu’il fallait utiliser la route Medellín-Pereira-Quibdó et le Président Alvaro Uribe est venu tardivement à Quibdó pour affirmer avec cynisme que son gouvernement faisait un effort et apportait 70.000 millions de pesos (23 millions d’€) pour un appel à projet sur le pavage du tronçon El Siete-Quibdó, alors qu’en vérité, il y a eu une réduction du budget puisque dans le document CONPES 3536 du 18 juillet 2008, était inscrit l’engagement de destiner 130.000 millions de pesos (43 millions d’€) à ce tronçon. Alors que le Gouvernement a annoncé au niveau national qu’il allait doubler les investissements dans les infrastructures routières pour créer de l’emploi, on ne comprend pas pourquoi, pour le Chocó, au contraire, les budgets sont réduits, et que, de manière cynique, on mente au pays en annonçant des investissements qui ne permettent même pas le pavage de la moitié des 98 km de voie en mauvais état. Cela ne donnera aucune solution réelle, puisque 50 km continueront dans des conditions honteuses. La voie "Las Animas-Santa Cecilia" se trouve dans le même état, alors qu’il est indispensable pour nous, habitants du Chocó, de pouvoir communiquer et échanger des produits avec les départements de l’Axe du Café.
Le Chocó souffre d’une discrimination criminelle à tous les niveaux, sa structure institutionnelle fragile se trouve en banqueroute totale, les indices de la faim, de la pauvreté, de l’indigence, de l’analphabétisme, du chômage, de la mortalité infantile et maternelle, augmentent de manière alarmante, l’espérance de vie se réduit et les communautés se meurent sans aucune espérance de progrès. Pareillement, le secteur éducatif se trouve au bord du colapsus total, avec un déficit financier qui représente plus de 40.000 millions de pesos (13 millions d’€) ; Le système de santé et ses hôpitaux sont en « état d’agonie » ; les désembouchures du fleuve Atrato sont totalement sédimentées en raison des inondations constantes qui menacent la vie et détruisent les récoltes des paysans pendant la plus grande partie de l’année ; Et, comme si tout cela était peu de chose, un secteur des dirigeants du département d’Antioquia prétend nous enlever Bélen de Bajirá, une portion du territoire qui, historiquement, juridiquement et techniquement, est le notre.
C’est pourquoi, en faisant honneur à la dignité de notre peuple et à la mémoire de nos morts, nous présentons au Gouvernement National le cahier de revendications suivant :
Cahier de Revendications
1. Financer l’élargissement, la rectification et le pavage total des 98 km de la voie "Quibdó-El Siete"
2. Garantir la totalité des ressources pour le pavage de la voie "Las Animas-Santa Cecilia"
3. Signer l’accord environnemental et commencer les travaux de la voie à la mer du secteur "Nuquí-Cupirijo"
4. Financer la fin de la voie "Cartago-Nóvita"
5. Draguer les principales désembouchures du fleuve Atrato dans le golfe de l’Urabá et acquérir une drague pour les travaux permanents de nettoyage et d’entretien
6. Rendre au Chocó les sommes payées pour les dettes qui correspondaient à l’ancien FER et remettre le Département dans le groupe typologie 4 au lieu de 1
7. Renforcer le réseau public départemental de santé, au niveau 1, 2 et 3
8. Définir une fois pour toutes le territoire de Bélen de Bajira comme appartenant au Chocó, et transférer les ressources qui lui correspondent, selon le recensement de population effectué par le DANE.
9. Affecter les ressources nécessaires à l’interconnexion électrique des zones du Baudó, de la Côte Pacifique, du Bas et Moyen Atrato et du Bas San Juan
Les choses en étant à ce point, nous lançons un appel général aux commerçants, aux transporteurs, aux organisations syndicales, politiques, communales, religieuses, ethniques, aux corporations, aux étudiants, aux retraités, à toutes les municipalités, aux colonies d’habitants du Chocó qui résident dans le reste du pays, afin que le jeudi 19 février, nous réalisions une GREVE GENERALE pour revendiquer notre dignité comme personnes et comme peuple.
Comité Civique pour la sauvegarde et la dignité du Chocó
Traduction : Coordination Populaire Colombienne à Paris
Source : Desde Abajo