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COLOMBIE : Position de la CUT face à l’Accord de Libre Echange avec l’Union Européenne
Publie le dimanche 29 mars 2009 par Open-PublishingPosition de la CUT face à l’Accord de Libre Echange entre la Colombie et L’Union Européenne
Rencontre avec Raúl Arroyave, Directeur du Département des Relations Internationales de la Centrale Unitaire des Travailleurs de Colombie (CUT).
19 février 2009
Comment évaluez-vous ce qui se passe au sujet de l’Accord de Libre Echange que la Colombie négocie avec l’Union Européenne ?
Regardons d’abord le contexte européen : Le modèle libéral s’y est imposé. Les monopoles européens sont en concurrence avec les monopoles et les grandes compagnies nordaméricaines, japonaises, chinoises et hindoues. Il y a une lutte sur le même marché, pour contrôler les aires stratégiques du monde. Il n’y a pas un espace différent où les monopoles européens pourraient développer leur action dans deux directions : Trouver des consommateurs pour leurs marchandises et leurs technologies d’une part, et trouver des sources de matières premières d’autre part.
De fait, l’Union Européenne est aujourd’hui la première à investir des capitaux : Elle représente 47% des investissements mondiaux à l’étranger, c’est à dire plus du double des Etats-Unis, qui s’élève à 20%. Et donc, ils viennent chercher ici la même chose que les nord-américains : Rééquilibrer leurs taux de profits et employer une main d’oeuvre pas chère, presque réduite à l’esclavage, ce qui affectera les travailleurs de leurs propres pays qui vont perdre leurs emplois, voir se réduire les droits du travail et les bons salaires qu’ils ont encore. Et qu’ils sont déjà en train de perdre... Car depuis de nombreuses années, les politiques sociales, les droits du travail et l’investissement dans le social reculent en Europe. Les taux de chômage sont hauts, supérieur à 10% en Espagne par exemple, avec une diminution des allocations chômage. On le ressent aussi au niveau des programmes de Santé. Et puis, on est entré dans une vague de haine envers les migrants étrangers, qui se traduit par la prison et la répression brutale de ceux qui sont trouvés sans papiers. Il faut ajouter à cela que ce sont des pays qui ont une vieille tradition colonialiste, de "rapace". Ils sont devenus riches par l’opression sur les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine.
Et bien, je dis que cet Accord de Libre Echange est essentiellement le même, ou encore plus "rapace" que celui des Etats-Unis, car la base de la négociation est la même. Avec les Etats-Unis, on a signé par exemple que la période de protection des données de la propriété intellectuelle était de 20 ans. L’Union Européenne en demande 25. Il en va de même pour les brevets sur les médicaments pour lesquels les Etats-Unis en sont restés à 5 ans, alors que l’Europe en demande 11. La chose est si grave que nous finirons par regretter l’Accord de Libre Echange avec les Etats-Unis !
A votre avis, pour nous colombiens, l’Accord de Libre Echange avec l’Europe, c’est un nouveau débarquement colonialiste ?
Oui, pour tout ce que j’ai dit auparavant. Mais en fait, ce n’est pas vraiment nouveau. Sans Accord de Libre Echange, l’Europe est déjà ici depuis longtemps, avec des investissements quelquefois plus importants que ceux des Etats-Unis, dans des secteurs clés de l’économie, comme l’énergie, avec Union Fenosa. Une bonne partie des services publics, comme celui de l’eau, est sous le contrôle de Aguas de Barcelona, monopole espagnol ; et ils sont rentrés sur le marché financier avec les Banques Santander et BBVA. Ils sont dans le pétrole, le ferronickel et le charbon ; et dans les télécommunications avec Movistar.
Quel est le regard de la CUT sur l’Accord de Libre Echange avec l’Union Européenne, comparé à l’Accord de Libre Echange avec les Etats-Unis ?
Nous sommes préoccupés parce que l’Accord de Libre Echange avec l’Union Européenne est en train de passer en catimini, sans grand débat, ni compréhension des maux qu’il peut nous causer. Pour l’Accord de Libre Echange avec les Etats-Unis, le mouvement syndical colombien avait compris clairement dès le début ce que cela signifiait pour notre pays, et il y a eu un large mouvement social de refus, qui a contribué à bloquer la ratification du traité au Congrès des Etats-Unis.
Mais, pendant ce temps, personne n’a fait attention à l’Accord de Libre Echange avec l’Europe, qui se trame depuis plusieurs années, depuis que l’Organisation Mondiale du Commerce a échoué dans sa politique de libéralisation globale suite à la résistance de pays qui ont une production agricole importante, comme l’Argentine et le Brésil, qui avaient refusé d’accepter les accords si l’Europe ne supprimait pas les subventions à son puissant secteur de l’agriculture. Quand l’OMC s’est paralysée, les européens ont vu qu’ils devaient venir dans la zone des pays andins pour chercher des traités de libre échange. Mais comme dans cette zone, individuellement, le marché de chaque pays est très petit, la directive était de négocier en "bloc", avec la Communauté Andine des Nations, sans le Vénézuela, ce qui représente une population de 97 millions d’habitants. Puis la négociation par "bloc" a également échoué, ils ont alors cherché à tout prix à la mener individuellement avec la Colombie, le Pérou et l’Equateur, pays riches en ressources naturelles comme le charbon, le fer, le nickel, le pétrole, et avec une population laborieuse et productivement efficace. En plus, ce sont des pays où l’avancée du néolibéralisme a anéanti les droits des travailleurs, où prédominent la sous-traitance et les coopératives de travail associé, avec des salaires de misère, ce qui est très favorable à l’investissement étranger. C’est pour ça que l’Europe vient. Et ce qui grave, c’est que des dirigeants du mouvement syndical regardent l’Accord de Libre Echange comme quelque chose de bon pour le pays.
Pourquoi ?
L’Union Européenne a astucieusement revêtu son Accord de Libre Echange de l’habit des accords humanitaires. Ils ne nous les présentent pas comme des accords de commerce mais comme des accords d’association qui incluent du dialogue social, de la coopération, du dialogue politique. En fait, ce ne sont que des écrans pour cacher la nature prédatrice de l’accord et pour tromper les syndicalistes. L’Union Européenne a dépensé 280 millions de dollars en événements et cours pour apaiser les esprits et les rendre "adéquats", ils ont réussi à endormir et à semer la confusion. Et c’est derrière ce financement qu’il y a manipulation. Certains organismes multilatéraux, qui apparaissent comme neutres, se sont pris au jeu. C’est le cas du Conseil Consultatif Andin du Travail, qui est supposé être un organisme des syndicats pour réfléchir aux problèmes de l’intégration. Ce conseil s’est réuni dans la ville de Salinas avec le Conseil Consultatif Andin des Entreprises, et il a fini par faire une déclaration donnant un avis favorable à l’Accord de Libre Echange avec l’Union Européenne. La CUT n’a pas signé cette déclaration.
Pour en revenir au manque de débat autour du projet d’Accord de Libre Echange avec l’Union Européenne, diriez-vous qu’il est en train d’être négocié dans le dos du pays ?
Totalement dans le dos de la société civile, et beaucoup trop rapidement. Il y a eu très peu de diffusion et les informations ont été biaisées. Il ne faut pas oublier que deux des grands médias, Caracol et El Tiempo, sont espagnols. Ce qui a filtré, c’est la gêne qu’avait provoquée les européens avec leurs demandes excessives concernant la propriété intellectuelle et les brevets sur les médicaments. Le ministre Luis Guillermo Plata, au lieu de protester, a simplement dit qu’il était normal que les européens arrivent avec des prétentions élevées parce qu’une négociation se passe comme ça : Il faut demander beaucoup pour finalement lacher du lest... Et la Colombie finira par leur donner quelque chose en plus !
La CUT a-t-elle une stratégie face à l’Accord de Libre Echange avec l’Union Européenne ?
Au moins, nous comprenons le problème, et c’est d’ores et déjà devenu un thème central dans les discussions de la CUT. Pour le cinquième tour des négociations qui aura lieu à Lima, et le sixième tour qui aura lieu à Bruxelles, il faut redoubler nos efforts pour qu’il y ait autant d’agitation sociale que celle qu’il y avait eu avec l’Accord de Libre Echange avec les Etats-Unis, afin que le Gouvernement colombien ne signe pas impunément un traité qui a des conséquences négatives pour le pays. Nous venons d’écrire à Victor Báez, président de la Confédération Syndicale des Amériques, en lui demandant de convoquer un sommet syndical andin sur ce thème, en espérant arriver à une stratégie unifiée. Nous espérons que ce sommet formulera des consignes de mobilisation et de dénonciation, comme nous l’avions fait pour l’Accord de Libre Echange avec les Etats-Unis.
Les syndicats des Etats-Unis se sont alliés à la lutte des syndicats colombiens contre le TLC. Y a-t’il une relation semblable avec les syndicats d’Europe ?
Non, ce n’est pas pareil. Parce que le mouvement syndical en Europe s’est acoquiné avec les gouvernements. Ils ont fini par définir une stratégie patriotarde qui peut réussir aussi à confondre les travailleurs colombiens. Il faut aller leur dire exactement ce que nous avons dit à ceux de l’AFL-CIO des Etats-Unis : Vous ne pouvez pas soutenir l’Accord de Libre Echange pour une simple raison... Vous allez perdre vos emplois en Europe à cause des emplois "poubelles" que les entreprises européennes trouveront en Colombie : Des emplois sans une juste rémunération et sans droits syndicaux. L’idée, c’est d’arriver rapidement à ce que les syndicats européens livrent une sérieuse bataille contre ça.
in RECALCA - Réseau Colombien d’Action Face au Libre Echange.
Trad° : Coordination Populaire Colombienne à Paris
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