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CRÉOLE RÉUNIONNAIS ET FRANÇAIS : LANGUES PARTENAIRES
Publie le jeudi 14 septembre 2006 par Open-PublishingLaurence Daleau, Yvette Duchemann, Axel Gauvin et Fabrice Georger : quatre enseignants de Langue et Culture Régionales (LCR), membres de l’association “Tikouti” ont travaillé durant trois ans, confrontant leurs points de vue et expériences professionnelles dans un essai, se basant sur des données scientifiques, pour aboutir à la publication de leur livre : “Oui au créole, oui au français”. Ils poursuivent le débat sur le créole à l’école, ouvrent les portes à de nouveaux échanges, ne veulent pas imposer mais convaincre.
CULTURE ET IDENTITÉ
C’est en grande partie pour tenter de répondre, de façon simple mais non moins rigoureuse, aux idées reçues contre le créole réunionnais, partant de leurs expériences d’enseignants LCR mais aussi de témoignages de linguistes, socio et psycho linguistes sur la place de la langue dans notre société et sa perception dans l’esprit des gens, que les auteurs ont décidé d’écrire ce livre, qui se compose d’un essai suivi d’entretiens avec des enseignants et des chercheurs.
Un espace de pédagogie intégrée
À ceux qui aborderaient cette initiative avec des arrières pensées politiques, Axel Gauvin dément une quelconque appartenance. "Le créole est à tout le monde. Il doit avoir sa place dans notre société", d’autant que "le créole est une de nos deux langues qui tient dans nos sentiments une place à part." Bien que la réflexion sur la place du créole réunionnais dans l’enseignement date de plusieurs années, "ce n’est pas pour autant que l’on possède toutes les données", poursuit Axel Gauvin. Et la raison fondamentale qui conduit les auteurs, enseignants, à défendre cette place est avant tout pédagogique. Tous les élèves ne sont pas égaux devant nos deux langues. Du primaire au secondaire, certains n’ont pas le niveau requis en français, mais l’ont en créole. Pour ces élèves, avec l’accord de leurs parents, un espace de pédagogie intégrée créole français peut être mis en place. Cela permet d’insister sur les différences de vocabulaire qui existent entre les deux langues afin d’éviter les interférences et les faux amis, d’enseigner des notions grammaticales à partir du créole, de comprendre la structure des langues permettant ainsi à l’élève bilingue d’acquérir des bases de connaissances utiles pour l’apprentissage de toute autre langue. Loin de chercher à opposer nos deux langues, cette pédagogie de la comparaison, ludique, permet de mieux les repérer.
L’enfant bilingue
Avec près de 110.000 illettrés, un taux d’échec scolaire important, "la question pédagogique concerne l’ensemble de la société réunionnaise." Pour Fabrice Georger, "les gens sont réticents, ont peur de cette question du créole à l’école. Il améliorera selon nous les acquisitions générales." Après deux ans d’enseignement dans une classe bilingue de maternelle à la Rivière des Galets, Fabrice Georger a pu constater que "les élèves repèrent beaucoup mieux les énoncés en créole et en français alors que beaucoup mêlent les deux." Alors qu’en maternelle, la priorité est la maîtrise de la langue, il souligne "que l’enfant s’exprime avec un débit plus élevé." L’enfant prend aussi plaisir à parler et jouer avec les deux langues. Pour Laurence Daleau, son expérience d’enseignante LCR dans une classe de CM2, lui a permis de constater un véritable rapprochement entre les générations, "de resserrer les liens sociaux." Selon les auteurs, lorsque les parents sont informés, ils adhérent massivement à cette forme d’enseignement. Reste à convaincre et surtout à bénéficier des moyens pour le faire.
Faire bouger les mentalités
Les auteurs souhaitent vivement que le maximum de personnes s’approprient cette lecture. C’est un livre grand public qui aspire à susciter "un débat tolérant, ouvert, sans sectarisme." La personne qui s’oppose au créole à l’école est simplement "une personne à convaincre", explique Axel Gauvin, mais jamais un opposant. L’intérêt reste la langue et l’épanouissement humain et scolaire des enfants. Il faut changer les représentations de l’enseignement du créole et pour en parler, il faut argumenter, avoir un minimum de connaissance des réels enjeux qui portent sur l’apprentissage des deux langues pour espérer au final améliorer les résultats scolaires, pour que les enfants se sentent à l’aise avec leurs deux langues. "On est face aujourd’hui à un débat social, poursuit Axel Gauvin. Pour ou contre, tout le monde a une idée dessus." Seul on ne parvient à rien, "il faut continuer à discuter." Et c’est au fil des échanges que les problèmes se dégagent, au fil des confrontations d’idées et des discussions qu’ils trouvent des solutions. Il faudra encore plusieurs dizaines d’années, de palabres fructueuses, souhaitons-le, et d’expérimentations pour convaincre. Il faudra encore et encore rappeler que promouvoir le créole ne signifie en rien s’opposer au français, au contraire, les deux démarches sont liées : défendre le français et le créole c’est se battre pour la diversité linguistique et culturelle mondiale.
Stéphanie Longeras
6 ans après l’extension de la loi Deixonne aux créoles
6 ans après la reconnaissance officielle du créole, les choses évoluent mais lentement car il s’agit avant tout de changer les mentalités. Cette loi "a transformé notre relation avec le créole et avec le français, précise Axel Gauvin. Plus on donne de droit au créole plus on est libre de se battre pour le français. Si on nie le créole, je me referme. Oui au français, il y a 6 ans, on ne l’aurait peut-être pas écrit." Ce fervent militant de la langue, refusant son appauvrissement, tient à rappeler que "le créole est appris pour lui-même, en lui-même, ce n’est pas le marche-pied du français. Qu’on le veuille ou pas, le créole est déjà là à l’école, dans la cour de récréation, à la cantine. On ne peut pas faire comme si on le laissait à la porte de la classe." On ne peut pas progresser dans les deux langues si l’on ne maîtrise déjà pas sa langue maternelle. Si l’on ne tient pas compte de l’une d’entre elle, c’est la catastrophe.
Créole à l’école : "un débat social"
Article paru dans Témoignages le jeudi 14 septembre 2006