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CULTUREs et InDEPENDANCES

Publie le vendredi 26 novembre 2004 par Open-Publishing

Dans le cadre du festiv’alternatif une passerelle a été tendue entre l’artitistique et le "politique". Fruit de la réflexion : ce texte qui remplira les colonnes rouges et vertes, en remerciant par avance Tarace Boulba inspirateur de cette contribution

Amazyr sera à la journée sans Achats samedi soir à Alternation...

ENGAGEMENT et Musique à l’heure du « tout-économique »

Qui a dit qu’« un artiste engagé, c’est un artiste...qui a un contrat » ? La formule est cynique, mais elle plante le décor : quel sens, quelle utilité, quelle crédibilité peut-on aujourd’hui donner à un engagement artistique dans la musique ? Quelques pistes de réflexion au royaume du mix. musical.

Le niveau le plus direct de l’engagement se situe d’abord au niveau du contenu des chansons et notamment des textes : critique du système, dénonciation d’inégalités, revendications sociales. « Un tract ne se lit qu’une fois, une chanson s’apprend par cœur » dit l’adage. La « chanson engagée » a en effet toujours joué un rôle[1] significatif dans l’éveil des consciences, la mobilisation des énergies, la transmission de la mémoire des luttes ou encore l’agitation d’idées. Par ailleurs, il serait faux de croire que dans nos sociétés « modernes » qui se gargarisent de leur liberté d’expression, le maniement du bâton de la censure soit tombé en désuétude. En effet, les gardiens de l’ordre moral veillent toujours : par exemple, le Ministère de l’Intérieur a récemment porté plainte contre le groupe de Rap « La Rumeur » pour « diffamation ».

Un deuxième niveau d’engagement consiste à combiner actions artistiques et actions militantes et politiques : Zebda avec « les motivé-e-s », Noir Désir et son aide au Gisti (association de soutien aux immigrés), ou plus récemment encore, les Têtes Raides et leur « avis de K.O. Social », concerts militants entrecoupés d’intervention d’associations.

Le contexte a cependant évolué, par rapport aux années 50 par exemple, où des chansons comme « le Déserteur » de Boris Vian ou « le Gorille » de Brassens étaient interdites de diffusion à la radio et à la télévision.

Ainsi, à notre époque formidable du libéralisme sauvage mais parfumé, où tout peut se marchandiser même la contestation, où presque tout peut se dire pour peu que cela puisse se vendre, un engagement artistique se limitant au contenu des chansons perd un peu de sa force. Les chansons peuvent en effet être récupérées et transformées en produits de grande distribution, comme cela été un peu le cas avec les derniers (très bons) albums de Zebda (« Utopies d’occase ») et de Noir Désir (« Des visages, des figures ») tous deux produits et distribués par la major du disque Universal.

De fait, la censure agit moins de nos jours sur le plan du contenu que - de manière moins apparente mais plus redoutable - sur le plan économique : l’accès aux moyens de production mais surtout de distribution et de diffusion devient l’enjeu principal dans tous les domaines de la culture (musique, cinéma, livres...) et pose de grandes difficultés à toutes les structures indépendantes et alternatives.

En effet, il est de plus en plus dur d’arriver à réaliser, à faire connaître et à diffuser son travail artistique, à l’heure où l’art et les médias deviennent des industries oligopolistiques dominées par quelques « majors[2] » ; majors qui contrôlent à la fois la production et la distribution (c’est la fameuse « convergence », si chère à Messier...) ; majors qui imposent un formatage de la création dans le but de pouvoir la vendre comme n’importe quelle autre marchandise de grande consommation.

C’est là que l’engagement artistique peut reprendre du sens : dans sa capacité à créer et à diffuser son travail artistique avec un maximum d’indépendance à l’égard des majors de la culture et des médias, contaminées par le virus du profit et transformées en industriels de la grande distribution.

Un mouvement de fond est d’ailleurs en train de se développer dans cette direction : ces dernières années, plusieurs artistes « engagés » et reconnus se sont lancés dans des démarches d’autoproduction (voire d’autodiffusion) mais aussi de création de leur propre label pour produire et/ou diffuser d’autres artistes. C’est le cas par exemple (bien sûr la liste n’est pas exhaustive...) des Têtes Raides, des Ogres de Barback, de Serge Utgé-Royo, de Tryo ou plus récemment encore de Manu Chao[3].

Ces artistes mettent ainsi en pratique le discours critique de leurs chansons et leur désir d’alternatives plus solidaires. Armés de leur expérience, leur notoriété, voire de leurs moyens financiers, ils ont un rôle déterminant à jouer en contribuant à dessiner des perspectives alternatives pour la production et la diffusion artistiques. Ils sont, de fait, porteurs d’espoir pour tous les artistes et structures d’édition/production qui refusent la « marchandisation » de l’art et de la culture.

Plus que jamais, l’autogestion et la solidarité s’affirment comme des valeurs et des moyens essentiels de lutte contre le bulldozer néolibéral, dans le domaine de la musique - et plus généralement de la culture.

Amazyr


[1] Cf. le récent ouvrage de Larry Portis aux éditions CNT « La Canaille ! Histoire sociale de la chanson française » (panorama de la chanson engagée de la Révolution française à nos jours).

[2] Ces majors de l’édition/production (musique, cinéma, livres) sont souvent filiales de groupes d’armement (ex : Lagardère), de conglomérats industriels (ex : Vivendi) ou financiers (ex : Wendel).

[3] Les Têtes Raides ont auto-produit leur dernier album « Qu’est-ce qu’on se fait chier » via leur structure « Jamais J’dégueule » et ont aussi créé leur propre label « Mon Slip » qui produit notamment Loïc Lantoine.

Les Ogres de Barback s’auto-produisent depuis le début, et ont créé leur propre label « Irfan ».

Serge Utgé-Royo s’autoproduit via la structure « Edito-Hudin » et (co-)produit également d’autres artistes comme Dominique Grange.

Tryo dispose de sa propre structure de production « Salut Ô » qui a produit leur dernier album « Grain de sable » mais aussi le groupe La Rue Kétanou.

Manu Chao a quitté la major Virgin pour créer sa propre structure « Radio Bemba » qui produit sa dernière œuvre « Sibérie m’est contéée ». Il a aussi récemment produit le dernier album d’Amadou & Myriam.