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Ce que "la paix" signifie vraiment pour les Israéliens

Publie le dimanche 7 août 2005 par Open-Publishing

en pièce jointe, ma traduction d’un texte très interessant lu sur l’"Electronic Intifada", écrite par une ex-Israélienne, sur la psychologie de ce peuple.


Avigail Abarbanel,
The Electronic Intifada,
21 janvier 2005

Il y a deux mois, je suis rentrée d’une visite familiale de 2 semaines en Israël. Bien que militante pour les droits des Palestiniens, j’ai décidé que cette visite serait entièrement privée. Vivre pendant deux semaines avec mon frère, sa femme et leurs deux petites filles dans leur minuscule appartement d’une banlieue nord de Tel-Aviv, m’a fourni l’occasion d’observer et de voir comment se passe la vie pour les Israéliens, ces temps-ci..

Je n’ai rien fait de spécialement remarquable. J’ai fait de longues balades dans les rues de Tel-Aviv et rendu de nombreuses visites aux lieux que je connaissais autrefois. J’ai fait mes courses au supermarché du quartier et j’ai bu un café au centre commercial du coin. J’ai regardé la télé et je suis même allée au gymnase. Pendant deux semaines, j’ai mené la vie ordinaire des gens de Tel-Aviv. J’ai peu parlé, mais beaucoup écouté. Je parle hébreu couramment, donc je me suis fondue facilement dans la population, et les gens parlaient librement autour de moi. Les médias australiens insistent sur la dureté de la vie pour les Israéliens, et je voulais voir par moi-même.

Ce qui est le plus évident dans la société israélienne est son profond sentiment d’insécurité. Ils ont peur, ils sursautent à chaque instant, et vivent dans une angoisse profonde. Ce n’était rien de nouveau pour moi, mais il semblait bien y avoir quelque chose de plus aigu. Quand une bombe a explosé au marché Ha’carmel au centre de Tel Aviv, j’étais au gymnase. J’ai regardé autour de moi et en quelques instants, tout le monde avait sorti son portable, donnant des nouvelles ou en demandant à leurs proches. Juste à côté de moi dans la section haltérophilie, une jeune femme a soupiré pour elle même d’un ton angoissé, « pas encore ».

Depuis mon adolescence, j’ai l’habitude qu’on fouille mes sacs à chaque fois que je pénètre dans un lieu public comme un cinéma ou un supermarché n’importe où en Israël. En dépit de mes 13 ans en Australie, j’avais gardé le vieux réflexe d’ouvrir mes sacs. La différence cette fois-ci était que les vigiles ont aussi un détecteur électronique pour scanner votre corps. Ces jours-ci, même les petits commerces comme les restaurants et les cafés avaient leurs propres gardes à l’entrée. Le restaurant ajoute une petite « taxe de sécurité » à votre note pour aider à payer le garde, mais on n’est pas obligé de la payer.

Les Israéliens ont toujours parlé de la paix, ils l’ont chantée, crée de l’art et de la poésie à son sujet comme si c’était quelque chose de presque surnaturel, une espèce de paradis qu’ils désirent de loin mais qui n’a rien à voir avec leur réalité quotidienne, et qu’ils ne savent pas créer. Ce que la paix veut vraiment dire pour ces Israéliens épuisés et angoissés est qu’on les laisse tranquilles. J’ai trouvé triste et perturbant de voir avec quel désespoir les Israéliens s’accrochent à ce qu’ils pensent être la « normalité ». Ils meurent d’envie d’être « comme tout le monde » dans tout autre pays occidental, d’aller travailler, d’aller faire leurs courses ; de sortir au café avec leurs amis. Lorsque des militants palestiniens perturbent à l’occasion cette routine de « normalité », ils se sentent outragés et désespérés. Je peux les comprendre jusqu’à un certain point. Après tout, une des raisons principales pour lesquelles j’ai quitté Israël était que je trouvais que la vie y était insupportable.

Quand la vie est si difficile, je suppose qu’il est humain de souhaiter que nos difficultés disparaissent. C’est ici que le vrai problème se situe. Quand un individu, un groupe ou toute une société vivent avec un sombre secret, ou que quelque chose d’important est nié dans leur vie, ils ne peuvent pas connaître la paix. Il est tout simplement impossible de vivre une vie « normale » ou tranquille fondée sur des mensonges et sur le secret. Nier le nettoyage ethnique des Palestiniens en 1948, essayer de ne pas penser aux conséquences de ces longues années d’occupation brutale, et tout simplement souhaiter que tout disparaisse n’est rien d’autre qu’un rêve.

En thérapie familiale, on part du principe que la paix ne peut vraiment advenir à moins que les injustices graves ne soient réparées. Les familles qui protègent leurs noirs secrets paient toujours un prix fort. J’ai vu à la télé israélienne des intellectuels se lancer dans des discussions acharnées pour essayer d’analyser pourquoi les choses vont si mal en Israël. Ils trouvaient toutes les raisons possibles et imaginables, sauf la plus évidente-l’histoire d’Israël. Cela faisait mal à voir, mais c’était tellement familier. Je n’ai jamais vu une société autant plongée dans le déni que la société israélienne.

L’éventail complet des politiciens israéliens est dans le déni de l’histoire d’Israël, et c’est pour cela que j’ai peu d’espoir dans la gauche israélienne. La poignée de ceux qui ne sont pas dans ce déni, comme le docteur Ilan Pappe, ou le docteur Uri Davis, sont en dehors de ces cercles- là. Les recherches qu’ils effectuent sur les événements de 1948 et les circonstances de la naissance de l’Etat d’Israël ne sont pas discutées en public, et sont absents des livres d’histoire. L’Israélien moyen ne sait même pas qui c’est. Quoique publiés par des éditeurs du sérieux de Cambridge University Press, les livres d’Ilan Pappe ne sont toujours refusés à la publication en hébreu. La raison avancée pour ce refus est qu’ils manquent de diplômes universitaires.

La plupart des Israéliens perçoivent leur propre histoire comme s’ils avaient toujours été les faibles victimes. La question de savoir s’il était moralement juste ou même sage de créer un état aux dépends d’un autre peuple n’est jamais soulevée. Dans le grand public, personne ne met en doute la validité de la démocratie en Israël, alors que la citoyenneté dépend de la race (on ne peut devenir citoyen israélien que si l’on peut prouver que notre mère est juive).

Quand les Israéliens s’assoient à la « table de négociation », il est important de comprendre leur position de base. Une solution qui va au cœur du problème ne les intéresse pas vraiment . Ils sont semblables à un individu qui veut que ses symptômes s’en aillent, mais qui refuse de s’attaquer à leurs véritables causes. Le vœu « d’être laissé tranquille » n’est pas une base sérieuse pour une paix durable, en tous cas pas sans une nouvelle phase de nettoyage ethnique. Cinq millions de Palestiniens sont là pour rappeler à Israël son passé, et ils ne sont pas près de disparaître.

Si un jour vient, et j’espère qu’il viendra, où les Israéliens décident de cesser de vivre dans le déni, ils devront se rendre compte que la paix véritable ne viendra que par la justice. Dans ce contexte, la justice signifie une chose, que l’idéal d’un état exclusivement juif au prix du sacrifice d’un peuple tout entier devra peut-être être abandonné. Un état binational et le droit au retour pour les réfugiés palestiniens ne feront que s’approcher de la réparation de certaines des injustices commises en 1948 et depuis lors. Ayant été nettoyés ethniquement, c’est aussi ce à quoi les Palestiniens ont droit d’après les lois internationales et la simple humanité.

Cela pourrait être l’expiation d’Israël. Ce sera aussi l’occasion pour Israël de se libérer de ce fardeau de culpabilité qui, je pense, fait de leurs vies et de celles des Palestiniens un cauchemar. Oui, ce sera un défi. Mais il offrira une possibilité de paix réelle et durable pour les Israéliens comme pour les Palestiniens, pour toute la région peut-être. Continuer avec la mentalité et la politique de déni ne mènera nulle part, et continuera à coûter des vies et le bien-être d’encore plus de gens et de communautés.

Avigail Abarbanel est une ancienne Israélienne qui a été sergent dans l’armée israélienne. Elle est psychothérapeute / conseillère en secteur libéral à Canberra en Australie, et milite pour les droits des Palestiniens.