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Chauveau Raymond : grève des travailleurs sans papiers
Publie le vendredi 23 avril 2010 par Open-PublishingIntervention 17 avril 2010.
de Chauveau Raymond
Le 15 avril 2008, la Cgt et deux associations, Droits devant !! et l’organisation de Femmes Egalité, lançaient ce premier mouvement coordonné de grève de travailleurs sans papiers pour leur régularisation. Les travailleuses sans papiers travaillant dans l’aide à la personne ne feront pas formellement grève, mais soutiendront et appuieront de bout en bout le mouvement et ces objectifs comme elles continuent de le faire aujourd’hui.
Dans les semaines qui suivront le 15 avril 2008, nos camarades de Solidaires, impulseront à leur tour quelques piquets de grève.
Avec ces 300 grévistes du 15 avril 2008, qui deviendront 2000 au fil des semaines, nous nous sommes battus bec et ongle, piquet de grève par piquet de grève pour arracher la régularisation des camarades. Régularisation que nous finirons par obtenir, si on peut faire une moyenne, après 4/5 mois de grève avec des piquets indéboulonnables, des grévistes littéralement accrochés à l’entreprise.
Mais comme il y a toujours des exceptions à la règle, ce sont les camarades de Manpower qui font mentir ces chiffres, puisque c’est seulement aujourd’hui qu’ils viennent de sortir de la grève après 17 mois de lutte. Nous pouvons les applaudir !
Avec ce qu’il est convenu d’appeler "la grande grève" de 2008, je ne sais quel qualificatif, les journalistes vont pouvoir trouver pour celle ci, nous avons fait reculer le tout premier ministre du tout nouveau ministère de l’immigration et de la soit disant intégration nationale : Brice Hortefeux. En fait nous venions de mettre un énorme coin dans la politique de N.Sarkozy qui venait d’être élu avec le programme que l’on sait notamment en matière de lutte contre les immigrés et en particulier contre les travailleurs "sans papiers".
Comme, avait déjà reculé le ministre de l’intérieur de l’époque, également un certain N. Sarkozy, quand les travailleurs de Modeluxe et de Buffalo Grill s’étaient mis en grève respectivement en octobre 2006 et en juin 2007. Le ministère de l’immigration et de la désintégration n’avait pas été encore inventé !
La grève entre les mains des travailleurs, nous le savons tous, est une arme puissante, une arme de destruction massive… contre le camp d’en face. Mais la grève pour pouvoir être victorieuse à besoin d’une direction, d’une orientation.
En 2008, les dernières semaines de grève ont été longues, très longues. Je revois encore les camarades du dépôt de Véolia quasiment prisonniers dans leur tout petit local à Wissous et qui ont su tenir le choc, malgré toutes les pressions. Ils n’ont pas forcément compris quand nous avons lancé la deuxième vague, alors qu’eux n’avaient pas l’ombre d’un récépissé en poche. En tout cas cette décision avait été tout à fait judicieuse pour les grévistes de Véolia, comme pour l’ensemble du mouvement. Comme, le sera celle de septembre 2008, quand en face, à nouveau ils nous faisaient lanterner, et que nous avons décidé l’occupation du oh combien prestigieux restaurant "La Tour d’Argent".
Un jour nous écrirons l’histoire de cet acte I. La première vague, la deuxième vague…et tout le reste. Et chacun vérifiera une fois de plus que l’unité est une véritable lutte, une lutte entre d’une part les positions qui prennent appui sur la détermination et l’engagement des travailleurs qui se battent et d’autre part les positions de celles et de ceux, qui englués dans la comptabilité boutiquière du nombre des sacrifices déjà engagés, finissent par dire, qu’il faut rendre les armes parce que : "vous savez camarades c’est pas possible de gagner parce qu’en face finalement ils sont trop forts !"
Nous avions déjà eu le débat en 2008. Nous l’avons mené et 2800 travailleuses et travailleurs sans papier ont été régularisés.
Que n’avions nous pas entendu déjà le 15 avril 2008, de la part de tous ces amis qui nous voulaient que du bien et qui parlaient au nom d’un "mouvement de sans papiers". Avec ces grèves de travailleurs, nous faisions le jeu de N. Sarkozy, nous étions pour l’immigration choisie, l’article 40 c’était un piège, et nous divisions le mouvement des "sans papiers" parce que nous ne prenions pas en compte les "isolés" comme ils disaient… Faut-il rappeler que toute lutte à sa propre dialectique, et à plus forte raison quand il s’agit de grèves jusqu’alors inconnues tant par leurs objectifs, que de la façon dont elles se mènent. Il nous a fallu tâtonner, il nous a fallu apprendre y compris du camp d’en face, il a fallu que le mouvement syndical et en particulier la Cgt rattrape son retard sur le sujet.
Aujourd’hui nous pouvons dire que nous y sommes. Et nous pouvons dire que tous ensemble engagés dans cet Acte II, nous contribuons à enrichir et ce, depuis des mois et des mois, l’histoire du mouvement ouvrier de notre pays.
Cette grève est juste, légitime. Et une bonne fois pour toute, il faut la soutenir de toutes nos forces. Il faut qu’elle gagne ! Et si vraiment certains ou certaines forces rechignent à le faire où si elles ne peuvent pas faire autrement, mais le font de manière biaisée, qu’elles le fassent au moins pour les travailleurs avec un grand T et tous ces grévistes avec un grand G. À moins que l’on finisse par nous dire que cette grève est gauchiste ou réactionnaire (c’est au choix) et ferait le jeu du gouvernement et de N.Sarkozy !
Mais franchement que l’on ne voit plus, sur des piquets de grève comme cela s’est passé, il y a deux jours sur le piquet d’Activ intérim rue du Rocher, des militants tentés de débaucher des camarades pour essayer de les emmener à la préfecture pour qu’ils déposent leur dossier. Ces gens ne sont pas très malins, ils ont laissé leur nom. À moins que cela ne soit des alias et des flics en civil ?
Mais dans tous les cas et par de là la polémique, avec cet exemple vrai de vrai, nous mesurons où se situe aujourd’hui, maintenant, l’enjeu politique majeur du mouvement engagé depuis le 12 octobre 2009.
Allons nous céder, aux injonctions d’un E.Besson qui par tous les moyens, policiers, juridiques, duperies et autres manœuvres patronales… veut arriver à faire valider coûte que coûte sa circulaire du 24 novembre par le dépôt d’un nombre significatifs de dossiers de grévistes ?
Le Monsieur, n’en doutons pas une minute, avec ces services tient une comptabilité précise du nombre de dossiers déposés. Et soyons sûr d’une chose, il attend que l’objectif qu’il s’est fixé soit atteint, pour nous organiser une conférence de presse dont il a le secret et justifier par le poids du nombre la validité de sa politique. Il procède de cette manière pour les expulsions, pourquoi voulez-vous qu’il fasse autrement avec sa circulaire ?
Aujourd’hui avec cet Acte II, ce sont 6263 camarades qui ont leur carte du mouvement et qui pour la grande majorité d’entre eux sont encore en grève. Petite réflexion pour mes amis comptables : "messieurs, pouvez-vous citez une grève de longue de très longue durée où TOUS les grévistes restent du matin au soir sur leurs lieux de grève" ?
Cette façon mathématique d’appréhender les grèves me fait inéluctablement penser à ce qui se passe aujourd’hui à la Sncf où la direction par tous les moyens essaye de faire passer le message que le mouvement de grève ne serait pas légitime parce que limité. Il faut défendre et soutenir toutes les grèves qui se mènent en ce moment dans le pays. Elles sont toutes légitimes. Celle de nos camarades-cheminots pour leurs conditions de travail, de salaire et pour la défense du service public, comme les autres. Comme celle des travailleurs sans papiers pour leur régularisation.
Avec cet Acte II, nous avons réussi, là où nous n’avions pu gagner l’année dernière. Nous avons obligé par l’ampleur de la grève, la détermination des grévistes, à ce qu’une partie du patronat se prononce de fait contre la politique mise en oeuvre par E.Besson. Comme chacun sait, avec les Onze, avec cette partie du patronat nous avons engagé une "approche commune" pour des critères objectifs de régularisation pour en finir avec l’arbitraire préfectoral.
Rassurez vous, avec cette « approche » nous n’avons rien, absolument rien concédé. Que ce soit pour les travailleurs qui sont obligés de travailler au « noir », pour les femmes qui travaillent dans l’aide à la personne, comme pour les Algériens Tunisiens…
Quand nous ne cessons de répéter que l’onde de choc de cette grève et plus largement du mouvement de grèves engagé depuis Modeluxe, Buffalo Grill, la Grande Armée et de toutes celles qui ont suivi coordonnées ou non…que cette onde de choc est énorme : "l’approche commune" en est une démonstration.
Pourquoi dans un mouvement de grève classique le fait d’amener le patron à la table de négociation serait et est tout à fait légitime et pourquoi cela deviendrait suspicieux quand il s’agit de grève de travailleurs sans papiers ?
Nous ne sommes plus comme en 2008, régularisation piquet de grève par piquet de grève. Nous sommes engagés depuis notre lettre du 1er octobre 2009 au Premier ministre, organisations syndicales et associations, pour une circulaire de régularisation avec encore une fois des critères objectifs de régularisation quel que soit le statut des travailleurs sans papiers, la nationalité, l’entreprise, le département.
Avoir réussi à faire qu’une partie du patronat soit d’accord avec cet objectif (bien sûr et nous ne sommes pas naïf, elle le fait par intérêt) est, encore une fois, la preuve par neuf que notre objectif est politiquement réaliste et atteignable.
Notre objectif est d’autant plus politiquement réaliste que, comme vous le savez, ce gouvernement sort affaibli des dernières élections et le moins que l’on puisse dire c’est que cette grève y a aussi objectivement contribué.
Les organisations syndicales du pays dans leur majorité sont à côté des grévistes unies autour de cet objectif d’une véritable circulaire, la grande majorité des associations engagées sur ce dossier également, une très grande partie du monde artistique et intellectuel, tous les partis de gauche, un petit bout à droite et une partie significative du patronat… depuis quand dans notre pays avons nous pu réunir un tel front, si je puis dire, sur cette question oh combien sensible pour dire au gouvernement : arrêtez de vous cachez derrière votre ministre de la désintégration. Il faut régulariser ces travailleurs.
Avec cette grève, nous ne sommes pas dans la question des flux migratoires. Nous sommes dans un conflit du travail avec des travailleurs sans droits qui luttent pour pouvoir exister sans être obligés de se cacher au travail, dans la rue, dans la vie.
Ces travailleurs doivent être régularisés parce qu’ils bossent ici, ils vivent ici.
Monsieur Besson aujourd’hui est isolé. Son futur éventuel projet de loi a été fortement contesté bien avant qu’il n’ait été présenté officiellement. Sa politique est qualifiée de « gribouille ». C’est dans ces conditions favorables que nous abordons l’ultime phase de ce mouvement engagé depuis le 12 octobre.
Toutes les cartes sont maintenant sur la table.
Le plan de table est fait.
Il faut maintenant que le gouvernement ouvre les négociations et nous disons ici solennellement avec les grévistes et leurs délégués : « peu importe l’endroit. À condition que cela soit de véritables négociations ».
Je vous remercie.
Chauveau Raymond, Coordination Cgt du mouvement des travailleurs sans papiers.