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Chers Français : est-il possible que vous soyez aussi cons ?

Publie le lundi 16 avril 2007 par Open-Publishing
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WOID XVI-44. Chers Français : est-il possible que vous soyez aussi cons ?

D’habitude je n’aime pas jouer à ce que Freud appelle « le narcissisme des petites différences » : l’Américain qui travaille plus que le Français, le Français qui mange mieux que l’Américain, c’est bête. Pourtant je me demande (je ne suis pas le seul ici, aux USA), si les Français sont vraiment assez cons pour gober les sondages qu’on leur débite avant les élections présidentielles.

Ici aux USA, une majorité de diplômés ont pris au moins un cours de statistiques ; dans les sciences sociales on est obsédé de méthodes quantitatives. En politique on interroge sans cesse les sondages. Pardonnez-moi donc si je vous dis, chers amis d’outremer, que vos sondages électoraux, c’est ce qu’on appelle ici « bullshit ». Ici au New York Times, journal porte-parole du libéralisme américain, on pense à refuser la publication des sondages qui ne seraient pas accompagnés d’une marge d’erreur ; en France, par contre, le Monde, porte-parole d’à-peu-près la même chose, vous en offre six, de sondages, avec des trucs et des virgules, mais pas de marge d’erreur. Tous les sondages cités répartissent leur échantillon entre les candidats en y ajoutant la même rubrique incohérente : « pourcentage de personnes certaines d’aller voter mais n’ayant pas exprimé d’intentions de vote ». Cette dernière catégorie va jusqu’à 21% de l’échantillon, ce qui rend nul un sondage où l’on projette un « gagnant » avec une marge de 2%. Quant à la validité externe, c’est-à-dire la relation de cet échantillon à tous les autres électeurs potentiels, probables, ou tellement dégoûtés qu’ils refusent de participer au sondage - on n’en parle pas, et c’est curieux puisque le ressentiment joue un rôle important dans cette élection. J’en passe, je ne ferais que commencer.

Bêtise, ou folie ? Cette histoire me rappelle le prêtre Heinrich, dans Le Diable et le Bon Dieu, pièce de Jean-Paul Sartre. Heinrich s’attend à être torturé pour qu’il trahisse ses amis ; Goetz, le héros de la pièce, lui fait remarquer qu’il veut bien le faire souffrir, mais seulement pour lui faciliter les choses puisque de toutes façons Heinrich a déjà décidé de trahir. Pour les bobocrates et les gauchistes de droite et la majorité de la classe politique en France les statistiques jouent le même rôle : c’est leur question ; c’est leur excuse ; c’est leur cannabis, il faut qu’ils y croient avant de voyager. C’est en lisant ces statistiques que j’ai finalement compris le sens véritable de cette célèbre image de Daniel Cohn-Bendit :

Pour certains politiques, la fin de la gauche c’est la fin du cauchemar, un désir qui se prend pour une objectivité statistique - mais qu’importe puisque ce rêve ne peut être ni achevé ni contredit ce dimanche ? Ce qui compte, c’est le nombre de Français qui décideront de participer à cette illusion. Il y a quelque mois, à la Porte de Montreuil, j’observai un Africain un peu perturbé qui se tenait sur le trottoir, criant : « Ségolène, Sénégalaise ! Ségolène, Sénégalaise ! » Freud aurait compris cette obsession, qui consiste à répéter sans fin ce qu’on désire ou ce qu’on craint, et parfois les deux ensemble.

WOID XVI-44. Dear French people : are you really that stupid ?

As a rule I don’t like to toy with what Freud called "the narcissism of minor differences" : Americans work harder than the French, the French eat better than Americans, it’s dumb. Still I wonder (I’m not the only one here, in the USA), if the French are so stupid as to believe the polls they hear in the days leading up to their presidential elections on April 22.

Here in the USA, there are few college graduates who haven’t taken a course in statistics ; the social sciences are obsessed with quantitative methodologies ; politicians worry the polls to death. So forgive me if I tell you, dear friends beyond the sea, that your polls are what we here call "bullshit." Here the New York Times debates whether to ban polls that don’t include a margin of error ; in France, Le Monde (the french equivalent of the Times), publishes six - count ’em, six - polls, with bells and whistles but no margin of error for a single one. All six give percentages for all candidates, all tack on the same incoherent category, "percentage of voters who are certain to vote but who haven’t expressed any choice." This last category is as high as 21% of the total, which renders meaningless a poll that has a candidate winning by a margin of 2%. As for external validity, the relation of this sample to all other voters, potential, likely or too disgusted to participate in the poll - not a word, and that’s odd considering that the vote against one candidate or another will be a major factor in this election. I’ll stop here, I could go on and on.

Stupidity, or blindess ? I’m reminded of Heinrich the priest, in Sartre’s play The Devil and the Good Lord. Heinrich expects to be tortured into betraying his friends ; Goetz, the hero of the play, tells him he’d be glad to do so if it makes things easier, because Heinrich has already decided to betray his friends anyhow, all he needs is an excuse. For the bobocrats and the right-of-left-ists, the majority of the French political class, statistics play the same role : they’re the politician’s rack ; his alibi. It’s his first toke of pot : he has to believe it before tripping. After seeing these statistics I understood, after all these years, the real meaning of that famous picture of Daniel Cohn-Bendit confronting a cop :

For politicians the end of the left is the end of their nightmare, a desire that masks itself as statistical objectivity. That’s irrelevants, since that dream can neither die nor come true, not this election, anyhow. What matters today is the number of Frenchmen who will decide to join in this delusion. A few months ago, just outside the banlieue, I watched an African man, somewhat disturbed. He was standing on the sidewalk, shouting : "Ségolène, Senegalese ! Ségolène, Senegalese !," mixing up the name of a presidential candidate with what I presume to be his home country. Freud would immediately have understood an obsession that consists in repeating without end what one most wants, or most fears - and sometimes the two at once.

[reprinted from WOID : a journal of visual language]
http://theorangepress.com/WOID.htm

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