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Chine, mégapuissance

Publie le jeudi 29 juillet 2004 par Open-Publishing
2 commentaires

de Ignacio Ramonet

« Le jour où la Chine s’éveillera... », disait-on naguère, en laissant planer une menace géante sur la planète. Or cet immense pays s’est bel et bien éveillé. Et il s’agit de s’interroger sur les conséquences que cela peut avoir sur la marche du monde.

Colosse démographique (1,3 milliard d’habitants), la Chine n’a entamé sa réforme économique qu’après la mort de Mao Zedong, à partir de 1978 quand Deng Xiaoping assuma le pouvoir. Fondé sur l’abondance d’une main-d’ouvre peu payée, sur l’accueil d’usines d’assemblage, sur l’exportation de produits bon marché et sur l’afflux d’investissements étrangers, son modèle de développement fut longtemps considéré comme « primitif », caractéristique d’un pays arriéré et tenu d’une main de fer par un parti unique.

Non seulement la Chine - toujours communiste - cessa pourtant de faire peur, mais, dans l’euphorie de la globalisation commençante, elle fut alors présentée par des centaines de firmes qui y délocalisaient leurs usines (après avoir licencié des millions de salariés) comme une véritable aubaine pour investisseurs avisés. En peu de temps, grâce au réseau de « zones économiques spéciales » installées le long de sa façade maritime, elle devenait une puissance exportatrice phénoménale. Et prenait la tête des exportateurs mondiaux de textile-habillement, de chaussures, de produits électroniques et de jouets. Ses produits envahissaient le monde. En particulier le marché des Etats-Unis, entraînant à leur égard un déséquilibre gigantesque : en 2003, le déficit commercial américain vis-à-vis de Pékin a atteint 130 milliards de dollars (1) !

Cette fureur exportatrice devait provoquer un spectaculaire décollage de la croissance qui, depuis deux décennies, dépasse chaque année les 9 % ! (2) Ce « communisme démocratique de marché » a entraîné aussi, pour des millions de foyers, une augmentation du pouvoir d’achat et du niveau de vie (3). Et a favorisé la montée d’un véritable capitalisme chinois. L’Etat, dans le même élan, s’est lancé dans une modernisation du pays à marche forcée multipliant la construction d’infrastructures : ports, aéroports, autoroutes, voies de chemin de fer, ponts, barrages, gratte-ciel, stades pour les Jeux olympiques de Pékin en 2008, installations pour l’Exposition universelle de Shanghaï en 2010, etc.

La masse démentielle de ces travaux et la nouvelle fièvre consommatrice des Chinois ont ajouté une nouvelle dimension à l’économie : en peu de temps, la Chine, qui faisait peur comme puissance exportatrice envahissante, est devenue un ogre importateur dont l’insatiable voracité inquiète sérieusement. L’an dernier, elle a été le premier acheteur au monde de ciment (elle en a importé 55 % de la production mondiale), de charbon (40 %), d’acier (25 %), de nickel (25 %) et d’aluminium (14 %). Et le deuxième importateur de pétrole, après les Etats-Unis. Ces achats massifs ont provoqué une explosion des prix sur les marchés. En particulier de ceux du pétrole. Admise au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine est désormais l’une des plus grandes économies du monde - précisément la sixième (4). Elle tire la croissance planétaire et tout soubresaut chez elle a un impact immédiat sur l’ensemble de l’économie mondiale. « Malgré la vitesse de notre croissance, pondère cependant le premier ministre Wen Jiabao, la Chine est encore un pays en voie de développement et il nous faudrait encore cinquante ans de croissance au rythme actuel pour devenir un pays moyennement développé (5). »

Mais si la Chine continue à ce rythme, dès 2041 elle dépassera les Etats-Unis et deviendra la première puissance économique du monde (6). Ce qui aura des conséquences géopolitiques majeures. Cela signifiera aussi que, dès 2030, sa consommation d’énergie équivaudra à la somme de celles des Etats-Unis et du Japon aujourd’hui, et que, ne disposant pas de pétrole suffisant, elle sera contrainte, d’ici à 2020, de doubler sa capacité nucléaire et de construire deux centrales atomiques par an pendant seize ans...

Même ainsi, la Chine - qui a ratifié en 2002 le protocole de Kyoto... - quittera le deuxième rang des pollueurs de la planète, qu’elle occupe actuellement, pour passer au tout premier. Elle dégagera alors des masses colossales de gaz à effet de serre qui aggraveront le changement climatique en cours.

A cet égard, la Chine constitue un cas d’école et anticipe sur la question qui se posera demain à propos de l’Inde, du Brésil, de la Russie ou de l’Afrique du Sud : comment arracher des milliards de personnes à la détresse du sous-développement sans les plonger dans un modèle productiviste et de consommation « à l’occidentale », néfaste pour la planète et mortel pour l’ensemble de l’humanité ? Ignacio Ramonet

Notes

(1) Cf. Cyclope, "Les marchés mondiaux 2004", sous la direction de Philippe Chalmin, Economica, Paris, 2004.

(2) 9,7 % au premier semestre 2004 en rythme annuel (France : 2,3 %).

(3) Le produit intérieur brut (PIB) par habitant atteignait, en 2003, 4 690 dollars (France : 21 700).

(4) Elle se situe entre le Royaume-Uni et l’Italie (après les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne et la France) et devrait rejoindre le G8, groupe des pays les plus industrialisés qui comprend, en plus des cités, le Canada et la Russie.

(5) El País, Madrid, 6 juin 2004.

(6) Selon l’experte Maryam Khelili, à cette date, le palmarès des six pays les plus prospères du monde sera le suivant : Chine, Etats-Unis, Inde, Japon, Brésil et Russie.

Messages

  • "Consommer, c’est détruire" C’est cela que j’apprenais à la fin des années
    60, début 70 en Science Eco. La montée en puissance de la Chine semble manifestement un danger.
    Entité hybride -culture totalitaire communiste + libéralisme hyper agressif - en font un "monstre" quant à l’à venir de la planète.
    Il faudrait doter les pays émergeants de nos plus hautes technologies de façon à leur éviter les parcours erratiques de l’occident en matière de techcnologies qui a été générateur de pollution, dénoncer les freins des lobbies pétroliers et financiers quant à des techniques ralentissant, pour cause de retour rapide sur investissement, et faire la prmotion de technologies non polluantes ou du moins à pollution minimale.
    Si d’aucun d’entre vous lisent la revue NEXUS (Science et Actualité) N°32 mai juin 2004 il y est publié un article sur le "SYSTEME PANTONE" qui pourrait réduire la pollution des moteurs de 95% et la consommation par 4.
    Je ne suis pas spécialiste en matière de moteurs, aussi je vous livre, brut de décoffrage l’information.
    Quant à la théorie de doter les pays émergents de nos haute technologies non polluantes -entre autre - elle émane de feu Maurice Lauré, inventeur de la T.V.A., et ancien P.D.G de la Société Générale..
    Combien d’autres technologies - censurées aujourd’hui - dorment-elles dans les tirroirs, cadennacés par le système ?
    A vos claviers, si vous le souhaitez.
    Merci.

  • Je n’attendais pas un article de cette nature de la part d’Ignacio Ramonet. Mais j’admire le courage intelectuel qui pose les vrais questions en se libérant du carquant des idéologies.
    La question reste entière, les pays en développement que les idéologies racistes des siècles passés condamnaient à la stagnation et à "l’immaturité" éternelle peuvent-elles se développer de façon durable ; et ceci sans qu’un sentiment paternaliste des nations plus développées dans le domaine industrielle et technologique ne viennent comme d’habitude montrer la "bonne voie".
    Cette fois l’argument utilisé est celui de la polution. On ne peut pas nier que celui-ci a du poid. Mais je pose une question, peut-on demander à la Chine de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre alors que les Etats Unis n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto.
    Le problème des émissions de gaz à effet de serre n’est-il pas un problème mondiale sur lequel chaques nations doit faire un effort et pas seulement celles qui emmergent ? Efforts de recherche et dévelopement, efforts d’information des populations,...
    Pour moi on ne peut pas dire aux économies émergeantes : vous ne pouvez pas vous développer et polluer l’environnement comme l’ont fait pas le passé les pays industrialisés.
    La communauté international doit alouer un budget à ces pays pour qu’ils ne polluent pas, puisque les frais qui leur incomberont pour mettre en place des systèmes moins poluants leur reviendront très cher.
    Obliger ces nations à se mettre à des normes écologiques sans les aider, reviendrait à oublier que pendant des annés les autres pays industrialisés ont polué l’atmosphère et ceci sans rien payer à personne ; et surtout sans avoir de pression international pour changer leurs infrastructures.
    En effet dans mon optique cette "aide au développement écologique" ne sera que le remboursement de la dette que les pays industrialisés ont contractés d’hors et déjà à l’encontre de l’environnement sur toute la planète.