Accueil > Chroniques de rétention : Il suffit d’expliquer

Chroniques de rétention : Il suffit d’expliquer

Publie le dimanche 8 mars 2009 par Open-Publishing

TGI, TA, APRF, CEDH... Entre sigles, instances et recours, comment faire valoir ses droits, une fois arrêté ? C’est simple : il suffit de suivre la procédure...

« Tout dépend de la mesure d’éloignement dont vous avez fait l’objet, Monsieur. C’est une obligation à quitter le territoire français, un arrêté de reconduite à la frontière ? C’est une interdiction du territoire français ou un arrêté d’expulsion ? Depuis quand êtes-vous en France ? Ah, je vois que c’est un arrêté de reconduite. Alors vous avez 48 heures pour faire un recours devant le tribunal administratif (TA). Vous savez ce qu’est un tribunal administratif ? Non, ça n’est pas le même tribunal devant lequel les policiers vont vous emmener demain : celui de demain, c’est le Tribunal de grande instance (TGI), ne mélangez pas tout, s’il vous plaît, laissez-moi vous expliquer.

Faisons un petit schéma : vous avez été arrêté hier. La préfecture a pris à votre encontre une mesure d’éloignement qui s’appelle un arrêté de reconduite à la frontière (APRF) et simultanément, elle vous a placé dans un centre de rétention par un arrêté de placement en rétention : vous pouvez les attaquer au tribunal administratif en tir groupé, vous comprenez ?

Je vois que vous êtes tamoul. Vous avez sans doute beaucoup à craindre en cas de retour au Sri Lanka, vous pouvez donc invoquer l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme dans votre recours. Si votre famille réside en France avec vous, vous pouvez aussi invoquer l’article 8 de la même convention qui reconnaît le droit à vivre en famille, vous me suivez ?

A quelle heure avez-vous signé votre arrêté de reconduite à la frontière ? Parce que vous comprenez bien que 48 heures, ce n’est pas 49 heures. Les policiers ont-ils votre passeport ? Oui, je vous demande ça parce que s’ils ne l’ont pas, cela implique qu’ils doivent vous présenter au consulat de votre pays pour obtenir un laissez-passer pour pouvoir vous expulser, mais dans votre situation, il faut sans doute faire une demande d’asile.

Vous connaissez la Convention de Genève ? Si vous êtes persécuté dans votre pays d’origine, vous pouvez demander la protection de la France. Il faut remplir ce formulaire et répondre à toutes les questions que vous voyez là. Non, le consulat, ils ne peuvent pas vous y emmener tant que votre demande d’asile est étudiée, vous comprenez bien que ce serait choquant de vous amener devant les autorités dont vous chercher à vous protéger. Mais ne vous inquiétez pas, vous avez cinq jours à partir de votre arrivée au centre de rétention pour le faire. 48 heures, c’est pour le tribunal administratif, cinq jours c’est la demande d’asile, faites un peu l’effort de m’écouter, Monsieur.

Si votre demande d’asile est rejetée, vous pourrez faire un recours devant la Cour nationale du droit d’asile, voyez-vous ? Mais attention, la demande d’asile empêche provisoirement votre expulsion, mais le recours, non. Le recours n’est pas suspensif. La demande initiale, oui. C’est pourquoi dans votre cas, c’est à l’Office français pour les réfugiés et les apatrides que vous demandez l’asile. Il faudra saisir la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour essayer de vous protéger. C’est l’article 39 de la Convention qui permet la suspension, vous y êtes toujours ? Là aussi, il faudra que vous donniez des éléments à la Cour sur les articles 3 et 8, s’ils vous concernent.

En dehors de ça, demain, vous serez entendu par le juge des libertés et de la détention (JLD) au Tribunal de grande instance. Suivez, car la distinction est importante, Monsieur : le tribunal administratif, c’est autre chose. Le TGI vérifie la régularité de la procédure qui vous concerne : c’est plus une question de forme, en somme. Je vois ici que vous avez été informé de vos droits en rétention à 13 heures, puis emmené au centre de rétention pour y arriver à 22 heures. Cela veut dire qu’entre-temps, vous n’étiez pas en mesure d’exercer votre droit. Vous étiez dans une voiture de police tout ce temps-là ? Pas d’accès au téléphone ? Parce que vous savez, l’article L. 552-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d’asile stipule que vous devez être placé en état de faire valoir vos droits, et c’est bien normal, vous en conviendrez. Si vous n’avez aucun droit, c’est la porte fermée à n’importe qui, n’est-ce pas ? Donc, il vous faudra dès demain, lors de votre audience devant le JLD, indiquer que vous n’avez pas été placé en état de faire valoir vos droits, et que tout cela est très gênant.

Ne vous inquiétez pas, Monsieur, si le juge n’entend pas vos arguments, vous avez 24 heures à compter de la notification de la décision pour faire appel devant la cour d’appel et rediscuter le bout de gras, si je puis dire. Mais attention, pensez bien à soulever ce problème devant le TGI parce que sinon, vous ne pourrez pas le faire devant la cour d’appel. Oui, c’est un principe de droit qui dit que si on n’a pas dit une chose la première fois, on ne peut pas la dire la deuxième fois. C’est particulier, j’en conviens, mais il y a une certaine logique dans tout ça. Quoi qu’il arrive, le juge peut vous libérer, prolonger votre rétention de 15 jours, mais pas vous assigner à résidence parce que vous n’avez visiblement pas de passeport.

Monsieur ? J’ai l’impression que vous ne me comprenez pas, Monsieur. Ah… Je vois ici que vous ne savez ni lire, ni écrire, ni parler français… C’est ennuyeux. Vous allez avoir besoin d’un coup de main, mon cher. Et sérieux, le coup de main. »

Source TERRA :
http://contrejournal.blogs.liberation.fr/mon_weblog/2009/03/chroniques-de-r.html