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Comment j’ai frôlé la garde à vue
Quand on est journaliste, c’est toujours mieux d’être témoin des faits qu’on rapporte. Quand on en est la victime, c’est encore plus intéressant. Hier, à Plan Cabane, je me suis retrouvé dans les deux situations. Si j’ai choisi d’en parler, c’est parce que le comportement des policiers municipaux me paraît significatif de dérives observées partout en France. La loi a beau être du côté des citoyens, certains policiers s’en moquent - ou ne la connaissent pas - et abusent de leur pouvoir.
Au départ, il y a la perturbation d’une réunion publique de la mairie dans le cadre du “Printemps de la démocratie”. Le volet politique est traité par ailleurs sur ce site. Un jeune homme est interpelé par la police municipale sous la tente dressée au milieu du Plan Cabane. À l’extérieur, alors qu’il est conduit vers le véhicule de la police municipale, un de ses amis demande aux policiers de le relâcher, leur dit qu’il n’a rien fait de mal. Visiblement son comportement leur déplait et il est, lui aussi, interpelé. Problème, les faits que relatent les policiers municipaux dans le PV d’interpellation diffèrent quelque peu : “Nous constatons à l’intérieur du tivoli [la tente] deux individus qui troublent, de par leur comportement, l’ensemble de l’auditorium. Sur place, nous constatons que les deux individus s’assoient et se lèvent continuellement de leur siège tout en gesticulant et hurlant sous le chapiteau. [...] Ces derniers ont du mal à se lever, nous tiennent des propos incohérents et ont leur haleine qui sent fortement l’alcool.” Première faute : les policiers municipaux s’arrangent avec la réalité. Ils n’ont interpelé qu’une personne sous la tente. De plus, ils ne tenaient pas des propos incohérents et ne titubaient pas. Mais cela correspond aux critères pour interpeler quelqu’un pour ivresse publique manifeste (IPM) ce qui permet de justifier l’interpellation.
Deuxième faute
Une amie des deux interpelés a filmé la scène avec son appareil photo. Georges Elncave, le chef de la police municipale, lui demande d’effacer les images. Deuxième faute : je suis à côté et lui dis qu’il n’a pas le droit de lui demander ça. Il ne m’écoute pas et la jeune fille s’exécute néanmoins. Elle m’expliquera plus tard qu’elle ne voulait pas que son appareil lui soit confisqué. Les deux interpelés finissent en cellule de dégrisement dans les locaux de la police nationale. Selon Guillaume Neau, chargé de la communication de celle-ci, les tests d’alcoolémie révèleront des taux de 1,02 et 0,64 g/l de sang. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, la limite autorisée pour conduire un véhicule était de 0,70 g/l. Mais ce n’est pas fini.
Je rentre sous la tente pour écouter les débats. Quelques minutes plus tard, une main se pose fermement sur mon épaule. C’est celle d’un vigile :
– Monsieur, venez dehors.
– Pourquoi ?
– Le médiateur territorial veut vous parler.
Je me retrouve immédiatement entouré de 4 ou 5 policiers municipaux.
L’un d’eux : Venez monsieur. Vous avez fait des photos tout à l’heure ?
– Je suis journaliste.
– Très bien, vous êtes journaliste. Très bien. Qu’est-ce que vous avez pris comme photos avec votre appareil ?
– J’ai pris l’entrée de la tente [à ce moment je pense que c’est celle-ci qui pose problème]. Et ne me tenez pas si fort, s’il vous plait.
Il continue à me tenir fortement le bras.
Georges Elnecave, le chef de la police municipale : Montrez-moi vos photos.
– Non.
– Effacez vos photos.
– Non, vous n’êtes pas officier de police judiciaire et vous n’avez pas de réquisition du procureur.
– Eh bien vous allez en voir un, officier de police judiciaire. On va vous mettre en garde à vue.
Je ne la ramène pas large - vais-je devoir baisser mon slip, me pencher en avant et tousser trois fois ? - mais je ne bronche pas. On m’amène par le bras et on appelle une voiture. Je suis entre deux policiers. Les passants me regardent comme un délinquant. Une voiture de la police municipale arrive. La portière s’ouvre et un policier me demande de m’assoir à l’intérieur. Je m’exécute. Je me sens tout petit dans la grosse voiture américaine.
Un policier : Attachez votre ceinture, monsieur.
Je n’ai pas le temps de le faire. On me demande de sortir.
Georges Elnecave : Vous ne m’avez pas dit que vous étiez journaliste.
– Si, je l’ai dit à un de vos collègues.
Puis on me confie au bon soin de Fabrice Morand, directeur de la sûreté du domaine public à la mairie. Le patron des policiers municipaux. Il ne se présente pas : je lui demanderai en fin d’entretien qui il est.
“Je suis libre alors ?”
Celui-ci essaye de justifier l’intervention, me dit que je ne connais pas la loi. J’ai encore la bouche sèche. Je lui demande de me citer l’article de loi qui justifie l’interdiction de prendre des photos. Il ne le fait pas. Puis il parle de l’interdiction de diffuser des photos des policiers. Que ce n’est pas correct de ne pas demander aux policiers la permission de les prendre en photo. Je lui dit que je ne partage pas son point de vue. Puis il fait appeler le directeur de la communication de la mairie qui tente d’arrondir les angles. Sans me convaincre.
– Je suis libre alors ?
Fabrice Morand : Oui, bien sûr.
Quelques minutes plus tard, une connaissance me donne une explication possible du renoncement à la garde à vue. Pendant que je suis conduit vers la voiture, il fait remarquer à une personne du service d’ordre : “Vous savez qui c’est ? Il est journaliste.” Le policier municipal aurait blêmi. Mais que ce serait-il passé si je n’avais pas été journaliste (1) ou simplement connu par les services de la mairie ? J’aurais été conduit au commissariat et mes photos auraient sans doute été effacées. Pourtant, en matière de prise de photos la loi est identique pour tous les citoyens. Les journalistes ne bénéficient pas de privilèges particuliers. Tous les citoyens peuvent prendre des photos.
“Qu’elle appartienne à la presse ou non”
Guillaume Neau de la police nationale, le confirme : “Dans l’exercice de nos missions au quotidien, nous sommes de plus en plus confrontés à la captation voire à la diffusion de notre image ou de nos paroles par des tiers. Or, si nous bénéficions, comme tout citoyen, du droit au respect de la vie privée, nous ne pouvons faire obstacle à l’enregistrement ou à la diffusion publique d’images ou de paroles à l’occasion de l’exercice de nos fonctions. Il est donc exclu pour nos services d’interpeler la personne effectuant un enregistrement, qu’elle appartienne à la presse ou non, ainsi que de lui retirer son matériel ou de détruire les prises de vue effectuées. Un policier ne peut, en principe, s’opposer ni à l’enregistrement ni à la diffusion d’images ou de sons. La liberté de l’information, qu’elle soit de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction.” De plus, le policier nous indique qu’il rappelle régulièrement ces règles à ses collègues.
Dans cette affaire, ce n’est pas mon cas personnel qui importe. Au contraire. Car avant que la police connaisse mon identité, elle voulait me réserver le même sort qu’à la jeune fille. Bien que se multiplient les témoignages et les articles rappelant les règles (voir ci-dessous), certains éléments de la police nationale et municipale continuent à abuser de leur pouvoir. Ce qui s’est passé hier n’est intéressant que parce qu’il illustre ces dérives auxquelles peuvent se livrer des personnes détentrices du pouvoir de police. Quant aux pratiques de la police municipale de Montpellier, elles ne sont pas nouvelles. J’en avais été victime en juillet 2006 (2). Voir sur le site de l’Accroche. J’avais informé le Club de la presse et demandé le 18 juillet puis le 5 octobre 2006 une explication à la mairie sur l’interdiction qui m’avait été faite de prendre des photos de policiers municipaux en train de verbaliser des jeunes zonards. Je n’ai jamais obtenu de réponse. Régine Souche, adjointe “déléguée à l’égalité des droits (sic) et des devoirs et à la tranquillité publique”, va-t-elle rappeler à ses équipes qu’elles sont, elles aussi, tenues de respecter la loi ?
http://www.montpellier-journal.fr/2009/04/comment-jai-frole-la-garde-a-vue.html
Messages
1. Comment j’ai frôlé la garde à vue, 23 avril 2009, 18:09, par momo11
UMPS.La liberté.momo11
1. Comment j’ai frôlé la garde à vue, 23 avril 2009, 18:20
Mon Dieu !!!
2. Comment j’ai frôlé la garde à vue, 23 avril 2009, 20:50
Bravo au courage citoyen de ce témoignage. Témoignage éclairant sur les dérives persos des flics, encouragées par un système de criminalisation des citoyens.
Soleil Sombre
3. Comment j’ai frôlé la garde à vue, 24 avril 2009, 07:53, par Marcel
(...) Je ne la ramène pas large - vais-je devoir baisser mon slip, me pencher en avant et tousser trois fois ? - mais je ne bronche pas. (...)
Fouille à corps : Opération technique juridiquement fondée (assimilée à une perquisition dans la recherche des traces et indices) entraînant éventuellement la saisie d’objet qui seront inventoriés et placés sous scellé. Elle est de la seule compétence de l’O.P.J.. En matière d’enquête préliminaire, elle peut être effectuée par un A.P.J.cité à l’article 20 du code de procédure pénale (avec l’assentiment express de la personne fouillée à corps Article 76 du C.P.P.).
La fouille à corps est considéré comme une perquisition. Le but est clair : chercher des preuves. S’il faut vérifier des orifices, la Police fait appelle à un médecin ou fait une radio.
http://raphaels.blog.lemonde.fr/2007/03/09/palpation-fouille-et-menottage