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Comment l’argent fait le bonheur (1/4)
Publie le mardi 14 août 2007 par Open-Publishing7 commentaires
Sécurité, sérénité et courtoisie
Par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, directeurs de recherche au CNRS.
À l’abri des soucis du monde ordinaire
L’existence des grands bourgeois est exempte des conséquences désagréables des vicissitudes de la vie quotidienne. Lorsque la Mobylette de Carole, la jeune ouvrière du film de Lucas Belvaux, la Raison du plus faible, tombe en panne et rend l’âme, c’est un drame qui enclenche un engrenage funeste. Irréparable, il est impossible de la remplacer dans l’immédiat, c’est trop cher. Prendre le bus pour aller au travail, c’est une heure de transport en plus chaque jour. Lne règle pas tous les problèmes, mais il ne faudrait pas des sommes folles pour résoudre celui-ci. Pour aider leur copine, ses amis tentent de se procurer l’argent nécessaire dans un braquage qui tourne mal. Cette fiction, construite avec vraisemblance parce qu’elle met en scène les multiples agressions et blessures d’une vie rendue précaire par la faiblesse des ressources, ne fait que porter à son paroxysme la logique d’existences sans espoir.
La panne de la Mobylette, de la voiture ou le vol du vélo, comme dans le Voleur de bicyclette, de Vittorio De Sica, la fuite d’eau à la cuisine, le chéquier volé, tous ces petits ennuis empoisonnent l’existence des plus modestes, en grignotent le temps et accumulent les préoccupations et les soucis, sources d’inquiétudes et d’angoisses. Alors qupeu d’argent disponible permettrait de prendre le taxi, ou d’appeler un artisan pour faire une réparation. Le temps des plus riches, lui, est libéré de ces tracas les plus mesquins mais aussi les plus envahissants.
L’absence d’argent conduit à un gaspillage de temps systématique. Les voyages par avion se sont diffusés, mais pour les moins fortunés de ceux qui peuvent les emprunter, y avoir accès suppose plus de temps et de fatigue. Aller de Paris à Montréal peut se faire en prenant un bus à la porte Maillot pour l’aéroport de Beauvais d’où, après une nuit au confort précaire dans une salle d’attente, un avion assure le transfert à Dublin. Là un nouveau vol permet d’atteindre New York où il faut prendre un troisième avion pour arriver enfin à Montréal. Ces vols « low cost », comme on dit dans le franglais à la mode, transforment un voyage en épreuve, même si leurs « bas coûts », en français, les rendent plus accessibles.
L’argent permet d’acheter des services. Les soucis du foyer, du ménage, du jardinage sont sous-traités à un personnel domestique qui prend en charge les tâches désespérément récurrentes de la maison. Pour les plus aisés, le chauffeur affronte solitairement les embarras de Paris quand le patron, assis à l’arrière, consulte les cours de la Bourse dans le Figaro. Le savetier et le financier n’ont pas les mêmes soucis.
Tout jeune ménage modeste sait combien un enfant met aux normes : horaires stricts, suivi médical du bambin, promenades. Beaucoup de plaisirs, certes, mais aussi un amoncellement de contraintes. Être à l’heure avant la fermeture de la crèche ou de l’école devient une obsession. Dans les familles de la bourgeoisie, les jeunes filles au pair et les nurses de nationalité étrangère font réviser leurs leçons aux enfants et leur apprennent leur langue. Elles les emmènent au jardin public.
Le personnel de service permet de donner aux journées toute leur plénitude. Être servi est l’un des privilèges sociaux les plus marquants de la richesse. Le temps n’est pas le même pour tous. Ces emplois domestiques sont encouragés et financés en partie par - l’État. L’emploi, au domicile privé, de salariés pour des tâches à caractère familial ou ménager (employé(e) de maison, garde d’enfants, soutien scolaire…), en particulier dans le cadre du chèque emploi-service universel (CESU), ouvre droit à une réduction d’impôts égale à 50 % des salaires payés et des cotisations correspondantes, dans la limite de 12 000 euros par an, pouvant être augmentés de 1 500 euros par enfant à charge, le plafond cumulé étant de 15 000 euros. Une famille fortunée avec deux enfants pourra donc récupérer la moitié des 30 000 euros premiers euros que lui aura coûté son personnel, la dépense réelle totale n’étant pas limitée. Une jolie contribution des finances publiques à l’agrément d’une vie libérée des servitudes du monde ordinaire. De plus, cette réduction d’impôts apparaît comme parfaitement justifiée puisqu’elle s’inscrit dans la lutte contre le chômage.
Au début du XXe siècle, l’effectif employé dans une grande maison pouvait atteindre les trente personnes. La raréfaction des domestiques depuis les conquêtes sociales du Front populaire en 1936 a été compensée par le recours aux traiteurs, par les livraisons à domicile et par les sociétés de services spécialisées dans le ménage ou le jardinage. Avec l’augmentation du nombre des riches et du niveau de leurs richesses des cartes bancaires sont apparues, accessibles sous conditions de ressources élevées. Elles offrent des services en tout genre dont l’objectif est de faire gagner du temps aux clients. Depuis l’achat de billets d’avion, la réservation de places au théâtre ou à l’Opéra jusqu’à des prestations exceptionnelles, comme obtenir une table à la Tour d’argent un jour de grande affluence ou pouvoir jouer une partie de tennis avec le champion de l’année.
Les services à la personne se multiplient et, la concurrence devenant vive dans ce secteur, de nouvelles formules apparaissent, accessibles 24 heures sur 24, 365 jours par an. Les conciergeries de luxe sont des officines prêtes à répondre aux demandes les plus difficiles à satisfaire, comme de trouver pour un collectionneur un exemplaire d’une montre de l’avant-guerre rarissime. Certaines agences immobilières vendent aujourd’hui, surtout aux grandes fortunes étrangères, de très beaux appartements ou des hôtels particuliers avec le personnel d’entretien et de gardiennage en place, prêt à prendre le service.
Être servi, c’est être reconnu
Les marques de déférence et de respect, les signes du pouvoir et de la notoriété sont innombrables. « Bonjour monsieur le marquis », dit la boulangère du village au châtelain venu passer le week-end dans la maison de ses ancêtres. « Monsieur le directeur », « monsieur le président », « maître », et le rituel « Madame est servie » : les manières de manifester au puissant que l’on connaît et respecte sa position ne manquent pas. Les intéressés en retirent la confirmation récurrente de leur poids social, de leur valeur et de leurs mérites.
Être considéré et traité en permanence comme une personne exceptionnelle et unique donne une solidité qui aide à affronter les aléas avec calme, maîtrise de soi et courtoisie. La colère, l’injure, la violence sont plutôt de l’autre côté de la société, là où la vie est dure et ne cesse de vous rappeler votre insignifiance. Camilo José Cela l’a excellemment écrit dans la Famille de Pascal Duarte : « Nous, mortels, nous avons tous en naissant la même peau, mais à mesure que nous grandissons, le destin se plaît à nous diversifier, comme si nous étions de cire, et à nous mener par des sentiers multiples vers une seule fin : la mort. Il y a des hommes qui doivent prendre le chemin des fleurs, pendant que d’autres sont poussés à travers chardons et nopals. Les uns possèdent un regard tranquille et, au parfum de leur bonheur, ils sourient d’un visage innocent ; les autres, accablés du soleil violent de la plaine, se hérissent comme la vermine pour se défendre. D’un côté, pour embellir son corps, le fard et les parfums ; de l’autre, les tatouages que nul ensuite n’est capable d’effacer… » La politesse des dominants en impose et elle va permettre, surtout lorsqu’elle est associée à des corps qui affirment l’excellence, le passage de la domination économique à la domination symbolique.
Messages
1. Comment l’argent fait le bonheur (1/4), 15 août 2007, 09:37
L’argent fait le bonheur en nous évitant la galère de chaque instant pour essayer d’éviter, souvent en vain, que ses enfants souffrent du frod et de la faim
Par contre, en avoir trop sans avoir la force de caractère de résister aux conventions vous emprisonne dans la mentalité de parvenu et une vie totalement vide de sens . Vous vous croyez obligé de vivre dans un quartier chic parmi des gens sans intérêt emprisonnés là avec vous, exactement comme ceux qui n’ont pas les moyens de quitter leur HLM, de passer vos vacances sur un yacht au milieu d’autres yachts de même standing, passant de yacht en yacht pour l’apéro en vous ennuyant mortellement au milieu d’une foule de courtisans intéressés par votre fric ....
L’idéal, c’est d’avoir de quoi vivre modestement sans angoisse dans un endroit sympa, avec parfois un petit surplus pour s’offrir un extra , choisi librement, que l’on apprécie et de quoi aider son entourage
Pourquoi ces gens qui ont de l’argent n’en font-ils rien d’utile pour les autres et mènent-ils une vie idiote ?
1. Comment l’argent fait le bonheur (1/4), 21 août 2007, 04:15
Si les pauvres n’existaient pas, les riches n’auraient pas de pognon...
Pauvre con
JMH
2. Comment l’argent fait le bonheur (1/4), 21 août 2007, 18:01
Ben voyons JHM...
C’est pas toi qui crie à tue-tête qu’il ne faut pas s’invectiver et se traiter de con ou de "burne" ?
Cela dit, il ne l’a pas volé non plus ce "riche".
Mais je croyais que tu refusais de tenir ce genre de propos.
Lio
3. Comment l’argent fait le bonheur (1/4), 21 août 2007, 19:02
contre l’ennemi, y’a le droit :)
TM
4. Comment l’argent fait le bonheur (1/4), 21 août 2007, 20:30
Je ne suis pas en contradiction car j’estime être en état de légitime défense puisque cette réflexion (si d’ailleurs on peut parler de réflexion tellement l’auteur semble en manquer) est elle-même une insulte aux milliards d’êtres humains qui se tuent au boulot pour engraisser une poignée de connards qui vivent dans l’opulence et qui ne leur rendent en retour que mépris et cynisme. Et si encore les riches étaient capables de donner du travail à tous les pauvres, cette phrase pourrait mériter un début d’analyse philosophique (ah ah), mais comme ce n’est pas le cas, il aurait mieux valu que son auteur s’abstienne de l’émettre afin de ne pas dévoiler que l’espace de son cerveau se réduisait à la taille d’un pois chiche. Voilà.
JMH
2. Comment l’argent fait le bonheur (1/4), 15 août 2007, 11:06
...parce qu’ils n’ont aucun interêt à le faire ; cela se saurait immédiatement et ils perdraient le crédit dont ils disposent auprès de leurs pairs, qui est aussi un des fondements de leur richesse.
3. Comment l’argent fait le bonheur (1/4), 15 août 2007, 16:59
Agatha Christie disait "lorsque j’étais enfant, je ne pouvais pas m’imaginer si pauvre que je n’aurais pas de serviteurs, ni si riche que j’aurais ma propre voiture".
Les produits manufacturés (et usinés) ayant vu leur prix baisser (relativement) la vraie richesse, maintenant, est de se faire servir. Le chèque emploi service (dont je vis étant jardinier) n’apporte pas un service seulement mais ce qu’on appelait il n’y a pas si longtemps un "signe extérieur de richesse". Vous n’imaginez pas le nombre de gens qui ne sont pas riches (classe moyenne, profs ...) dont le travail et le salaire ont été dévalorisés qui paient pour ce signe extérieur. Ces gens ont troqué le "signe extérieur de respectabilité" (être prof, avant, c’était être un notable) contre ce signe extérieur de richesse.
La notabilité n’a plus cours quand l’argent est roi...