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Contre les images toutes faites : paroles de flics.

Publie le mardi 11 avril 2006 par Open-Publishing
4 commentaires

Manifestations, banlieue, pression de l’Intérieur : les forces de l’ordre se disent lasses.
La complainte des « serpillières de la République »

C’est une antienne un peu grandiloquente qu’affectionnent les policiers : « Nous sommes le dernier rempart de la société », répètent-ils quand ils se sentent sur le gril. Cette fois encore, après deux mois à l’épreuve des manifestations anti-CPE, qui, elles-mêmes, suivaient de peu trois semaines d’émeutes en banlieue en novembre dernier, CRS, gardiens de la paix, fonctionnaires des renseignements généraux (RG) entonnent le même refrain, empreint d’un mélange de fierté et de lassitude. « Je suis flic et je suis là pour tout le monde, les contents comme les pas contents », revendique Thierry (1), un brigadier qui estime « avoir fait son boulot en assurant le respect de l’ordre public ». « C’est notre travail d’assurer la sécurité des gens, le droit de manifester », renchérit Joaquin Masanet, secrétaire général de l’Unsa police qui revendique 32 000 adhérents parmi les CRS et les gardiens de la paix.

La police est certes là pour servir la République, dit encore le syndicaliste, mais dans ses rangs, « on commence à ressentir un grand coup de pompe », alors que le rapport annuel sur sa déontologie va être divulgué demain (lire ci-dessous). « Il ne faut pas nous presser comme des citrons, prévient Joaquin Masanet. Quand il n’y aura plus de jus, ce sont les institutions qui vont trinquer. » Il est vrai que depuis 2002, la droite a fait de l’action des forces de l’ordre l’un des axes de son mode de gouvernement. L’activisme et les exigences manifestées par Nicolas Sarkozy lors de ses deux passages place Beauvau y sont pour beaucoup.

« On a bien bossé jusqu’ici, affirme un ponte de la préfecture de police de Paris. Mais honnêtement, on aurait du mal à tenir ce rythme beaucoup plus longtemps. » L’exaspération est d’autant plus sensible chez les policiers qui estiment faire les frais d’une contestation provoquée « par la guéguerre au sommet entre Sarkozy et Villepin, dit Thierry. On a vraiment le sentiment que l’on se moque de nous, qu’on nous prend pour des cons. » « On est au coeur de la fracture sociale, analyse Joaquin Masanet. Nos institutions ont de plus en plus de mal à communiquer. »

Fossé. Eric est gardien de la paix depuis cinq ans dans une banlieue difficile. Avant la crise du CPE, il était déjà en première ligne durant les émeutes de novembre. Il mesure chaque jour le fossé qui le sépare des « politiques qui sont loin de son quotidien de policier. Il faudrait avoir la naïveté d’un gamin de huit ans pour croire le contraire. Quand Sarkozy vient en banlieue avec tout son staff, il ne prend pas la mesure de la misère. Quand tu es sur le terrain, tu es tout seul, un électron libre. Sur le fond, on sait ce que l’on n’a pas le droit de faire, après ça, on s’autogère. Mais je ne vais pas me plaindre, c’est ça qui me plaît ».

Comme tous les autres fonctionnaires interrogés par Libération, Eric estime que l’intervention policière n’est qu’une réponse partielle à une profonde et durable crise sociale, qu’elle prenne la forme d’émeutes en banlieue ou de contestation lycéenne et étudiante à l’encontre du CPE : « Le fond du problème n’est pas réglé. C’est le mal-être des jeunes qui ne va pas en s’arrangeant. Nous, policiers, on traite la forme, on éteint l’incendie. Plus les jeunes sont mal dans leur tête, plus ils sont violents. Face à une délinquance qui est de plus en plus brutale, on réagit dans l’urgence. A la prochaine grosse bavure, on repartira pour un tour d’émeutes. »

Le 31 mars, le Syndicat général de la police (SGP-Force ouvrière) exprimait dans un communiqué son refus de voir « la police transformée en outil de répression sociale ». « La police n’a pas vocation à répondre à un problème politique quand l’Etat est fragilisé », indique Nicolas Comte, secrétaire général du SGP-FO. Joaquin Masanet est encore plus tranché : « Nous ne sommes pas des assistantes sociales. Dès qu’il y a un problème dans un quartier, on appelle la police. Parce qu’il n’y a rien d’autre. Ni Anpe, ni argent pour faire fonctionner les missions locales pour l’emploi. Ce sont les maires et la police qui se retrouvent aux avant-postes alors que l’Etat se désengage. »

Pouvoir sourd. Thierry « ne veut pas servir de bouc émissaire entre le gouvernement et la société française ». Comment dans de telles conditions concilier le rétablissement de l’ordre public sans apparaître comme le bras armé d’un pouvoir sourd à la rue ? « On tente une gestion fine, avance un commissaire, rétablir un certain ordre social, éviter la casse, respecter les manifs et exclure ceux qui les pervertissent. » Pour ce faire, les spécialistes du maintien de l’ordre ont dû adapter leurs techniques. Un officier de CRS explique : « Aujourd’hui, on nous demande d’épouser la mobilité des groupes qui sont dans la rue. On a vécu une première adaptation rapide de nos méthodes en novembre. Les manifestations antiCPE sont la suite des émeutes en terme de technicité. Aujourd’hui, le maintien de l’ordre en terme statique régresse, notre travail s’apparente à une forme de lutte contre la guérilla urbaine ».

« Métier complexifié ». Selon un ponte des RG, la mobilisation anti-CPE a mis en évidence une crise bien spécifique : « Nous sommes confrontés à des jeunes, à un mouvement désorganisé, éparpillé auquel s’agrège une "clientèle extrêmement violente", celle des casseurs. Notre métier se complexifie car on a affaire à un public nouveau, plus volatile. »

Sur le terrain, un CRS raconte : « Depuis un mois, on s’est améliorés. La réalité vaut le meilleur des entraînements. Vous savez, nous on est les "serpillières de la République", on nettoie la merde et on n’est pas là pour juger. Les mecs sont contents d’aller en manif plutôt que de tourner en rond dans les cités et d’arrêter pour la 30e fois dans la soirée Mouloud parce qu’il est basané. Ça, c’est n’importe quoi. On nous demande de faire du chiffre en banlieue avec les mis à disposition (personnes interpellées par les CRS et remises à des enquêteurs, ndlr). Sarko, quand il partira, il y aura des bouchons de champagne qui vont sauter chez nous. Il nous met une pression folle. Ça nous gave d’aller en banlieue. La plupart du temps, il ne s’y passe rien, c’est aussi calme que les centre-villes. » Eric ne voit pas non plus l’utilité de fixer des CRS en banlieue : « Ça n’a rien changé depuis qu’ils sont ici. C’est uniquement une mesure d’affichage. »

Tandis que CRS et gendarmes mobiles sont monopolisés sur les manifestations, les RG observent depuis deux mois les incidences de la mobilisation anti-CPE sur l’opinion : « Beaucoup de gens se plaignent, leur pouvoir d’achat n’augmente pas, les prix s’envolent. Il y a une insatisfaction grandissante, très forte, indique un officier. Au fond des banlieues, dans les cafés, la parole se libère. On est face à une image désordonnée de manifs et de violences urbaines qui peut créer une demande d’ordre forte. Est-ce que cela profitera à Sarkozy ou est-ce que le FN l’emportera ? C’est difficile à dire. Les gens sont déboussolés. »

(1) Les prénoms ont été modifiés.

par Jacky DURAND
http://www.libe.com/page.php?Article=374087

Messages

  • "Plus les jeunes sont mal dans leur tête, plus ils sont violents." de la à en conclure que la majorité des policiers sont depuis toujours mal dans leur tête ; ce qui expliquerait la repression forcenée qu’on a pu voir. Et puis c’est bien beau de se lamenter mais quid du droit du sabre ? Quand un ordre donné est inique tout corps militaire ou apparenté à le droit de le refuser. Autrement dit j’en conclue que lorsqu’on utilise pas ce droit on est de fait complice.

    • Ce sont les policiers en uniformes qui râlent.Parce que le syndicat des commissaires de police auteur de la loi sur les bébés délinquants,et les flics de la BAC s’en sont donné à cœur joie pendant les deux derniers mois,entre les matraquages,les arrestations abitraires et le flicage des militants ça fait beaucoup !
      Jean Claude des Landes
      SP:pareil pour les juges à mettre dans le même sac !

  • Pour infos messieurs les têtes plates :

    Un rapport critique les méthodes policières en France
    [2006-04-12 10:05]

    PARIS (Reuters) - La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) critique les méthodes de la police française lors des arrestations et des interrogatoires, dans son rapport annuel.

    Cette autorité administrative indépendante, créée en 2000, déplore une "méconnaissance des textes légaux de la procédure pénale" pour la garde à vue, les fouilles à corps et les menottages.

    Le rapport fait état d’une nouvelle augmentation des saisines de cette instance (108 en 2005 contre 97 en 2004), notamment par des parlementaires, ce qui confirme une tendance à la hausse : elle avait été saisie 70 fois en 2003, 40 en 2002 et 19 en 2001.

    La commission, présidée par le magistrat Pierre Truche, déplore que les policiers ne respectent pas toujours les consignes du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy sur la dignité des personnes en garde à vue, sujet qui a fait l’objet d’une circulaire le 11 mars 2003.

    Elle évoque aussi un cas grave, celui d’un homme retrouvé agonisant le 10 octobre 2004, dans la rue, près du commissariat du XVIIe arrondissement de Paris, où il avait été placé en garde à vue la veille.

    Mort plus tard d’une hémorragie cérébrale, il ne semble pas avoir été présenté à un médecin, comme l’exige la loi.

    La CNDS a par ailleurs relevé des "présomptions de fausses signatures" des policiers sur les procès-verbaux d’audition et le registre de garde à vue.

    TROP DE PERSONNES MENOTTEES

    La CNDS déplore par ailleurs une "banalisation" de la fouille à corps, pratique où un suspect est entièrement déshabillé et qui a été utilisée par la police pour quatre mineurs à Montgeron (Essonne), arrêtés pour de simples bris de vitres, ou encore sur un simple témoin à Créteil (Val-de-Marne).

    Elle estime aussi que les policiers menottent trop systématiquement les personnes appréhendées, alors que cette mesure doit légalement être réservée aux "individus dangereux ou susceptibles de prendre la fuite", rappelle-t-elle.

    La CNDS s’étonne de plusieurs affaires concernant des interventions policières à l’encontre de mineurs, lors de contrôles d’identité ou d’arrestations, où l’intervention policière est jugée disproportionnée.

    Elle suggère que, "face à un trouble minime, les policiers s’abstiennent de toute intervention de nature à entraîner un trouble plus grave".

    La CNDS consacre enfin un important chapitre au placement en rétention de familles d’étrangers en instance d’expulsion, dont elle juge les droits pas toujours respectés.

    Elle raconte ainsi qu’un nourrisson d’un mois né en France en août 2005 et sa mère, d’origine somalienne, ont été retenus dans un véhicule de police à Rouen "durant huit heures, sans eau ni nourriture". Pour la CNDS, cela relève de la maltraitance.

    La commission a été vivement critiquée en 2005 par les syndicats de police car elle dénonçait le racisme dans les rangs des policiers, dans son rapport 2004.

    Le ministère de l’Intérieur et les syndicats estiment qu’elle exagère un problème statistiquement minime. Ses moyens financiers ont été réduits en fin d’année dernière.

    • Le même rapport signale aussi une augmentation des violences contre les policiers de 106% !!

      Je crois qu’un peu d’honnêteté et de bon sens devraient nous amener à condamner la violence sous toutes ses formes et à ne pas mettre dans le même sac les flics racistes, droitiers et violents et l’ensemble des fonctionnaires de police.

      "UNE VIOLENCE TRÈS PRÉGNANTE"

      Parallèlement, le nombre de plaintes déposées en 2005 pour des "violences policières" a baissé de 5,60 % par rapport à l’année précédente, soit une plainte pour 6 000 interventions de la police.

      Le directeur de l’IGS, Eric Meillan, a noté que les événements de novembre 2005 dans les banlieues n’avaient donné lieu qu’à "relativement peu de plaintes", tandis que "7 plaintes pour faits de violences", visant indistinctement policiers ou gendarmes mobiles, "ont été déposées dans le cadre des manifestations parisiennes contre le CPE".

      Ce bilan s’inscrit dans un climat où "les rapports sociaux sont marqués par une violence très prégnante", a souligné M. Lamotte, citant les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance (OND) selon lequel les violences contre les personnes ont augmenté de 80 % entre 1996 et 2005, et que, dans le même temps, celles commises contre les "dépositaires de l’autorité" ont crû de 105 %.

      4 246 policiers ont été blessés en mission de police en 2005, soit 10,52 % de plus qu’au cours de l’année précédente.
      Entre 1991 et 2004, 10 policiers ont été tués en mission (aucun en 2005). Au 1er janvier 2005, la police nationale comptait 144 619 fonctionnaires.

      source : Le Monde (avec AFP)