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Criminalisation de la prostitution : l’enfer suédois

Publie le mardi 3 juin 2008 par Open-Publishing
10 commentaires

Etre travailleuse du sexe en Suède : un enfer rempli de dangers !

Allocution prononcée en 2001 par Rosinha Sambo lors de la Conférence des travailleuses du sexe à Taipei

Être travailleuse du sexe en Suède est dangereux.

C’est un enfer rempli de dangers. Nous ne savons plus comment exercer notre métier. Ce que nous avons en Suède, c’est une loi contraignante, qui ne nous sert pas du tout. Le gouvernement suédois veut "réadapter" les travailleuses du sexe, comme si nous étions atteintes d’une espèce de maladie dangereuse. Ils doivent nous réadapter, comme si nous avions le pouvoir de répandre cette maladie.

J’ai essayé en vain d’expliquer aux politicien-nes, aux féministes et à d’autres intellectuel-les ignorants que nous exerçons un métier et que l’exercice de ce métier est un choix. J’ai essayé d’expliquer qu’il devrait plutôt exister des cours sur le travail du sexe. Pour en faire un meilleur métier, plus sécuritaire – surtout pour les travailleuses plus jeunes.

L’état suédois se borne à faire abstraction de notre travail visant à améliorer les conditions des plus jeunes. C’est très difficile en Suède à l’heure actuelle. Très, très difficile. Surtout pour ce qui a trait à la santé. La question de la santé est en suspens et personne ne semble s’en préoccuper. Les travailleuses du sexe sont les victimes du dangereux silence qui les entoure.

Elles doivent protéger leurs clients pour les garder. Elles sont exposées à toutes sortes de criminels, des malades, des sadiques, parce qu’elles doivent protéger leurs clients. La Suède vit de son image – le regard que pose le reste du monde sur le pays est d’une importance primordiale aux yeux du gouvernement. Ils veulent bien paraître, mais ils se foutent de savoir comment nous allons y arriver. Les politicien-nes savent très bien que le travail du sexe continue et que leur tentative ridicule de se débarrasser de nous a complètement échoué. Ce n’est pas parce qu’ils ne nous voient plus que nous n’existons plus. Ils le savent bien. Mais bien sûr, comme la Suède est très loin du reste de la planète, on ne vient pas à tous les mois voir si les putes vont bien.

Une des pires conséquences de cette loi c’est l’augmentation de la prostitution des mineures en Suède. La mafia est arrivée – la mafia russe qui n’a rien à voir en Suède. Si au moins c’était la mafia suédoise ! La mafia russe arrive en Suède avec beaucoup de jeunes filles qui ont été enlevées, des femmes plus âgées, des femmes de tous les âges. Beaucoup de putes suédoises ont été assassinées parce qu’elles ne pouvaient plus faire appel à la police. Parce que si une pute appelle la police, tout le monde finit par savoir qu’elle a appelé les flics, ensuite elle a des problèmes et elle perd tous ses clients. Alors beaucoup de femmes et d’hommes sont tués. Des prostituées, des travailleuses du sexe. Comme moi. Comme plusieurs d’entre nous. D’autres ont déménagé. D’autres sont devenues alcooliques, ont perdu leurs enfants et ainsi de suite.

Moi, il y a trois ans, avant l’arrivée de cette loi, je vivais avec mes deux enfants. Plus maintenant. J’ai installé mes enfants au Portugal et je dois bien veiller à ce que l’État ne me les enlève pas. C’est très facile en ce moment en Suède d’enlever ses enfants à une prostituée. S’ils savent que tu te prostitues, ils t’ont à l’œil. Si jamais tu as un problème, ils t’enlèvent tes enfants immédiatement. Comme je ne veux pas courir ce risque, je préfère que mes enfants vivent avec la famille de mon père au Portugal, plutôt qu’avec moi. Cette loi est donc en train de déchirer des familles ; je ne suis pas la seule qui vit séparée de ses enfants maintenant à cause de la loi.

Une autre conséquence de la loi, c’est que plusieurs travailleuses du sexe suédoises se déplacent en Norvège, le pays voisin. Il ne faut que quelques heures pour s’y rendre en train. Mais bien sûr quand on vit à 5, 6 ou 7 heures de la Norvège, on ne peut pas revenir à la maison tous les jours. Ce qui veut dire qu’il faut une gardienne. Il faut faire drôlement confiance à sa gardienne. Parce qu’on ne revient que les week-ends, et encore, pas à tous les week-ends. Et ça aussi c’est très difficile. Non seulement c’est gênant, ce n’est pas ça le pire : c’est très dur de laisser ses enfants avec une gardienne pendant une semaine, ou pour deux semaines, parce qu’il faut quitter le pays pour aller travailler. En plus, ça sursature le marché du sexe en Norvège. Les putes norvégiennes n’en peuvent plus, parce qu’elles sont submergées par la compétition. Donc les prix en Norvège se sont effondrés à cause de la loi suédoise.

Les putes fuient vers les pays voisins – le Danemark et la Norvège. Mais les prix au Danemark sont plus bas, alors les putes danoises vont elles aussi en Norvège. Tout d’un coup, la Norvège se retrouve avec des putes danoises et suédoises. Alors ils ne savent plus quoi faire en Norvège. C’est vraiment un problème. Disons que la Suède a eu la gentillesse de passer ses problèmes à ses voisins. Ils sont reconnus pour ça dans les pays scandinaves.

Ensuite il y a l’ancienne pute de luxe scandinave qui n’est plus de luxe et qui craint pour l’avenir. La loi suédoise fait paniquer toutes les putes scandinaves, du nord au sud. Tous les pays voisins, le Danemark, la Finlande, la Norvège, veulent que la Suède change cette loi, mais c’est si difficile. Très, très difficile. Parce que la Suède est contente étant donné qu’elle fait de l’argent sur tous les voyages vers la Norvège et le Danemark. Les transports sont toujours pleins de putes. Et de clients. Les clients prennent parfois le bateau pour se rendre au Danemark ou en Finlande pour baiser. Ceux qui sont paranoïaques et qui craignent la police, ils partent. Ce sont les clients réguliers qui ne veulent pas être pris. C’est un gros problème.

Le gouvernement suédois se montre très égoïste en appliquant cette loi. Tant que l’image du pays est belle aux yeux de leurs homologues conservateurs imbéciles de partout dans le monde, ils sont contents. Ils ne se gênent pas pour envoyer leurs problèmes dans la cour du voisin. C’est comme si, par exemple, je ne voulais pas d’un gros arbre qui pousse dans ma cour ; au milieu de la nuit, je vais le déraciner et le lendemain, mon voisin se réveille avec beaucoup d’ombre dans sa fenêtre. On rit, mais c’est vrai. Toutes les putes de la Scandinavie, nous sommes d’accord, la loi suédoise nous met vraiment en colère : ils redonnent leurs problèmes aux voisins. Je crains vraiment que ce genre de choses pourrait se reproduire dans d’autres pays qui veulent se servir du modèle suédois.

Il est donc nécessaire que les pays qui veulent copier ce modèle, surtout les pays voisins, fassent très attention que leur marché ne devienne pas comme celui qu’il y a en Norvège actuellement. C’est la panique. L’organisation norvégienne, la Prostitute Interests Organisation of Norway, la PION, qui est formée de bonnes amies à moi, aide toutes les putes qui traversent les frontières et qui arrivent en cherchant des chambres pas chères et tout, même des choses fondamentales, comme l’asile politique. Mais la travailleuse du sexe norvégienne moyenne, qui a des enfants et des comptes à payer, est très fâchée parce qu’elle n’arrive plus à faire assez d’argent pour payer ses comptes à cause des nouvelles qui arrivent en masse et qui font baisser les prix du marché, et les clients qui se font rares.

C’est dur. Très dur. Et c’est ce qui attend tous les pays voisins de pays qui tenteront d’instaurer le modèle suédois. C’est un modèle dangereux pour les pays voisins. Ces lois sont terribles pour nous les travailleuses du sexe qui vivons dans ces pays. Terribles. Mais pour les voisins, c’est pire, comme ils doivent se débarrasser non seulement des putes locales mais en plus de celles qui ont envahi le pays. Et finalement, je ne sais pas comment ils feront. Je ne sais pas. Est-ce qu’ils vont nous tuer ? Nous exterminer ? Dans des cavernes à gaz ? Nous enfermer pour de bon ? Je ne sais pas. Cette politique est extrêmement dangereuse. Personne n’y avait pensé, et elle est très, très, très, très dangereuse.

Je ne me suis pas rendue à l’université, mais j’ai l’impression d’avoir un bac. Un bac en prostitution. J’en sais plus sur la prostitution. Je dirais même que je suis docteure ès prostitution. Et c’est pourquoi je suis assise ici, pour vous parler. Et aussi je veux envoyer un énorme SOS à la Suède, et à tous les pays qui tenteront de copier cette loi manifestement terrible et nulle et inutile. Je veux attirer votre attention, parce que la Suède est un exemple puissant de là où cette stratégie peut mener. Là où la loi et "l’ordre public" peuvent nous amener. S’ils ne reculent pas, nous ne devons pas reculer non plus. S’ils sont un modèle maintenant et qu’ils veulent le rester, nous leur laisserons ce rôle et nous nous assurerons qu’ils échoueront internationalement. Et nous veillerons à ce qu’ils reconnaissent leur erreur, puisqu’en tant que modèle, tout le monde les observe et tout le monde les verra échouer. Tous les pays qui imitent la Suède et qui tentent de nous chasser de la surface de la Terre n’auront qu’à constater que ce n’est pas comme ça que ça fonctionne et ça, nous ne pouvons le faire qu’à partir de la Suède.

Tous les yeux sont sur la Suède à ce sujet et c’est pour cela que je suis ici, pour faire encore une fois un appel à tous mes collègues, de partout dans le monde."

Source : Allocution prononcée en 2001 par Rosinha Sambo lors de la Conférence des travailleuses du sexe à Taipei (version anglaise : audio et verbatim)

Pages reliées :
SANS - Sexworkers and allies network in Sweden (en français, anglais et suédois)
Les mensonges sur le travail du sexe en Suède, Isabella Lund, à partir d’une traduction faite par les lesputes.org, 27.05.2007

Ce qui cloche avec le modèle suédois, 20.05.2005
L’interdiction d’acheter des services sexuels favorise les pratiques clandestines, 16.07.2002
C’est une pute, Nicole Nepton, 19.01.2002
Critiques of Swedish Prostitution Law

http://cybersolidaires.typepad.com/...

Messages

    • Effectivement , se prostituer c’est etre esclave ! Et on retrouve dans l’article les memes arguments qu’ailleurs avec surtout ce terrible " c’est un choix" comme si vendre son corps était un choix ! La très grande majorité des prostituées ont à voir avec une enfance et une jeunesse très douloureuse , beaucoup de rejets, peu d’amour ! Pour vendre son corps de cette façon , il faut tellement se détester , c’est bien connu ! Oui , l’organisation de la prostitution est criminelle , les prostituées au fond des victimes , et le tout le capitalisme dans toute son horreur ( je parle de la prostitution organisée qui est la plus importante)

    • une "pute" affirme elle-même que "la prostitution est un choix" et vous répondez "c’est bien connu que c’est pas un choix". Vous avez un autre argument que "c’est bien connu" ? "Une" pute ne le représente certes pas toutes, mais celle-ci semble cependant représentative d’un certain nombre (ou alors cette sorte de congrès est totalement absurde - c’est aussi possible).
      Bref, j’ai aussi tendance à estimer qu’on n’est pas pute par choix, mais n’ayant pas l’expérience (vous l’avez peut être ? faites en alors partager les gens, ça sera plus convainquant que "c’est bien connu"), je préfère ne pas me montrer si catégorique et j’essaie de me mettre à la place de celle tenant ce propos...

  • Est-ce que quelqu’un sait comment sont perçues les prostitués en Suède par les gens, je veux dire sur un mode général

    je me rappelle avoir vu il y a quelques années un reportage sur le libéralisation des moeurs dans ce pays dans les années 70 (je crois que c’était les très bons reportages "dark side of porn" produits par channel 4), puis un sévère retour de baton moralisant

    qu’en est-il aujourd’hui

  • La mafia,c’est pas un problème si elle est SUEDOISE.Et puis,faire la PUTE c’est un choix.....Les macs ne sont après tout que des chefs d’entreprise.....

    CET ARTICLE EST DESOLANT.

    LE REBOURSIER

    • Malheureusement la prostitution des hommes femmes majeurs et mineurs, n’est pas toujours une afaire de choix volontaire

      sinon les choses seraient c’est sûr plus évident, plus simpliste dans la gestion d’un problème complexe comme celui-ci par la société humaine

      la mafia c’est comme les nuages atomiques ça ne s’arrête pas aux frontières, donc qu’elle soit locale ou internationale elle est partout

      quant aux macs là encore c’est pas toujours une affaire de choix volontaire

    • vous parlez tous les deux de Mafia : en êtes vous sûr ? ça semble réaliste à l’aune de ce qu’on voit en France, mais si on regarde, par ex, aux Pays-Bas, c’est moins évident (je pense aux divers "quartiers rouges" ou "putes en vitrine", ce qui a au moins un avantage de sécurité et d’autonomie indéniable - sans régler la question de "est-ce un choix ou non").

  • La loi suédoise fonctionne bien, au contraire.

    http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=86195

    Quant au modèle néerlandais, il échoue à protéger les femmes :

    "La Coalition contre le trafic des femmes (CATW) a mené deux grandes études sur le trafic sexuel et la prostitution et pour cela a recueilli le témoignage de près de deux cents victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales. Lors de ces études, les prostituées ont déclaré que les établissements dans lesquels elles étaient ne faisaient presque rien pour les protéger, qu’ils soient légaux ou illégaux. « Les seules fois où ils interviennent, c’est pour protéger les clients. »" (source : Janyce Raymond, 10 raisons pour ne pas légaliser la prostitution.)

    Il ne parvient pas non plus à combattre les mafias et le trafic, voir par exemple l’augmentation de la prostitution des mineurs aux Pays-Bas :

    "En pratique, cependant, la prostitution enfantine a progressé de façon dramatique pendant les années 1990 aux Pays-Bas. L’Organisation pour les droits des enfants, dont le siège est à Amsterdam, estime que le nombre de mineurs qui se prostituent est passé de 4 000 en 1996 à 15 000 en 2001. Ce groupe indique qu’au moins 5 000 mineurs sont étrangers, avec une grande proportion de filles venant du Nigeria (Tiggeloven : 2001)."

    D’alleurs, cette année, la municipalité d’Amsterdam a fait fermer un tiers des maisons closes du "quartier rouge" en affirmant qu’elle était complétement dépassée par la concentration d’activités criminelles (traite et blanchiment d’argent) auxquelles il sert d’appui. Ils réfléchissent aujourd’hui à une politique de pénalisation des "clients" de "prostituées illégales".

  • Votre avis est judicieux. Plus il y a prohibition, plus il y a de dangers pour les travailleuses du sexe (les considérations morales sont un autre débat) et plus de mafias et de proxenétisme pour "protection". Exemple : la France où la chasse au "raccolage passif"· occupe les forces de police qui ont moins de disponibilité à effectifs constants pour infiltrer et combattre les réseaux ! Par contre en Espagne, où nous trouvons une certaine transparence, les "clubs prostibuls" ne sont pas illégaux, ce qui permet aux filles (surtout de l’est de la Roumanie avec la libre circulation pour ce pays) d’exercer dans des conditions optimums de sécurité et d’hygiène, avec un "turn over" constant de 3 a 4 mois pour ces "touristes" occasionnelles, ce qui n’est pas interdit par la loi qui exige seulement la majorité et des papiers en règle. Ce service sexuel rémunéré n’étant pas consideré comme un travail comme en Allemagne, c’est tout bénef non imposables pour les filles qui, pour 80%, vont et viennent librement. Le reste du débat est moral et idéologique. Voir sur le site "institut de la prostitution", le débat sur "métier comme un autre" et "tourisme sexuel en Espagne" : http://www.iprostitution.org/2008/04/17/prostitution-metier-comme-un-autre-suite/
    http://www.iprostitution.org/2008/03/02/espagne-tourisme-sexuel-a-la-frontiere-francaise-synthese-du-quotidien-%C2%AB-el-pais-%C2%BB/

    • Une femme sexy n’est ni travailleuse du sexe ni nonne !

      Contre une stigmatisation dangereuse

      Il est dangereux de laisser entendre qu’une femme qui porte des jupes courtes avec des talons hauts est une "pute" ou versus plus euphémisé "vulgaire". La vulgarité n’est pas une affaire de hauteur de jupe ! Surtout comment dés lors expliquer aux jeunes adolescents qu’il ne faut pas stigmatiser leurs copines en usant du terme "pute". Ou alors il faut admettre que le terme "pute" a plusieurs sens. Ce qui est d’ailleurs exact.

      Faut-il rappeler qu’une femme sexy (jeune ou pas, fine ou pas) cherche du plaisir pour elle dans un cadre hétérosexuel ou homosexuel alors qu’une travailleuse du sexe fait commerce d’une partie de sa sexualité contre rétribution financière et sans plaisir. Il peut y avoir du plaisir il y a surtout de façon générale de la souffrance et une forte aliénation. C’est pourquoi la prostitution devrait être combattue fermement.

      L’ordre moral patriarcal et famillialiste entend circonscrire par des normes ce qui est acceptable.
      Cela concerne les femmes mais aussi les hommes.
      Exemple : Ce propos d’une femme (une vendeuse) : la jupe en-dessous du genoux cela fait mamie, la mini-jupe c’est pour les moins de trente ans la jupe pour vous (femme entre 50 et 60 ans) c’est juste au-dessus du genoux. L’espace de liberté est mince si l’on veut se conformer. Il reste le pantalon certains sont sexy et d’autres pas.

      Personne n’empêche quiconque de devenir nonne mais ce n’est guère attrayant pour de très nombreux jeunes. Le modèle de la religion serait sans séduction et sans sexualité. Il faudrait pour la jeunesse une spiritualité et une religiosité digne des octogénères ! D’un autre côté la marchandisation incite à son contraire.

      L’éloge des femmes passives - Les mots sont importants (lmsi.net)
      http://lmsi.net/L-eloge-des-femmes-passives

      Essayons un mixte : Déguisement de nonne sexy

      Déguisement et Fête | Pour croyants et non croyants !
      A chacun ses gouts ! Certains sont anodins .

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