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Cuba - Tchernobyl : Lettre à Maria

Publie le mardi 29 août 2006 par Open-Publishing
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de Viktor Dedaj "amoureux en transit"

Chère Maria,
Je ne sais pas si mon nom vous dira quelque chose. A vrai dire, je ne crois pas vous avoir laissé un souvenir impérissable. C’est pourtant vous qui m’avez donné, au détour d’une seule phrase, une des plus belles leçons d’humanité qu’un homme puisse recevoir. Cela fait déjà quelques années de cela mais, comme vous pouvez le constater, je n’ai pas oublié.

Vous souvenez-vous, Maria, de cet occidental en visite sur votre île qui voulait vous poser quelques questions ? En réalité, et pour être en phase avec mon état d’esprit à cette époque, je voulais plutôt vous demander de justifier votre soutien à un certain Fidel Castro. "Comment pouvez-vous..." aurait probablement été le début de l’interrogatoire en bonne et due forme que je vous avais préparé. Oui, Maria, je sais. Mais comprenez-moi, c’était "avant".

Vous n’aviez pas vraiment le temps, mais vous m’avez quand même accordé 15 minutes d’entretien, comme ça. Je n’ai pas eu l’élégance de relever la gentillesse de votre geste, n’est-ce pas, Maria ? Après tout, je venais de France, comprenez-vous ? Et vous, eh bien, vous n’étiez qu’une Cubaine. Médecin. "Encore un ?" aurais-je dit avec ironie à l’époque. Oui, Maria, je sais. Mais c’était avant.

Vous étiez en charge du programme (cubain) de soins dispensés (gratuitement) aux enfants (ukrainiens) victimes des retombées de l’accident (nucléaire) de Tchernobyl. Je n’avais jamais entendu parler auparavant de ce programme. Encore moins de vous, d’ailleurs. Mais une amie cubaine a insisté pour nous présenter.

Vous m’avez expliqué que les autorités ukrainiennes envoyaient les enfants se faire soigner à Cuba. A l’époque (à savoir au début des années 90), environ 5 000 étaient pris en charge par vos services. Je crois savoir que, depuis, ce chiffre est monté à plus de 15.000. Etes-vous toujours responsable de ce programme Maria ? Je me pose souvent cette question.

L’entretien dura plus longtemps que prévu. Plusieurs heures en fait. Je suppose que vous vous sentiez en confiance et rassurée par cet occidental qui cherchait avant tout à comprendre. Vous avez finalement regardé votre montre et vous vous êtes levée en déclarant qu’un avion arrivait d’Ukraine, avec deux cents enfants supplémentaires, et que vous ne saviez pas encore où vous alliez les loger. Vous vous êtes même excusée. Excusée de n’avoir plus le temps.

Mais quelques jours auparavant, j’avais lu dans la presse commerciale de chez nous que les Etats-Unis avaient présenté à l’ONU (encore) une résolution visant à condamner Cuba pour "atteintes aux Droits de l’homme". Cela ne me choqua pas car, à l’époque, j’étais encore ce que l’on appelle un anticastriste. Comme tout le monde, quoi. Je vous ai parlé de ce vote. Bien entendu, vous étiez au courant.

"L’Ukraine n’a-t-elle pas récemment condamné Cuba pour atteintes aux Droits de l’homme ?" vous ai-je demandé. "Oui, c’est exact," m’avez-vous répondu. "Et ils vous envoient dans la foulée deux cents enfants de plus ?" ai-je insisté. "Oui," m’avez-vous confirmé, apparemment sans trop savoir où je voulais en venir.

C’est étrange comme certaines vies peuvent basculer, au détour d’une rencontre ou d’une phrase. Je garde encore les traces de la tempête qui se déchaîna sous mon crâne.

M’en voulez-vous encore, Maria ? Me pardonnerez-vous un jour cet échange ? Pire : l’avez-vous gardée en mémoire ? Non ? Alors la voici :

Moi : "L’Ukraine vous condamne à l’ONU, puis ils vous envoient deux cents enfants de plus se faire soigner gratuitement chez vous (en pleine "période spéciale")... ?"

Vous : "Oui"

Moi : "Et vous les acceptez ?"

A ce moment-là, j’ai senti que je venais de perdre toute l’estime péniblement gagnée au cours de ces quelques heures passées en votre charmante compagnie. Vous m’avez jeté ce regard qui me hante encore. Un mélange de tristesse et de déception. Vous m’avez simplement répondu : "Mais... ce n’est pas la faute des enfants". Puis vous êtes partie.

Oui, vous êtes partie mais vous ne m’avez jamais quitté. Comment oublier une telle claque ? De celles qui vous font du bien, de celles qui vous font grandir.

Mais parce que n’importe lequel d’entre "nous" vous aurait posé la même question, et parce que n’importe quel Cubain digne de ce nom aurait répondu la même chose, m’en voudriez-vous de considérer que cette réponse n’est pas celle de Maria à Viktor, mais celle de Cuba à l’Occident tout entier ?

Voyez-vous, Maria, je crois vous avoir comprise. Et depuis notre rencontre, je me suis fixé comme objectif d’être digne de cette leçon. Leçon involontaire, j’en conviens. Et c’est bien pour ça qu’elle n’en est que plus belle. En tout cas, j’aurais essayé.

Oui, Maria, je l’avoue, il y en a eu d’autres après vous. Beaucoup d’autres. De La Havane à Santiago en passant par Santa Clara. Mais vous étiez la première, celle que l’on n’oublie pas.

C’est pour cette raison, chère Maria, que je me suis enfin décidé à vous faire une lettre, que vous lirez peut-être. Si vous avez le temps.

août 2006 vdedaj@club-internet.fr


20 ANS APRES LA CATASTROPHE DE TCHERNOBYL

« Aucun pays nous a aidé comme Cuba »

Affirme la docteur ukrainienne Elena Topka, dans le camp à l’ouest de La Havane où des médecins cubains soignent toujours des enfants malades des suites de l’accident nucléaire

de NAVIL GARCIA ALFONSO, de Granma international

CINQ ans après le passage du nuage radioactif sur Tchernobyl des suites de l’accident nucléaire et en plein processus de désintégration de l’Union soviétique, sont arrivés à Cuba les premiers patients ukrainiens victimes de l’explosion. Parmi eux de nombreux enfants qui avaient été exposés à des niveaux élevés de contamination par iode radioactif et césium 137.
20 ANS APRES LA CATASTROPHE DE TCHERNOBYL

Le gouvernement cubain, répondant à un appel de la communauté internationale, a envoyé une brigade de spécialistes pour réaliser des examens préliminaires des troubles et mettre en marche le système d’attention hospitalière pour recevoir les enfants et les jeunes atteints de diverses maladies. Les plus communes - selon la docteur Xenia Laurenti, vice-directrice d’assistance médicale du programme d’attention aux enfants de Tchernobyl - étaient les affections des glandes tyroïdes, causées par l’exposition soudaine à des concentrations élevées d’iode.

Depuis lors, une équipe pluridisciplinaire formée par des pédiatres, des gynécologues infantiles, des psychologues, des endocrinologues, des cardiologues et des spécialistes en médecine générale intégrale, a été chargée d’examiner chacun des patients.

« A partir des pathologies - déclare la docteur Laurenti- les traitements sont réalisés directement dans les hôpitaux spécialisés du pays, c’est le cas des maladies cancérigènes et hématologiques ; ou ils peuvent d’effectuer de manière ambulatoire quand les troubles sont moins graves et n’exigent pas l’hospitalisation des enfants ».

PLUS DE 22 000 PATIENTS SOIGNES EN 15 ANS

Ce programme humanitaire développé par Cuba depuis 15 ans a fourni une assistance médicale gratuite à plus de 22 000 patients d’Ukraine, de Biélorussie, de Russie, d’Arménie, de Moldavie et à d’autres victimes d’une explosion similaire au Brésil.

20 ans sont passés depuis la catastrophe de Tchernobyl et les enfants qui se trouvent aujourd’hui dans l’ancien camp de pionniers de Tarara, situé sur la côte est de La Havane, sont soignés pour différentes maladies, qu’il est difficile de lier scientifiquement, selon la docteur Laurenti, aux effets directs de l’explosion nucléaire.

Elena Topka est une docteur ukrainienne dont l’enfant, qui souffre d’alopécie, est aussi soigné à Cuba. Elle conjugue les fonctions de mère et de professionnelle avec tous les patients. Elle accompagne les médecins cubains dans les visites et elle se tient au courant, comme eux, de l’amélioration des enfants.

« 60% des enfants qui ont des problèmes dermatologiques comme le psoriasis, l’alopécie ou le vitiligo ne peuvent pas être guéris en Ukraine à cause du climat. Cependant, les conditions climatiques de Cuba et les médicaments très efficaces comme la melagenina, la coriodermina et la pilotrophine permettent une amélioration de 70% chez ceux qui sont atteints d’alopécie », déclare la docteur Topka.

Selon les affirmations de la spécialiste ukrainienne, la façon dont sont soignés les enfants est bien fondée scientifiquement et les médecins cubains ont démontré un haut professionnalisme et un niveau de connaissances élevé.

« Il y a encore des enfants en Ukraine qui ont besoin d’un traitement. Beaucoup d’entre eux sont orphelins et aucun pays nous a aidé comme Cuba », déclare la docteur et elle ajoute « qu’après la catastrophe les pressions internationales ont obligé mon pays à démembrer son programme de développement nucléaire ; mais personne nous a aidés, même pas les nations qui ont critiqué le plus l’accident. Nous sommes restés seuls dans notre malheur. Seul Cuba a aidé notre peuple et donné à mon fils l’espoir d’être guéri ».

Comme à tant d’autres on a dit à Anastasia Zajaryk en Ukraine que sa maladie était inguérissable. Elle est née avec une malformation dans ses deux bras qui l’empêche de remuer ses mains.

En 2002 elle a voyagé pour la première fois à La Havane et subi plusieurs opérations à l’hôpital orthopédique Frank Pais. Grâce aux interventions chirurgicales et à l’utilisation de fixateurs externes créés par le docteur Rodriguo Alvarez Cambra, les os de ses bras ont été rallongés et elle peut maintenant saisir certains objets.

Elle n’aime pas beaucoup parler, sans doute par timidité, mais sa mère remercie pour elle les médecins cubains qui « ont rendu possible ce qui aurait été un miracle dans son pays ».

Anastasia a appris à nager à la plage près de l’hôpital de Tarara. Il parait incroyable qu’avec ses petits bras elle ait réussi un semblable exploit. Elle a démontré que c’était possible ; elle hésite aujourd’hui sur son avenir en envisageant soit de réaliser une maîtrise d’éducation physique soit de devenir représentante diplomatique de son pays à Cuba.

A l’occasion du 20e anniversaire de la catastrophe nucléaire renaissent les spéculations sur l’ampleur de l’accident. L’Organisation mondiale de la santé et plusieurs ONG se font écho du nombre des victimes de la contamination radioactive. Bien que les statistiques concernant les maladies de la thyroïde sont toujours élevées, l’explosion a servi de justification pour certaines maladies dont les liens avec l’accident sont loin d’être démontrés.

Pendant ce temps, dans un camp de pionniers retiré à La Havane, les médecins cubains continuent de prêter une aide humanitaire gratuite à ces enfants blonds qui sont arrivés un beau jour dans notre cité scolaire. Depuis lors - pour nous qui à cette époque étions des enfants et avons grandi avec eux - les enfants de Tarara, qu’ils viennent de n’importe quel pays de l’ex-Union soviétique, ont toujours été les enfants de Tchernobyl.

http://www.granma.cu/frances/2006/m...

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