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DUALITE SOCIALE /DUALITE DE POUVOIR

Publie le samedi 5 février 2005 par Open-Publishing
9 commentaires

de Patrick MIGNARD

Il y a quelque chose d’étrange dans la vision que nous avons aujourd’hui du « changement social ». Ce changement serait une sorte de « basculement » spontané d’une réalité dans une autre réalité. Que ce soit les élections, chères à la Gauche ou la « grève générale » insurrectionnelle, chère aux anarchistes, le changement dans les deux cas est « datable ».

Nous sommes confortés dans cette erreur par la manie de fêter des évènements : le 14 juillet 1789 c’est la Révolution Française,... qui peut le nier ? Pourtant est ce aussi simple ?

Cette pratique, qui représente j’en conviens une certaine commodité, est parfaitement réductrice de la réalité historique et nous entraîne depuis des décennies dans des erreurs stratégiques regrettables. C’est aussi peut-être une conséquence de la manière dont on nous a enseigné l’Histoireet/ou peut- être dont nous l’enseignons : souvent une liste fastidieuse, mais aussi parfois, plus ou moins anecdotique de dates, d’évènements et de personnages plus ou moins (plutôt plus que moins) mythiques. Des évènements qui deviennent tellement importants qu’ils semblent suspendus dans le temps historique. La réalité historique est tout autre.

LE SENS DE L’HISTOIRE

La spontanéité des changements dans l’Histoire n’est que pure illusion. Un évènement important, voire déterminant, n’est jamais que l’aboutissement d’un processus qui lui a donné naissance et qui lui a donné son sens. L’importance que parfois il prend est trop souvent fabriquée par les historiens ou ce qui se prétendent l’être ou ce qui ont intérêt à présenter les choses de cette manière. On ne saurait entrer dans une période de l’Histoire en s’attachant simplement à quelques dates. Certes, certaines dates représentent des évènements importants et peuvent être des repères dans le fil complexe des évènements mais c’est l’ensemble du processus des faits sociaux, dont les dates ne sont que des jalons, qui donnent tout son sens à ce qui s’est passé.

Le moment du basculement, de l’effondrement d’un système et son remplacement par un autre est, peut être, moins important que tout ce qui l’a précédé. L’aspect spectaculaire du basculement prend le pas, dans l’imaginaire collectif, sur la mécanique intime du déroulement des évènements qui y ont conduit. Le danger, dans la lecture de l’Histoire est bien entendu que de ne retenir uniquement que la fin du processus, la partie la plus spectaculaire, celle « qui fait date »... et d’en tirer des conclusions toujours beaucoup trop hatives. Réduire la connaissance de l’Histoire à de simples évènements caractéristiques conduit à une double erreur :
 fétichiser l’évènement « final », en en faisant un exemple en soi. Ainsi, sa « théorisation » occulte totalement le processus historique qui lui a donné naissance. La connaissance (en fait la méconnaissance) de l’Histoire se réduisant à la lecture, souvent subjective et passionnelle, et pour cause, de l’évènement.

 séduit par l’évènement, tenter de reproduire mécaniquement « ce qui s’est passé ». La « théorisation » basée sur la fétichisation de l’évènement conduisant évidemment à des erreurs stratégiques... simplement (si l’on peut dire), parce que n’existent pas deux évènements, deux situations identiques, dans l’Histoire.

LA MAUVAISE CONSCIENCE DE L’HISTOIRE

Ceci explique que la question du pouvoir est fondamentalement, stratégiquement moins importante que celle qu’on lui donne depuis deux siècles.

Le 20e siècle a été celui des « stratégies et tactiques » de prises du pouvoir. Que ce soit de manière violente et théorisée, sous sa forme putschiste avec toutes ses variantes, que ce soit sur le mode électoral ou à l’occasion d’une guerre. Toutes les formes ont abouti à un même résultat : l’échec. Si le système marchand a pu être, à un moment donné déstabilisé, mis en difficulté socialement, il s’en est toujours tiré et en est toujours sorti renforcé...Les soit disantes « victoires » ont toujours été relatives et conjoncturelles. Il suffit de voir où nous en sommes aujourd’hui. (voir par exemple l’article « ACQUIS SOCIAUX, RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS ! »)

Donc, de deux choses l’une : ou bien le système marchand est indestructible et constitue la quintessence du développement des rapports sociaux... et il n’y a plus rien à faire. Ou bien le problème de son dépassement a été, et est, systématiquement mal posé et ne pouvait aboutir à aucun succès.

Le drame c’est que le problème n’est jamais posé en ces termes et que l’histoire des luttes n’est qu’un sempiternel renouvellement des erreurs.

La nature du « pouvoir alternatif » n’est pas de la même nature que celle du pouvoir en place. Poser la question de l’existence, de la nature du pouvoir alternatif n’a pas de sens en dehors de la structure sociale qui est censé le représenter. Or, ce à quoi nous assistons actuellement c’est précisément à une tentative de définition d’un pouvoir « en soi », de « Gauche », de « vrai Gauche », de « 100% à Gauche », « Alternatif »,... dont on ne sait évidemment pas de quelle structure sociale, c’est-à-dire que tels rapports sociaux il est, ou sera, représentatif... on se base pour le définir sur de vieux schémas qui nous ont séduit .(Front populaire, Libération, Révolution Française, celle de 1917, ...)

En bref la situation se résumerait à : « on va prendre le pouvoir puis ensuite on verra ». Non seulement les choses ne se passent pas comme cela, mais quand elles se passent ainsi, c’est la catastrophe.

REPENSER LA NATURE DU POUVOIR

C’est une fausse conception de la nature du pouvoir qui entraîne cette vision singulière de l’Histoire, source d’aberration stratégique en matière d’action politique.

Le Pouvoir est toujours celui d’une structure sociale, aussi bien quand il le prend, le pouvoir, et à fortiori quand il l’a. La neutralité sociale du Pouvoir n’existe donc pas. Il est vrai que tous les systèmes ont combattu cette idée, faisant du Pouvoir une entité absolue, détachée des contingences sociales et qu’il est, bien entendu, impossible de remettre en question. Démarche tout à fait logique car tout Pouvoir installé, institutionnalisé, est conservateur, tout Pouvoir est totalitaire dans sa conception qu’il a de lui-même et dans la conception qu’il a des rapports sociaux dont il est le garant. Aucun Pouvoir ne peut imaginer la remise en question de la structure sociale, des rapports sociaux, dont il est le garant... ce serait se nier lui-même.

Le système marchand ne fait évidement pas exception, et fait que toutes les variantes de la forme du Pouvoir qu’il autorise, garantissent les rapports sociaux marchands et exclusivement eux... essentiellement le salariat sous toutes ses formes... aussi bien les plus « sociales » que les plus libérales.

Les seuls changements autorisés ne se font que dans le respect et la garantie de la pérennité de ces rapports le processus dit démocratique ne fonctionne d’ailleurs que dans le respect de ce principe... ce qui explique que les élections, aussi démocratiques soient-elles, ne changent et ne changeront fondamentalement rien.

Le changement, l’alternative, ne se jouent donc pas dans la sphère du Pouvoir, mais ailleurs, dans l’évolution de la nature des rapports sociaux, c’est-à-dire dans ce qui fonde, justifie et donne un sens au Pouvoir (voir l’article « TRANSITION »). C’est essentiellement la structure sociale, les nouveaux rapports de production, qui font le pouvoir social et économique, qui fondent le Pouvoir,... pas l’inverse. L’Histoire du 20e siècle, avec toutes ses « révolutions » avortées en est le plus parfait exemple.

L’ALTERNATIVE DANS LA DUALITE DE POUVOIR

C’est donc dans la dualité du pouvoir social, économique, dans la « pratique alternative » ou plus exactement « l’alternative pratique » que se forge le monde nouveau... pas dans les déclarations et motions, aussi pertinentes et convaincantes soit-elles, élaborées à grand frais de réflexion, de concertation, de négociation entre petits ou grands groupes politiques restreints.

L’alternative commence à apparaître quand, concrètement, l’organisation sociale et économique prend des formes alternatives, nouvelles, qui correspondent à un autre état d’esprit, une autre philosophie, d’autres valeurs, autre dit lorsque le vieux système en place entre en déliquescence, est contourné, est nié dans son existence quotidienne. Lorsque la collectivité fait l’apprentissage concret d’une nouvelle relation sociale, lorsqu’elle se convainc que l’ancienne est obsolète et a fait son temps. voir les articles « DECADENCE » et TRANSITION ».

Alors, mais alors seulement on peut parler d’alternance, la vrai, celle qui substitue des rapports sociaux nouveaux aux anciens. On peut parler de dynamique de changement. Alors oui, se posera la question du « Pouvoir », celui de l’ancien monde déliquescent et celui du nouveau.

Quelle forme prendra cette confrontation dans la phase finale de l’alternance ? Sous quelle forme apparaîtra le nouveau Pouvoir ? Personne ne peut évidemment le dire, mais l’issue du processus dépendra de la qualité des rapports sociaux nouveaux qui auront été créés.

Le discours sur le changement ne sera alors plus du simple domaine de la spéculation intellectuelle ou des promesses électorales, il plongera ses racines dans une pratique sociale dans laquelle tout un chacun-e sera partie prenante.

Messages

  • la révolution c’est donc l’évolution personnelle ?
    Marianne

    • Non, la révolution est un moment de l’évolution sociale, son stade ultime dans le cadre d’un système social donné... et elle est d’autant plus efficace historiquement qu’elle a été préparée socialement c’est à dire que de nouveaux rapports sociaux sont prêts à prendre le relais.

      P.M

    • Un rapport social est un mode de rapport à l’autre médié par le groupe ; son changement implique donc une "évolution personnelle", je ne vois pas de discontinuité.

      Ce n’est probablement pas suffisant, mais certainement la source de tout changement : être acteur de son histoire et sujet de son propre désir.

      delta

    • Quand tu dis « Un rapport social est un mode de rapport à l’autre médié par le groupe », OK mais je pense qu’il faut préciser que le groupe n’est pas pris ici dans le sens d’une « collection de personnes », mais d’un « groupe social », c’est-à-dire qui a des rapports spécifiques dus à la relation de travail, à la répartition des richesses,…

      En répondant NON à la question « la révolution est donc l’évolution personnelle » je voulais signifier que le changement social n’est pas strictement affaire de « changement personnel »… autrement dit chacun ne doit pas faire « sa révolution personnelle » pour que le changement social ait lieu. Cela dit, il est vrai que la mise en place de structures alternatives implique, de la part de celles et ceux qui en prennent l’initiative un changement d’attitude et de comportement… et c’est l’élaboration, la réflexion sur ces pratiques, qui sont un facteur de progression collective et individuelle. La pratique de la relation sociale alternative forge un nouveau type de relations entre les individus, bref une nouvelle culture.

      M.P

  • cf l’article de Michel : retour à la perversion idéologique du libéralisme, le réveil.

  • la question posée n’est pas tellement de savoir si la révolution est possible ; elle est de savoir comment la bourgeoisie se maintient au pouvoir ou autrement dit qu’elle la nature des liens qu’elle entretient avec les rentiers de la sociale, c’est à dire la grande armée des permanentes et permanents, entre autres, chargé-e-s de dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.La bourgeoisie ce malheureux accident de l’histoire n’a qu’une génération d’avance, elle se sait donc fragile donc très agressive, rappelons nous comme le disait BALZAC qu’à l’origine de chaque richesse, il y a un crime, l’ouvrage d’Annie lacroiX-RIZ PARU CHEZ ARMAND COLIN est là pour en témoigner (VENTE PAR RHôNE POULENC DE GAZ ZYKLON B aux nazis souhaitons que la LICRA PORTE Plainte CONTRE RHONE POULENC).La gôche n’est pas la droite, comme il y a babord et tribord, mais c’est le même bateau. Il reste à tirer le bilan des 37 années passées, première candidature de MITTERAND EN 1965, pour comprendre ce qui nous arrive aujourd’hui, rappelons nous que GROSSOUVRE appartenait au réseau de la rose des vents équivalent du réseau GLADIO, en FRANCE, mais la gauche voire l’extrême gauche est-elle capable d’affronter son passé ?Si ce n’est pas le cas, elles ne sont plus porteuses d’avenir.

    • Bonjour,

      Une réponse assez longue de ma part (Michel Piriou) sur l’agonie du libéralisme. Car il est bien question d’agonie au regard de la révolution française pour montrer comment l’histoire se répète. Ainsi, la révolution française fut un point final d’un long processus, se déroulant non pas dans la France seule mais dans le monde économique en tant que système, d’avant 1789. Une partie non négligeable du globe était déjà incorporée du fait de la multiplication des échanges commerciaux. Cela souligne la polarisation d’un système imbriqué économiquement et socialement mais manquant de doctrines réformatrices. Celles ci furent forgées par les théoriciens du siècle des lumières...Cependant, elles se sont institutionnalisées parce qu’il advint le déferlement d’un nouveau consensus public suite à la mise en place d’un mouvement fédérant les énergies populaires...Si nous voulons bien effectuer quelques raccourcis et si nous savons regarder le sens de l’histoire, nous verrons, il me semble, se dessiner une convergence de l’acceptation d’un changement devenu désormais dans l’inconscient collectif, chose normale, et non pas une anomalie temporelle.

      Bonne journée

  • Ce que développe Patrick à travers son article pourrait être illustré à partir de la situation actuelle au Venezuela. Nous pouvons dire que ce qui se passe dans ce pays ne correspond pas aux schémas traditionnels issus du XXéme siècle d’une révolution socialiste. Nous ne saurions réduire la situation à une vision simplement populiste d’un lider charismatique local.
    Pour autant, nous, historiens contemporains des événements, ne saurions dater aujourd’hui le début du mouvement “bolivarien” actuel dans ce pays (élection présidentielle de 1998, tentative de putch d’avril 2002, lock-out des pétroliers de décembre 2002-janvier 2003,...)
    Cependant une révolution politique est en marche où une société en mouvement au travers des milliers de cercles, assemblées populaires, de femmes, d’étudiants ou de quartier, syndicats de luttes ou comités pour la terre constituent de plus en plus la base populaire du “chavisme” et organisent à la base dans les barrios la redistribution de la manne financière issue de l’industrie pétrolière, font ce que Patrick met en avant quand il parle de l’évolution de la nature des rapports sociaux.
    Dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la lutte contre l’analphabétisme, de la culture, de la redistribution de la terre,... je renvoie à la lecture de ce qui paraît dans la presse vraiment de gauche, alternative ou altermondialiste, y compris sur ce site, sur l’évolution en perpétuel mouvement de la situation de dualité de pouvoir dans ce pays.
    Serge
    PS : je mets entre guillemet “bolivarien”, “chavisme” car pour moi, il n’est pas question d’aborder la nature ou la caractérisation du Pouvoir, mais bien ce qui dans le processus met en mouvement des masses de plus en plus importantes de la société civile vénézuélienne, particulièrement parmi la population pauvre habituellement privée du droit de s’exprimer et de s’organiser en dehors des normes traditionnelles (partis, ...)

  • plus de liberté d’entreprise, plus de démocratie et plus de liberté du commerce, c’est ce qu’il faut pour notre planête
    ainsi chacun - en tout cas ceux qui veulent bien arrêter de geindre - pourra saisir sa propre chance et s’épanouir, et ainsi participer à l’enrichissement collectif, tant matériel que culturel, car l’enrichissement favorise la civilisation alors que l’apprauvissement favorise l’exploitation et le non respect de la dignité de l’homme
    vive la liberté !!!