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Daech n’explique pas tout

par Denis Sieffert

Publie le jeudi 28 juillet 2016 par Denis Sieffert - Open-Publishing
10 commentaires

Après Charlie, après le Bataclan, après Nice, après Saint-Etienne-du-Rouvray, après des assassinats de policiers à leur domicile, après la vague d’agressions meurtrières en Allemagne, nos sociétés se livrent à des batailles d’interprétation. Nous nous déchirons quand il s’agit de comprendre qui sont les assassins, et percer leurs motivations. Quelle est la place du religieux et celle du social ? La place du phénomène collectif et la part de la pathologie individuelle.

Il est vrai que ce n’est pas chose aisée, tant les profils des tueurs, les modes opératoires, les cibles choisies sont nombreux et divers. Le jeune fanatique qui a égorgé un prêtre, le 26 juillet, dans une église de Normandie, ne ressemble pas au tueur de Nice. Si ce n’est par un même mépris pour la vie humaine, une même cruauté, et une même envie de mourir. Devant la complexité du problème, le risque est celui d’une réponse simple, trop simple, ramenée à un seul mot : « Daech ». C’est la grande faiblesse de nos politiques en quête d’un message rapide à destination de leurs électeurs. Le politique, celui qui parle immédiatement, vite est fort, se doit de ne douter jamais. Dans le discours ambiant, l’acronyme arabe d’État islamique finit par tout expliquer, et tout résumer.

La tentation est forte d’imaginer que l’on aura résolu nos problèmes quand on aura écrasé cette secte sous les bombes, en Irak et en Syrie. Un camion fonce dans la foule à Nice, et François Hollande envoie le porte-avions Charles de Gaulle au large du Liban. Cette lecture militaire a deux inconvénients, ici et là-bas. Là-bas, elle confond Daech avec une armée traditionnelle à effectifs constants, omettant que cette organisation s’enracine dans la population sunnite, et qu’elle se reconstituera aussi longtemps que de vraies solutions politiques ne seront pas trouvées aux conflits du Moyen-Orient. L’autre inconvénient est évidemment, ici, de faire l’impasse sur les tares de notre société.

La bataille est aussi culturelle et sociale

Ces jeunes Français qui se laissent embrigader par la propagande de Daech, directement ou par une sorte d’imprégnation, sont presque tous des petits délinquants. Beaucoup ont des antécédents psychiatriques, et parfois les deux. Daech ne leur apprend ni la violence, ni la folie, mais leur donne une cause qui « légitime » à leurs yeux l’une et l’autre. Avant de vouloir mourir en tuant, ils veulent mourir tout court. Pourquoi cette idéologie du « no futur » a-t-elle prise sur ces jeunes gens qui vivent parmi nous ? La multiplication des passages à l’acte sous le label plus ou moins clair de Daech ne peut pas nous exonérer de rechercher les causes de toute cette violence au plus profond de notre société. Il s’agit moins de « déradicaliser » que d’éduquer et d’intégrer, et de donner une place à chacun.

Ces considérations n’excluent pas le renseignement, et le cas échéant, la répression. Encore faut-il que cette répression ne cède pas à ceux qui rêvent d’exploiter la situation pour renier sur les libertés publiques ou relancer un débat nauséabond sur l’identité nationale. Lorsque Nicolas Sarkozy invite le gouvernement à ne pas s’arrêter à des « arguties juridiques », qu’entend-il par là ? On peut redouter que les « arguties » en question, ce soit tout simplement ce qu’on appelle le droit. On ne manquera pas de mettre en accusation les juges qui ont accordé une autorisation de sortie quelques heures chaque jour à l’assassin du prêtre de Saint-Etienne du-Rouvray. Et avec eux, la magistrature et la justice. Et, bien sûr, une certaine presse activera la « polémique ». Mais que veut-on ? Que l’on condamne à la prison à perpétuité tous ceux qui ont eu des velléités de partir en Syrie ? Que l’on ouvre des Guantanamo à la française pour y enfermer sans jugement, et définitivement, tous les « suspects », sans savoir d’ailleurs ce que recouvre ce concept ?

La vérité, c’est que la bataille que notre société doit mener est aussi culturelle et sociale. Combat au long cours pour remédier aux méfaits de trente années de politique néolibérale, et de discrimination, et qui, certes, n’empêchera pas le crime auquel nous serons confrontés demain ou après demain. Et un combat qui n’est surtout pas exclusif des autres pour préserver des jeunes gens des mauvaises influences, et prévenir leur dérive. Mais on voit bien que le discours officiel se garde d’aborder cet aspect. Il est toujours plus facile d’externaliser le mal, de tout expliquer par « Daech », ou par le salafisme, quand ce n’est pas par l’islam tout court, que de s’interroger sur nos propres faillites.

http://www.politis.fr/articles/2016/07/daech-nexplique-pas-tout-35193/

Messages

  • En France, les exclus de la mondialisation, de la culture, de la société, de l’école et qui sont athés, boudhistes, satanistes, cathos....ne tuent pas des dizaines de personnes innocentes qui ne demandaient qu’à boire un coup, voir 1 match, pratiquer leur culte....

    • En France, les exclus de la mondialisation, de la culture, de la société, de l’école et qui sont athés, boudhistes, satanistes, cathos....ne tuent pas des dizaines de personnes innocentes qui ne demandaient qu’à boire un coup, voir 1 match, pratiquer leur culte....

      Alors que les musulmans tuent, eux, des dizaines de personnes innocentes ?! LES musulmans ?

      A partir de ce que font 100 ou 1000 gars, tu généralises à des millions de musulmans de France, c’est incroyable.

      Quand des sectes chrétiennes ont provoqué des drames sanglants, aux USA et ailleurs, personne n’a eu l’idée saugrenue d’en chercher l’origine dans la bible, où l’on trouve pourtant le même genre d’horreurs que dans le coran. Pourquoi deux poids deux mesures ?

      Des massacres et des horreurs, il y en a eu des tonnes entre catholique et protestants. Là aussi c’était le coran et l’islam les responsables ?

      Ce qui me fait peur, c’est de lire ça non dans les commentaires d’un journal local ou du Parisien (ça peut se concevoir, vu le niveau de le pen dans les sondages) mais sur BC. Quelle sale époque...

    • Le camarade n’a pas dit que TOUS LES musulmans massacraient.
      "Quand des sectes chrétiennes ont provoqué des drames sanglants, aux USA et ailleurs, personne n’a eu l’idée saugrenue d’en chercher l’origine dans la bible"
      Ah bon ?... Je dois avoir l’esprit tordu.

    • Où as-tu vu dans son propos une mise en cause de "TOUS" les musulmans ?
      Tu es un drôle de flic du langage, toi...

    • En France, les exclus (...) qui sont athés, boudhistes, satanistes, cathos....ne tuent pas des dizaines de personnes innocentes

      Eux.

      Alors que...

      Bref, ça colporte le cliché dangereux : les musulmans sont différents de tous les autres croyants, plus violents, plus agressifs.

      Faut pas faire semblant de pas savoir compléter les phrases et de pas comprendre.

      Et quelle conclusion tirer d’une telle vision, l’islam plus nuisible que les autres religions, l’islam montré du doigt ?
      Quelles vont être les conséquences (surtout quand on voit à quel point la peur peut provoquer le déraillement de la raison) ? J’ai comme une idée, et je crains qu’on ait l’occasion d’en reparler...

  • "cette organisation s’enracine dans la population sunnite"
    Daesh peut jouer sur les méfiances entre alaouites, chiites et sunnites. De là à croire que tous les sunnites l’accueillent en libérateur...

  • "Le jeune fanatique qui a égorgé un prêtre, le 26 juillet, dans une église de Normandie, ne ressemble pas au tueur de Nice. Si ce n’est par un même mépris pour la vie humaine, une même cruauté, et une même envie de mourir. Devant la complexité du problème, le risque est celui d’une réponse simple, trop simple, ramenée à un seul mot : « Daech »."
    D’abord ce n’est pas LE mais LES (ils étaient deux).
    Ensuite, il existe une vidéo qu’ils ont tournée et sur laquelle ils font allégeance à DAECH. Je crois que tout est dit. Pas la peine de tourner autour du pot comme une certaine gauche angélique et aveugle le fait au nom d’on ne sait quoi mais, du même coup, désarme le peuple face à ces fascistes et aux autres (le FN par exemple).

    • "Angélisme", toujours ce mot magique qui justifie tous les coups tordus contre les libertés, qui chasse dédaigneusement tout effort vers l’humanisme et favorise la bestialité dans nos relations : à la menace ou au crime, opposons l’élimination radicale de l’ennemi comme dans les jeux vidéos.
      La dictature de l’image fait que la société (capitaliste parce qu’il y a profit à tous les étages) s’appuyant sur le besoin de conformisme d’intégration au monde de la minorité de gagneurs, de milliards de "perdants, produit de l’illusion à l’infini, jusqu’à faire oublier la réalité indépassable de notre fragile et misérable de notre condition... humaine

    • Pas la peine de tourner autour du pot

      D’accord :-)

      Si je comprends bien, tu contestes la phrase que tu cites (tirée de l’article) et tu penses donc au contraire que lorsque daesh sera éliminé, l’essentiel du problème sera réglé.
      Je pense que tu te trompes lourdement. L’Histoire nous départagera... (j’aimerais vraiment que tu aies raison, ce serait plus simple, mais je n’arrive pas à y croire)

      L’occasion aussi de clarifier quelque chose de récurrent, avec ces qualificatifs "gauche angélique" ou "islamo-gauchiste" qu’on trouve régulièrement.
      Je réfute l’amalgame "les actions de daesh sont directement liées, directement inspirées du coran, c’est la logique de l’islam qui amène à ça".

      L’islam pose peu ou prou les mêmes problèmes que les autres religions, il faut leur opposer un projet communiste (aujourd’hui en panne) afin que les peuples à terme n’aient plus besoin d’opium.

      Daesh me semble être une sorte de secte mafieuse (politico-mafieuse ? une sorte de fascisme ?) qu’il faut mettre hors d’état de nuire. Et visiblement, sans même parler de morale politique, les réponses militaire et policière ne sont pas efficaces, et ce sont peut-être une analyse et une réponse politique (aller à la racine du problème, son origine, les conditions qui lui permettent de se développer...) qui permettront d’en sortir. Et si j’ai bien compris, c’est ce qu’essaie de faire l’article initial. Ce qui semble en heurter certains... j’ai du mal à comprendre.

      Il faut isoler daesh, les réactions accusant l’islam d’être plus ou moins lié à daesh "à l’insu de son plein gré" risquent à mon avis d’arriver au résultat inverse.

    • Quand j’écris "autour du pot", je le fais dans le contexte de la contribution de Sieffert. Il semble suggérer que la référence à Daech est erronée alors même que les auteurs du crime s’en revendique ; comme pour chercher autre chose alors que le mal a un nom, nom qu’il revendique lui-même. D’où mon qualificatif de angélique pour désigner cette gauche qui ne veut pas voir cette réalité, qui fait du dénie comme pour chercher une explication plus en rapport avec les fantasmes sociaux qu’ils ont dans la tête et qui datent.