Accueil > Dans Belleville, à l’heure de la traque
La communauté chinoise de ce quartier de Paris est de plus en plus ciblée par les contrôles de police.
de Karl Laske
« Je tremble encore, dit Fatia en montrant sa main. Je n’ai pas dormi de la nuit tellement j’ai pensé à elle, à comment elle avait sauté. J’ai les pieds qui tremblent aussi. Je n’ai pas sorti les marchandises, pas de courage, j’en suis malade. » Au 41, boulevard de la Villette à Paris, jeudi après-midi, Chulan Zhang, une sans-papiers chinoise, s’est enfuie par la fenêtre du premier étage à l’arrivée de la police. Elle a marché sur le store du magasin de Fatia. Un pas seulement, qui fait craquer la toile. Puis elle est passée au travers. « Elle n’a rien dit, elle a juste émis une plainte, raconte Fatia. Les policiers sont arrivés. Ils lui ont dit : Comment tu t’appelles ? , mais elle avait perdu conscience. »
Descentes. Chulan est dans le coma. Vendredi, les médecins estimaient que son pronostic vital était engagé. Dès jeudi, les services de police ont indiqué avoir agi à la suite d’une plainte pour vol déposée par un sans-papiers chinois en instance d’expulsion au Centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne). « Ce monsieur a dit que sa valise avait été laissée à Paris, boulevard de la Villette, expliquait, vendredi, le parquet de Meaux. De façon classique, cette valise a été ramenée au centre de rétention, et là, l’intéressé a constaté qu’il lui manquait des affaires. Il a donc déposé plainte pour vol ».
Une fois le plaignant expulsé en Chine, le parquet de Meaux a donné suite à sa plainte… Une enquête a même été ouverte. Dans ce cadre, jeudi, des policiers du Xe arrondissement venaient convoquer le « logeur » du sans-papiers expulsé. En présence de Chulan, 51 ans. Le mot police a fait le reste. « Pourquoi a-t-elle fait ça ? s’interroge Fatia. Moi, je ne me jetterais pas comme ça, même sans papiers. »
A deux pas de là, au métro Belleville, les contrôles d’identité sur réquisition du procureur sont quasi-quotidiens. Fin juin, la police a aussi effectué des descentes dans des commerces, interpellant de nombreux Chinois, dont certains ont été aussitôt placés en rétention et expulsés. « Même les enfants, quand ils voient la police, ils ont peur. Cest pas possible », dit Fatia.
Wagon-lit. Vendredi midi, au premier étage du 41, trois policiers de la 2e DPJ font les constatations de routine dans l’appartement. Ils en ressortent avec le locataire en titre, Wenkui Nie, un Chinois d’une cinquantaine d’années, le « logeur ». Mains dans le dos, l’homme est menotté. Il descend, jetant un coup œil inquiet à Suyen, une amie, sur le palier. Il est en garde à vue depuis la veille. Soupçonné de « vol » et entendu sur les circonstances de l’accident.
« Wenkui loue la maison, explique Suyen dans un français difficile, 530 euros par mois. Il n’a pas de papiers. » Wenkui Nie vit en France depuis 2000. Il est locataire depuis trois ans. L’immeuble est délabré. Il s’écroule. Dans les couloirs, des renforts d’échaffaudage soutiennent les plafonds. L’appartement de Wenkui n’en est pas un. C’est plutôt un wagon-lit, où s’entassent les couchages. Trois lits superposés. Des valises partout, sur les lits et en dessous. Des vêtements rangés dans des sacs en plastique. Les couchages rassemblent les effets personnels de chacun. Derrière des rideaux improvisés. Celui de Chulan est blanc. D’un petit sac en plastique laissé par les policiers, Suyen extrait les sandales de son amie et un pantalon déchiré par les secours. « Quand la police est arrivée, Chulan était assise à la table, près de la cuisine, dit Suyen. Il y avait une amie et Wenkui. La police n’est pas rentrée. Wenkui est sorti. Chulen en a profité pour passer dans la cuisine. Elle s’est cachée. Et elle a sauté. »
« Coupé ». On frappe doucement à la porte. Des amis viennent. La sœur d’une locataire en règle. Elle explique qu’un troisième habitant a été arrêté boulevard de la Villette, il y a quelques jours. Il serait en rétention à Vincennes (Val-de-Marne). « Il vendait des choses trouvées dans les poubelles, dit la jeune femme. Il lavait, rangeait, et vendait sur le boulevard. ». Son lit est encore chargé de ses affaires. Il n’a pas de famille.
Comme Chulan d’ailleurs. « Elle est toute seule ici, dit Suyen. Avec la Chine, c’est coupé. Elle a divorcé. Wenkui n’a pas de famille non plus. » Au 41, personne ne sait où Chulan a été hospitalisée. Ni où Wenkui est en garde à vue. Si aucune poursuite n’est engagée contre lui, il pourrait être placé en rétention ce week-end. Vendredi soir, à l’appel de RESF, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant l’immeuble.