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De Solon à Nicolas Sarkosy, les mécanismes de la délation
Publie le jeudi 7 décembre 2006 par Open-Publishing2 commentaires
Les mécanismes de la Délation
Jusqu’en 1980, la France se trouvait encore sous le choc de la délation pratiquée sous le gouvernement de Vichy. . Pendant cette période les Français avaient envoyé entre 3 et 5 millions de lettres de délation le plus souvent signées !.Après une épuration brutale qui épargna certains des collaborateurs les plus nocifs, et tapa plus forts sur des exécutants misérables l’heure fut à la réconciliation nationale. La France reste un des rares pays à ne pas avoir clairement remis en question cette page noire de son histoire.
La revue « Autrement » (« Autrement »un archaïsme, une technique, un mode de gouvernement « la délation » no 94 novembre1987 Directeur de la publication : H. Dougier. Ed. « Autrement » consacre à la délation un dossier publié en novembre 1987 Des sociologues, journalistes, universitaires, anciennes victimes ayant fait l’objet de dénonciations s’interrogent sur une recrudescence de justifications concernant de telles pratiques. En effet ce phénomène revient en force au point de devenir un fait de société.
La délation s’avance de nouveau à visage découvert, au nom de la chasse au grand banditisme, et au terrorisme, « d’Action Directe ». L’appellation de « crime odieux »justifie à elle seule toutes les dérives. Dénoncer constitue alors, pour le pouvoir en place, une preuve de civisme en épargnant des vies humaines, et en prévenant la mort violente de nouvelles victimes. Qu’en est il aujourd’hui ? les lois Sarkosy ont ouvert une brèche en désignant les populations à dénoncer. Il ne s’agit plus dans la loi de prévention de la délinquance votée le 5 décembre de terroristes estampillés comme tels par le pouvoir, mais de populations non conformes, victimes d’inégalités sociales, ciblées pour leur origines ethniques, où leur lieu de résidence dans des quartiers dits sensibles. Les indicateurs seront dorénavant rémunérés, car la dénonciation est considérée à présent comme un acte civique, et des milices citoyennes sont en préparation !
Les racines historiques
Solon, en 594 avant notre ère, pose les fondements de la société athénienne. Aristote reconnaît à Solon le mérite de 3 mesures qu’il considère comme une avancée.
1)L’interdiction du prêt garanti sur la personne du débiteur,
2) Le droit donné à chaque citoyen d’intervenir en justice sur la personne lésée,
3) Le droit d’appel devant les tribunaux.. (Constitution d’Athènes.)
Cette seconde mesure initialisera le processus de la délation.
Avant Solon l ‘initiative de la réparation des torts étaient laissée à la victime, et à la diligence des magistrats, les archontes. Les insuffisances manifestes de ce système, conduisaient à ne pas pouvoir réprimer toutes les infractions. Par ailleurs les victimes les plus faibles n’avaient pas la capacité de traduire en justice leurs adversaires, et restaient sans défense, tel les orphelins dépouillés par des parents malhonnêtes. Le remède trouvé par Solon fut d’autoriser tout citoyen disposant de ses droits civiques « s’ il le veut » à devenir accusateur, et à intenter une action en justice pour une infraction dirigée vers autrui. Nuire à un individu et à l’Etat n’est plus l’affaire des seules victimes, ou des seuls magistrats et concerne toute la Cité. Le citoyen accusateur devient bénéficiaire de la confiscation des biens du condamné..
Il est donc advenu que les délateurs étaient plus nombreux pour une accusation avantageuse que pour une accusation sans rétribution. Solon à partir d’un principe d’égalité, a donc ouvert la voie aux abus, notons cependant que pour enclencher le mécanisme de la délation, de tout temps, il a fallu trouver un alibi « louable » : ici la défense du faible et de l’orphelin, pour permettre l’acte en lui même.
C’est ainsi que dès la fin du 5ème siècle avant notre ère, les accusations motivées par le civisme, ont disparu sous une avalanche de « dénonciations intéressées et méprisables » . La délation au sens institutionnel du mot est née, elle s’incarne dans une figure type « le sycophante ». A plusieurs reprises la Cité Grecque a tenté de lutter contre la plaie des accusations abusives, avec des périodes alternant entre le châtiment suprême par la peine de mort pour les sycophantes, puis leur retour en force et leur utilisation par les pouvoirs en place.
Au travers de cet exemple naît la délation, elle peut donc traverser les époques, les régimes, en trouvant au fil de l’histoire et des contextes des « justifications civiques » à l’abject, à la lâcheté et à l’inacceptable. La délation est un comportement indissociable du champ social qui le sollicite. Aucun régime politique ne semble y échapper. Elle prolifère en période de crise de démocratie, de guerre de déstabilisation. Une voie s’ouvre au règne de « l’indic. » du mouchard, de l’espion, de la balance, du rapporteur , du corbeau , du délateur.
Le 20ème siècle a cependant vu apparaître différents types de délation qui structurent les Etats totalitaires, policiers et bureaucratiques. Certains au nom de la « vigilance Révolutionnaire » se sont fondés sur elle. Les Etats en utilisant les vieilles ficelles censées transformer la délation en actes de hautes qualités civiques, créent un climat de peur d’auto censure, d’auto critique parfois d’auto accusation, conduisant à interdire de parler voire de penser.
Que l’occupation, le Maccarthysme, l’ère Stalinienne, les dictatures militaires, et l’explosion terroriste génèrent des périodes d’encouragement à la délation ne peut nous étonner .Ces périodes critiques ne doivent pas masquer qu’il s’agit d’un mal endémique « d’une peste brune » qui ne connaît aucune véritable éradication.
Jamais depuis « L ‘affiche Rouge » la France n’avait vu placarder sur ses murs des visages suspects. Pourtant en 1986, sont publiées sur les murs des grandes villes des photos de Rouillan, Ménigon, Aubron, et Cipriani, les quatre militants du groupe « Action Directe ». Des témoins ont cru reconnaître Nathalie Menigon et Joelle Aubron lors de l’assassinat du PDG de Renault . Or à cette époque aucune charge ne repose contre cette dernière, excepté le « délit conjugal » d’avoir épousé Régis Schleicher incarcéré et membre « d’Action Directe ». De plus elle ne fait l’objet d’aucune poursuite en France. Cet exemple constitue une violation directe de la présomption d’innocence.
En mai1986 Robert Pandrau Ministre de la Sécurité, annonce la décision du gouvernement de rémunérer les personnes, qui contribuent à l’arrestation de terroristes. En septembre 1986, deux cent mille exemplaires d’une affiche portant le signalement de Robert de Maurice Abdahlah, membres des Fractions Armées Révolutionnaires Libanaises soupçonnés des attentats sanglants de la région Parisienne sont diffusées à travers la France. Dans la presse mise à contribution, seuls « Libération » et l’Humanité » refuseront de diffuser les photos de suspects. Entre septembre et octobre 1986, 2000 appels parviendront à la police. La polémique fait rage entre ceux qui résolument contre, expriment leur rage avec des slogans « Non au régime de Vichy » « Non à la délation », et ceux qui jettent des regards suspicieux sur leurs voisins. L’affaire prend suffisamment d’ampleur pour entraîner un sondage de la SOFRES, publié dans le Figaro.
Le 23 mai 1986, pour recueillir la position des différents électorats sur le thème « la fin justifie t’elle les moyens »Une majorité écrasante se dégage dans tous les électorats, y compris dans celui du Front National pour estimer qu’une démocratie ne peut pas se permettre d’utiliser n’importe quel moyen, même s ‘il s’agit de lutter contre un ennemi qui ne reconnaisse aucun principe et ne respecte aucune loi, et est prêt à tout pour la déstabiliser ».
Le 21 février 1987, les quatre derniers membres d’action directe sont arrêtés par le Raid « Recherche Assistance Dissuasion » dans une ferme isolée située à Vitry aux Loges, après dénonciation du voisinage. Cinq jours plus tard Charles Pasqua alors Ministre de l’intérieur déclare :« S’il n’y avait eu l’affichage des portraits, des terroristes et des offres de primes les quatre terroristes d’Action Directe courraient toujours. ».Il indique que des informateurs toucheraient une prime d’un maximum d’un million de francs.
Cette pratique existe en Allemagne, depuis 1976, en Italie, et même en Suède pour l’identification du meurtrier d’Oloff Palme.
Pasqua, Pandrau, Sarkosy, une même approche sécuritaire, un même outil la délation
Aujourd’hui en s’appuyant sur des lois sécuritaires, Nicolas Sarkosy tente de constituer de véritables réseaux de délateurs (parfois rémunérés) ou les informations, les fichiers, circulent indistinctement entre Travailleurs Sociaux, Policiers, Enseignants, Personnels de la Santé, Conseillers Généraux, instances judiciaires. En denier lieu, les maires pourront collecter l’ensemble de ces données auprès d’un coordinateur ou super-délateur, à des fins de sanctions financières ( suppression des prestations familiales, mise sous tutelle) ou pénales (saisine du Procureur en cas de refus des familles d’effectuer des stages à la responsabilité parentale payants).
L’Etat Providence puis l’Etat Social se sont désagrégés au fur et à mesure que les gouvernements de Droite comme de Gauche ont laissé pourrir une situation économique qui n’aurait pu se redresser qu’en s’attaquant radicalement à un libéralisme devenu de plus en plus « sauvage » ainsi qu’à la course aux profits. La seule solution pour tenter de contenir la crise, au fur et à mesure que les inégalités s’accroissent et provoquent des réactions violentes de la part des syndicalistes, des Précaires, et des militants engagés à l’extrême gauche réside dans le renforcement de l’Etat Pénal. Les actionnaires continuent ainsi à engranger tranquillement leurs plus-values au détriment de la majorité de la population, les chefs d’entreprise à délocaliser en toute quiétude, tandis que le Secteur Public est ouvert à la concurrence et démantelé. Cet Etat pré-totalitaire produit des lois liberticides, emprisonne comme dans les années trente, des mineurs âgés de 13 ans, dresse des catégories sociales les unes contre les autres, pratique la chasse aux chômeurs, aux étrangers, aux jeunes des cités, aux enfants d’immigrés.
La délation est devenue une sorte de projet de société, à présent labellisé par l’Etat. La loi dite de Prévention de la délinquance constitue une grave menace pour la Démocratie dans la mesure où elle engendre une confusion dans la séparation des pouvoirs. Elle ne concerne pas que les seuls professionnels soumis à la confidentialité, mais tout citoyen, dont la liberté individuelle se trouve compromise par le croisement des fichiers, les caméras de vidéosurveillance disposées à tous les coins de rue, l’obligation de se soumettre à des tests ADN, le flicage par cartes à puces interposées.
Au-delà de la loi de Prévention de la Délinquance, le système économique et politique dans sa globalité est en cause, dans ce contexte de déréglementation du droit du travail, de délocalisations sauvages. de discriminations, de déséquilibre Nord-Sud, Ce système doit être revisité de fond en comble, et nous savons que ni la Droite ni la Gauche ne s’y emploieront. C’est aux fondements du capitalisme qu’il faut s’attaquer. Ca ne passera pas par les urnes mais par la lutte sur tous les fronts.
Là question fondamentale reste pourtant celle de la banalisation de la délation dans la société des années 2000, alors qu’en 1986 ces méthodes étaient majoritairement conspuées par l’ensemble de la population.
« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai rien dit, je n’étais pas catholique. Puis ils sont venus me chercher. Et il ne restait personne pour dire quelque chose."
Pasteur Martin Niemöller Dachau, 1942“
Résister, lutter et désobéir individuellement et collectivement est une nécessité !
Messages
1. > De Solon à Nicolas Sarkosy, les mécanismes de la délation, 8 décembre 2006, 00:02
Excellent texte.
C’est un étau. On crée les conditions de la précarité et on stigmatise ceux qu’on a précarisé. On incite ceux qui y ont échappé à faire les sycophantes. Or c’est un constat diabolique mais la vertu et l"honnetêté ne sont pour rien dans les réussites et elles entravent la survie. Elevez un enfant selon ces principes, il aura toutes les chances d’être malheureux. Le sycophante ne sera pas cet enfant. Il ne s’agit pas d’une société à deux vitesses, mais il s’agira d’une dictature à deux vitesses. Ceux qui le plus tôt auront abandonné les principes de bienveillance, de droiture, en somme les moins vertueux des hommes survivront et non content de survivre ils enverront par le fond des gens de plus de scrupules. Je ratiocine peut-être me dira-t-on. Mais on ne peut imaginer monde plus abject. Bienvenu en enfer.
régis
2. > De Solon à Nicolas Sarkosy, les mécanismes de la délation, 8 décembre 2006, 01:24
On peut se demander d’où vient ce zèle de délation, alors qu’à l’ordinaire c’est l’indifférence la plus totale qui caractérise les rapports sociaux.
Les braves gens, après avoir enjambés quelques clochards dans les couloir du métro, pensent-ils sincèrement avoir agit pour le bien de la société en dénonçant la "racaille" à la police ?
Dans les années 70, l’américain Milgram avait mis au point une expérience pour essayer de quantifier le rapport de soumission d’un individu à une autorité légale.
L’idée théorique de départ était que puisque chaque individu possède un libre arbitre lui permettant de refuser d’obéir à un ordre inepte, la grande majorité d’un échantillion de la population soumis à une expérience consistant à ordonner de faire du mal à quelqu’un refusera catégoriquement de se soumettre à ce type d’injonction.
Pour vérifier cette hypothèse, l’idée de l’expérience était la suivante :
Un volontaire joue le rôle de la victime.
Il est placé sur une chaise électrique, seul dans une salle, et une vitre sans teint permet aux individus soumis à l’experience de l’observer sans être vu dans la pièce attenante.
Un second comédien joue le rôle d’un scientifique qui explique aux volontaires que le but de l’expérience est de tester le seuil de résistance à la douleur infligée par des décharges electriques.
Il demande donc au volontaire d’envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes, tout en précisant que l’expérience peut être interrompue à tout moment, si le volontaire décide que le seuil de douleur est devenu insupportable.
Le volontaire n’a qu’à tourner le bouton du cadran sur la valeur que lui indique le faux scientifique.
Bien entendu, les bourreaux ne savent pas qu’aucun courant n’est envoyé sur la fausse victime.
Et les résultats sont inattendus.
65% des individus testés ont accepté d’envoyer jusqu’à 250 Volt, et ne se sont arrêtés que lorsque le comédien sur la chaise commençait à pousser des hurlements déchirants.
Certains, à partir de 50 volts, se tournaient vers l’homme en blouse pour obtenir son assentiment avant d’appuyer sur le bouton envoyant la décharge.
3% des individus ont continué jusqu’au voltage maximum, 400 volt, alors que l’homme sur la chaise simulait un évanouissement total.
Tous ces volontaires étaient des étudiants, pas des brutes ni des nazis.
L’enseignement de cette expérience est qu’à partir du moment où une autorité protège les agissements d’une personne qui agit directement sous ses ordres, plus des 2/3 de la population n’hésite pas à franchir la barrière qui sépare un être humain d’un tortionnaire.
Donc il est très légitime de s’inquiéter de la tournure que prend actuellement le discours sécuritaire de Sarkosy.
Il parait assez evident qu’au nom de la loi, d’un intérêt supérieur (plus de la science mais de l’ordre républicain), la majorité des français n’hésiteront pas une seconde à dénoncer un parfait inconnu à partir du moment où on lui garanti que c’est pour le bien public.
jyd.