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De l’Immigration à l’Identité nationale

Publie le vendredi 25 janvier 2008 par Open-Publishing

La mondialisation du système capitaliste a profondément transformé les Etats et le système interétatique. Dans cette mondialisation, l’impérialisme et le colonialisme économiques, voire militaire, conjugués aux règles drastiques imposées aux pays du Sud par le FMI, l’OMC et la Banque Mondiale ont amené une dérégulation économique telle qu’elle entraîne dans son sillage la destruction des tissus sociaux de solidarité traditionnelle. Le plan d’ajustement structurel et l’économie de marché sans « concurrence faussée », combiné aux guerres civiles ou étatiques, ont jeté des dizaines de milliers travailleurs au chômage et de paysans pauvres à l’exode. Dans ce nouveau « désordre mondial », l’immigration vers les pays riches du sud comme du nord est devenue la seule solution de survie pour des millions d’individus.
C’est dans ce contexte international que la commission Européenne a initié une politique d’harmonisation de la gestion de l’immigration à l’échelle de l’Union Européenne, connue sous le nom du « Livre Vert. »
Tout en reconnaissant l’impact du déclin démographique et du vieillissement sur l’économie européenne, la Commission Européenne souligne la nécessité de revoir les politiques de l’immigration pour l’avenir, à la lumière des implications que la stratégie de migrations aurait sur la compétitivité et la réalisation des objectifs de la Stratégie de Lisbonne ( 2001). Les conséquences dues aux nouveaux régimes de retraite et de sécurité sociale sont prises en compte dans cette nouvelle politique de l’immigration.
Il s’agit pour l’U.E de contrôler et de gérer les « stocks de main d’œuvre et le flux migratoires », comme le stipule le Livre Vert.
La loi sur le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du droit d’asile (CESEDA), devenu « Immigration choisie et Intégration. » répond à cette harmonisation européenne.
Le capitalisme a bien compris qu’il fallait « tordre le cou » au concept démagogique et irréaliste de « l’immigration zéro » pour mettre en place « l’immigration utilitariste. » Mais cette « immigration utile », loin de résoudre la question des travailleurs étrangers sans papiers, accroît leur nombre en précarisant leurs conditions sociales et juridiques de séjour. Cette loi créera une double inégalité : Entre étrangers d’une part, et entre étrangers et nationaux d’autre part.
En effet, deux catégories d’étrangers sont définies par ce projet de loi :
 Avec ses « talents et compétences », l’étranger a droit à un titre de séjour de trois ans et le droit au regroupement de famille au bout de six mois.

-Avec ses bras, s’il répond aux besoins du patronat : une avalanche de statuts différents l’attend, selon les secteurs qui l’emploieront. Dans tous les cas, contrat de séjour et contrat de travail sont interdépendants (une première depuis 1937). Le contrat de travail peut être interrompu sans justification par l’employeur, ce qui entraînera immédiatement l’invalidité du titre de séjour.

La commission européenne comme les différents ministres des finances a clairement identifié les secteurs où les entreprises ont besoin de main d’œuvre : BTP, hôtellerie, restauration, agriculture…
Dans tous les cas de figure, ces femmes et ces hommes constituent « une main-d’œuvre corvéable », acteurs dociles et flexibles dans le marché du travail et de surcroît, expulsables à tout moment.
La disparition de la notion de plein droit et la combinaison de critères particulièrement restrictifs aura pour effet de renvoyer à la clandestinité la plupart des personnes, aujourd’hui, régularisées pour raison médicale. Même pour les étrangers en situation régulière, le droit de vivre en famille sera un exploit : le gouvernement a relevé les conditions du regroupement familial (ressources, logement, avis du maire sur l’intégration). Ainsi, l’existence des droits actuels des étrangers en situation régulière (outil juridique et social d’intégration), est considérée comme une « immigration subie ». Leur suppression met en place une « immigration choisie ».
Pourtant, la commission présidée par J. Attali préconise, contre toute attente, « la relance de l’immigration pour « faire face à un marché du travail en tension ». Elle serait justifié par le fait que « l’immigration, facteur de développement de la population, est en tant que telle, une source de création de richesse, donc de croissance. » Une idée qui se démarque clairement des déclarations des différents gouvernements français. Sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, ces déclarations et mesures ont pris un tournant clairement répressif et régressif comme, par exemple, le test ADN.
Ainsi, un double discours s’instaure. L’un économique, tenant compte de l’intérêt et du bien fait de l’immigration pour l’économie européenne. L’autre idéologique, s’appuyant sur l’identité chrétienne de la France et de l’Europe, associe immigration et identité nationale pour mieux les opposer. L’expérience historique démontrant que loin de retourner dans son pays d’origine, l’immigré s’intègre dans le pays où il travaille, l’idéologique semble sous entendre que la maîtrise du flux du « stock immigré » a pour finalité la sauvegarde de l’identité nationale.
C’est dans ce sens qu’il faut appréhender la loi CESEDA. Plus utilitaire que raciste aujourd’hui, elle porte, à long terme, les germes de la xénophobie.
La question démographique est l’un des deux versants de cette identité nationale. L’autre est balisé par les différents discours du Président N. Sarkozy sur le rôle de la religion. A Latran comme en Arabie Saoudite, l’idéologie véhiculée par le Chef de l’Etat français définit les contours de l’identité culturelle et nationale de la société française telle qu’elle devrait être dans l’avenir. Pour « décomplexer » le laïc et injecter une dose de religion dans le politique, le Président se sert, essentiellement, de l’Islam. Pour cela, N. Sarkozy n’hésite pas à se servir du modèle saoudien en affirmant que :

« Le sentiment religieux n’est pas plus condamnable à cause du fanatisme que le sentiment national ne l’est à cause du nationalisme. Tout ce qui se passe ici, toute la politique de l’Arabie Saoudite, tout ce qu’exprime, tout ce que fait Sa Majesté le Roi Abdallah montre une volonté non de rejeter la modernité mais de l’apprivoiser pour la transformer, et la mettre au service d’une certaine idée de l’Homme, d’un projet de civilisation.
C’est la voie que la France, par ailleurs si différente du point de vue de sa tradition, de sa culture, de son histoire, a elle aussi choisie. »

Il faut noter que l’affirmation ci-dessus, met en relief un glissement idéologique de l’universalité, longtemps brandie par l’Occident, vers le relativisme des valeurs. Ce choix de société s’appuie sur ce que N.Sarkosy appelle une politique de civilisation où la religion aura un double rôle : l’un, agissant sur l’identité collectif et l’autre, ciblant le « mental » de l’individu.
En effet, en affirmant, à Latran, que « …Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé (…) parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance… »

Pour compléter les propos présidentiels, il faut citer également « le rabbin et l’imam comme porteur charismatique d’un engagement d’espérance. »
Toujours est-il, à ces propos, une question s’impose :
L’intrusion du pasteur et du curé signifie t-elle l’abandon par la République de sa mission originelle d’ « église »citoyenne de l’espérance collective et individuelle, au-delà de l’origine et de la religion ?

Enfin, tout indique que « Immigration et Identité nationale » a pour objet l’élaboration d’une cohérence entre les discours économique et idéologique s’appuyant sur l’axiome :
« Travailler ici, construire sa vie familiale au-delà des frontières européennes ».
Ce qui signifie « Utile économiquement mais Indésirable sociologiquement et culturellement. »

En tout état de cause, une telle politique est annonciatrice d’un retour aux valeurs archaïques de l’inégalité des êtres humains selon leur origine ou la couleur de leur peau.

Cette vision idéologique de la société française s’intègre dans une stratégie globale, culturelle et militaire, des puissances occidentales. Elle semble éloignée du concept de « dialogue des civilisations ».
L.sanchez
Professeur d’Histoire