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"De l’autre côté du foulard", une installation censurée ?

Publie le vendredi 23 avril 2004 par Open-Publishing
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"De l’autre côté du foulard", une installation censurée pour la chapelle
d’Havré ?

Les tribulations d’un isoloir

Cette installation s’inscrit dans le cadre de l’exposition "Amicalement
vôtre", labelisée Lille 2004 Capitale Européenne de la culture et
organisée par la Faculté d’Arts Plastiques de Lille III. Elle est
complémentaire du "Musée de L’Europe"installé au musée de Tourcoing et
du "Mariage d’Art et Entreprise" organisé dans la chapelle avec Angel
Vergara le 6 mars 2004.

On pouvait s’attendre à ce que cette installation dans un espace public,
la chapelle d’Havré faisant aujourd’hui partie de la Maison folie de
Tourcoing, ne laisse pas indifférent. Elle est composée d’un drapeau
européen,
d’un isoloir dont le rideau a été remplacé par deux hidjabs, à
l’intérieur duquel on trouve une reproduction 50x80 de la couverture
d’une brochure de la commission européenne présentant le programme
EUROMED "développement du secteur privé" avec en vis à vis le texte
suivant, extrait de la brochure :

« L’Union européenne soutient le développement de sociétés pluralistes
et tolérantes qui offrent à l’être humain la sécurité et la satisfaction
de ses besoins. Le développement du secteur privé est un moyen important
de réaliser le développement social et de libérer le potentiel humain »

Oeuvre in situ, elle s’inscrit dans le contexte des élections régionales
et européennes, après la récente polémique sur le voile, bien faite pour
cacher la réalité sociale, et le débat sur les racines chrétiennes de
l’Union Européenne qui a ressurgi avec le projet de constitution
européenne. Le drapeau européen est lui même un symbole de la vierge,
présent sur une des statues du retable de la chapelle (voir photo sur le
site). Par
ailleurs, il est chargé de valeurs humanistes qui cachent, à la manière
d’un voile, les politiques néolibérales de l’Union Européenne,
matérialisées par le traitement intérieur de l’isoloir. Le spectateur
peut glisser la tête entre les deux hidjabs, et s’en recouvrir
symboliquement, pour pénétrer au coeur des politiques publiques et du
crédo néolibéral. La mention sur l’isoloir "Fabriqué en Tunisie",
partenaire de la zone euroméditerranéenne de libre échange, renvoie à
l’imposture d’une démocratie de façade qui se confond avec l’extension
du libéralisme économique. Par ailleurs, cette mention évoque aussi la
mise en place d’une zone textile euroméditerranéenne, censée
concurrencer la Chine (invitée d’honneur de Lille 2004). Le
traitement extérieur de l’isoloir n’est pas terminé : il doit idéalement
mettre en scène, comme sur les panneaux des églises, les bonnes oeuvres
de l’Union Européenne (humanitaire, développement, politique d’asile) à
partir de textes photos extraits des brochures officielles. Pour les
raisons expliquées plus bas, ce traitement n’est qu’à l’état d’ébauche.

A ce jour, cette installation n’est toujours pas visitable par le
public, après avoir été déjà remontée trois fois. Peut-on parler de
censure ? Il est évident qu’une telle installation ne peut qu’être
dérangeante. Mais après plus d’un mois de guerre larvée avec la
direction des affaires culturelles de Tourcoing, il semble que la
réalité se situe à un niveau encore moins élevé. Conçue comme une
gigantesque opération de marketing régional (avec pour principaux
sponsors privés des entreprises comme Carrefour, Accor et SFR élevés au
rang d’opérateurs culturels à part entière), Lille 2004 est un
"événement" dans lequel la culture est loin de trouver son
compte. On en
a en tous cas ici un exemple à Tourcoing, où il apparaît évident que
l’installation
d’oeuvres d’art dans la maison folie n’était qu’un prétexte à
médiatisation et inauguration : les artistes ont été sciemment
instrumentalisés à cette fin, et la direction des affaires culturelles
s’est lavée les mains de cette exposition qui avait rempli pour elle son
rôle dès le lendemain de l’inauguration. Comme l’écrit sans ambiguité
l’adjointe au maire chargée de la culture aux artistes dont le travail a
été saboté : "Je vous remercie d’avoir participé avec l’exposition de
vos oeuvres à l’ouverture de l’Hospice d’Havré début mars, contribuant
ainsi au succès de la manifestation (...) J’espère que ces désagréments
ne seront bientôt plus qu’un souvenir lié à l’aventure de Lille 2004,
Capitale Européenne de la Culture, dont vous aurez fait partie". Cette
exposition existe-t-elle ? A-t-elle existé autrement que sur papier
glacé ? La seule question qui vaille est : existera-t-elle ? On ne peut
laisser s’instaurer ce genre de pratiques, d’un cynisme tranquille. En
ce qui me concerne j’ai bon espoir que la bataille de l’installation
finira par être gagnée.

J’invite les visiteurs à exiger de pouvoir accéder à la chapelle et à
protester auprès de la mairie de Tourcoing contre ce façadisme culturel
digne de Potemkine en écrivant à la directrice des affaires culturelles,
Mme Hélène Corselle : hcorselle@ville-tourcoing.fr

Amicalement vôtre

Bendy Glu, peintre du champ à BruXXel

pour toute information : bendyglu@altern.org

Quelques images sur le site qui sera développé (tous les liens ne sont
pas encore actifs)

http://users.skynet.be/fa106127/

Messages

  • Suite à l’arrangement finalement conclu avec les responsables de la maison folie de Tourcoing le jeudi 6 mai, cette installation sera visitable à partir du samedi 17 mai, le temps de remplacer les éléments provisoires intérieurs et extérieurs, et (sous réserves) jusqu’au 8 juin 2004.

  • Le “Musée de l’Europe”

    présente

    “De l’autre côté du foulard”

    installation temporaire pour la chapelle d’Havré, maison folie de Tourcoing

    du 14 mai au 7 juin inclus

    En complément de ses collections présentées au musée de Tourcoing jusqu’au 24 mai 2004, le “Musée de l’Europe”propose une installation temporaire à la chapelle d’Havré.

    Celle-ci est composée d’un drapeau européen suspendu dans la nef, d’un isoloir dont les rideaux ont été remplacés par deux hidjabs et de reproductions de documents officiels de la commission européenne.

    Une sécularisation au dessus de tout soupçon ?

    “le Chancelier allemand ADENAUER et Robert SCHUMAN, tous deux fervents chrétiens, ont placé dès l’origine leurs efforts de reconstruction européenne dans la tradition chrétienne du continent et sous une sainte protection. Le choix d’un drapeau " marial " à 12 étoiles sur fond bleu ne fera que confirmer cet acte fondateur” peut-on lire dans des documents de la commission épiscopale. C’est pour cette raison que la drapeau européen a été suspendu dans la nef, en interaction avec le manteau bleu ciel de la Vierge de la chapelle d’Havré. Cet héritage revendiqué par certains peut prendre dans l’imagerie développée par l’Union Européenne des formes naïves et compassionnelles, comme l’illustrent les deux photos – comme deux images pieuses- encadrées à l’extérieur de l’isoloir, face à l’autel, et extraites de la série officielle “Symboles de l’Europe” disponible sur le site de la médiathèque de l’Union européenne.

    Le débat sur la charte des droits fondamentaux, la constitution européenne et l’adhésion de la Turquie ont fait de nouveau affleurer cet inconscient anthropologique. L’Islam n’en risque que plus d’être instrumentalisé comme un miroir négatif “anti-humaniste” et “anti-démocratique”, repoussoir d’un héritage chrétien qui serait le socle d’une “identité européenne”.

    “Le travail, c’est la liberté”

    Le spectateur entrant dans l’isoloir est confronté à la reproduction de la couverture d’une brochure de l’Union européenne consacrée au volet économique du programme Euromed : constitution d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne et développement du secteur privé. En vis à vis, un texte extrait de la brochure (souligné en bleu dans celle-ci) assimile, sans lien logique, pluralisme et démocratie d’une part, développement du secteur privé et libération du “potentiel humain” d’autre part. Par ce glissement sémantique qui joue sur les deux sens de “libéralisme” (politique et économique), l’enjeu économique de la zone de libre-échange est paré des vertus démocratiques. Les traités de libre-échange signés avec les pays partenaires par l’Union européenne comportent une clause “droits de l’homme”, théoriquement suspensive, mais qui n’a pas d’application pratique, comme le démontre suffisamment le cas de la Tunisie, qui fait partie des signataires (et dont le “miracle économique” tant célébré ne s’embarrasse pas de démocratie). Avec ce texte, on est en fait au coeur du credo libéral selon lequel la libéralisation de l’économie conduit, outre à la prospérité, aux libertés politiques. Le graphisme de la brochure, qui représente une ouvrière marocaine et emprunte à Andy Warhol (qui choisissait plutôt des chaises électriques et des accidents de la route) est une forme d’esthétisation du travail en usine, bien faite pour euphémiser les réalités sociales. On pourrait sous-titrer le message implicite, qui est ainsi véhiculé, d’un orwellien : “le travail, c’est la liberté”. On peut pourtant difficilement croire que la constitution d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne qui, par exemple dans le domaine du textile, entend accentuer la “vocation”, c’est à dire la spécialisation au nom des “avantages comparatifs” de “pays ateliers à bas salaires” pour concurrencer la Chine et la zone Etats-Unis-Amérique centrale soit guidée avant tout par des considérations humanistes, une volonté politique progressiste et l’ambition démocratique de renforcer les organisations de défense des travailleurs face aux donneurs d’ordre dans ces pays...

    Il existe ainsi une contradiction profonde entre les politiques de l’Union Européenne et ce qui fait sa légitimité et provoque donc l’adhésion du citoyen et de l’électeur : son caractère démocratique et sa vocation humaniste. Rappelons qu’aux marches de la forteresse Europe, dans le détroit de Gibraltar, on compte des milliers de morts par noyade, dans une indifférence générale, tandis que des centaines de milliers de “sans-papiers” sont maintenus sans droits dans une clandestinité propice à toutes les exploitations. Et ce n’est pas un hasard si certains de ces derniers, qui ont cru pouvoir trouver dans l’UE une terre d’accueil, se réfugient parfois dans les églises…
    .
    La croyance démocratique

    Le drapeau européen symbolise la croyance démocratique dans le projet européen. Les institutions européennes violent pourtant les principes de base de l’équilibre des pouvoirs en régime parlementaire (le pouvoir législatif appartient de fait au Conseil des Ministres, c’est à dire au collège des différents exécutifs nationaux, et non au Parlement élu comme l’électeur est induit à le croire). Démocratie en trompe l’oeil pour marché véritablement de droit divin. Simultanément, l’Islam, à travers une construction médiatique favorisée par le contexte international, est de plus en plus présentée comme l’envers de la “démocratie” et d’une Europe dont les racines seraient avant tout chrétiennes. On sait que lors des élections régionales de 2004, certains assesseurs zélés ont prétendu faire retirer le foulard à des électrices musulmanes avant de pénétrer dans l’isoloir, dont la fonction est pourtant précisément de voiler au regard des autres citoyens l’exercice de la liberté politique. De plus en plus, les questions politiques sont ainsi posées en termes d’identité, de symboles d’appartenance, d’adhésion formelle à des valeurs, et non plus d’enjeux sociaux ni même d’équilibre des pouvoirs : ce n’est pas le moindre des paradoxes d’une Europe qui s’est voulue fondée sur le rejet du nationalisme et le pluralisme et qui pourrait être tentée par la construction d’un ennemi “anti-démocratique” bien commode pour sceller son unité, base de tous les nationalismes, qui serait incarné par des “barbares” de l’intérieur comme de l’extérieur. Masquant ainsi la révolution contre-démocratique qui s’opère sous son égide, le “droit des gens” cédant la place au “droit commercial”, vidant les “valeurs” de tout contenu, les transformant en slogans, mots d’ordre, voiles des réalités sociales et paradoxalement gages de la croyance démocratique ritualisée dans l’isoloir.

    Si on peut être démocrate chrétien, on peut être démocrate musulman. Cela nécessite sans doute de réintégrer véritablement la culture musulmane dans le patrimoine commun de l’Europe mais plus encore de ne pas voiler par un humanisme et un progressisme pour brochures, justement perçus comme cyniques et paternalistes, les conséquences sociales et humaines des politiques économiques menées à l’échelle euro-méditerranéenne.

    Bruxelles, le 18 mai 2004
    Bendy Glu, peintre du champ