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Décès de notre ami et compagnon de lutte

Publie le lundi 8 novembre 2004 par Open-Publishing

Bonjour,

Nous venons d’apprendre la triste nouvelle : Alban ’est donné la mort lundi dernier. C’était un compagnon de lutte et un ami. Alban, tu vas nous manquer....


Mot du directeur de la maternelle où Alban a travaillé 5 ans, remis à
chaque élève :

En mars 1999, Alban entrait dans l’école en tant qu’aide-éducateur. Il a vite
su imaginer et créer son rôle auprès des enfants et des enseignants. Sa
capacité d’adaptation le faisait entrer avec enthousiasme dans le projet
d’école, sa créativité lui permettait de proposer aux enfants des situations
d’apprentissage, sa sensibilité le conduisait à adapter sa pédagogie à
chaque enfant.
Il a su créer des liens chaleureux avec les familles et être pour nous, au
sein de nos classes, un interlocuteur essentiel.
Au printemps 2003, Alban s’est battu pour que la fin des contrats des
aides-éducateurs débouche sur des propositions de formation et d’emploi.
Il a tout de même dû partir en mars 2004, et après 5 années passées au
service de l’Education Nationale, sans diplôme et dans l’indifférence de
l’institution.

Nous venons d’apprendre qu’Alban s’est donné la mort et nous pleurons l’ami,
le collègue et le jeune homme sensible qu’il était.
L’ensemble des personnels de l’école.

Texte paru dans Libé, ce jour :


L’autre jour, l’Ange s’est pendu

lundi 08 novembre 2004 (Liberation - 06:00)

Nous sommes deux institutrices de maternelle en deuil. C’est le deuil d’un
collègue et ami que nous subissons, mais aussi celui d’une « certaine idée
de la France ».

Il va falloir apprendre à vivre avec la douloureuse certitude d’appartenir
à un système incapable d’intégrer ses jeunes, qui les rejette, allant
jusqu’à nier leur existence.

Il y a cinq ans, Alban, jeune aide-éducateur, débarquait dans notre école.
Au fil des semaines, il a su imaginer et remplir ce tout nouveau rôle
auprès des enseignants, des élèves et de leurs familles. Il est devenu
l’interlocuteur qui nous manquait, à nous, enseignants, qui n’étions plus
seuls face à la classe. Il a su se rendre disponible pour s’occuper avec
finesse et bienveillance des petits groupes d’enfants qui avaient besoin
de cette intimité pour progresser. Il a su nous raconter ce qu’il voyait
dans les autres classes et concourir ainsi à des échanges fructueux.

Pendant ces cinq années, Alban s’est formé au métier d’enseignant. Il en a
connu les joies, les écueils et les difficultés. Et c’est en connaissance
de cause qu’il désirait devenir professeur. L’institution l’a-t-elle reçu
pour un entretien au cours de ces années ? Non. A-t-il jamais été évalué ?
Non. A-t-on demandé à l’équipe de témoigner de ses capacités ? Non. Pour
l’institution, Alban n’existait pas.

Tant pis, Alban gardait espoir : il avait le projet de passer le concours
interne puisque sa position d’aide-éducateur le lui permettait. Mais on
lui a refusé de concourir : il lui manquait deux mois de travail à
l’Education nationale ! Pourtant, Alban avait encore foi dans la justice.
Il s’est battu pour que les contrats d’aide-éducateur débouchent sur des
emplois. Au printemps 2003, il a été l’un des fondateurs du Collectif des
aides-éducateurs.

Alban était de sa génération : il n’avait pas de culture politique. Il
s’est lancé dans l’aventure à corps perdu, sans se protéger des coups. Ses
convictions lui donnaient des ailes, il volait. Quand tout a été fini et
qu’il a fallu partir sans rien obtenir, Alban ne s’est pas résigné, ses
ailes étaient toujours déployées. Il a continué d’écrire partout, de
dénoncer, de rappeler qu’il existait. Il n’a jamais eu de réponse.

L’autre jour, l’Ange s’est pendu. Dans l’espoir d’être enfin entendu. Et
nous, nous restons là. La colère nous submerge.

Marie de Villartay et Laurence Kleinberger, Paris