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Désamorcer le piège des présidentielles, créer une dynamique collective d’un nouveau genre

Publie le jeudi 20 mai 2010 par Open-Publishing

Contribution au XXXVème congrès du PCF

La présidentielle est dans toute les têtes. Des camarades s’en inquiètent, redoutant qu’elle prenne tout l’espace, qu’elle occupe les consciences au lieu des nécessaires débats de contenus, de projet. Ils ont raison. Mais regretter ne signifie pas pour autant ignorer ou négliger.

Les conditions mêmes dans lesquelles s’engage ce débat à gauche sont mauvaises : certains font de grands gestes pour attirer l’attention et s’imposer, faute de concurrent, comme leader naturel dans cet exercice de style qu’est la présidentielle. D’autres s’alarment, et pour entraver les premiers, allument des contrefeux en proposant des candidatures auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes.

Toutes les conditions sont réunies pour que l’espoir que constitue le Front de gauche, son projet, sa dynamique, se brise sur cette échéance piège. Et nous aurions tort de regarder ailleurs en cet instant où les premiers symptômes du mal présidentiel se font sentir.

Au contraire, le congrès nous donne l’occasion de produire les gestes qui éviteront au rassemblement que nous avons su construire de se briser à la première houle, de sombrer dans les petits calculs, les petits matchs.

Il y a donc urgence à ce que nous posions des bases claires et partagées, d’objectifs et de méthode pour les présidentielles. Surtout si nous les posons à partir d’exigences de fond et non de calculs politiciens ; des exigences qui peuvent nous aider à neutraliser le poison de ce scrutin. Quelles peuvent-être ces exigences que nous pouvons exprimer dès ce congrès ? L’une d’elle m’apparaît centrale.

Tous nous déplorons la présidentialisation, la personnalisation à outrance de la vie politique. Tous nous refusons la culture du leader charismatique, du chef, du sauveur. La présidentielle, parce qu’elle incarne ces conceptions archaïques, est paradoxalement la principale occasion de les dénoncer, de les dépasser. Pouvons-nous sérieusement aborder cette échéance sans mettre au premier plan de cette campagne notre conception même d’un État républicain, à commencer par la fonction présidentielle, et donc celle de candidat ?

Au fond, si nous voulons faire descendre de son piédestal la statue du commandeur présidentiel, ne devons-nous pas commencer par celle du candidat ?

On rétorquera qu’une telle "descente" pourrait s’avérer dangereuse, qu’il pourrait être plus opérant de se plier aux figures imposées par le genre. Que donc l’efficacité médiatique nous impose de choisir celle ou celui réputé meilleur orateur. Ou encore qu’il faut y affirmer la place légitime de l’organisation qui reste de loin la plus nombreuse. Que, pourquoi pas, dans cette régate d’égo que constitue une campagne présidentielle, notre atout majeur serait de disposer nous-même d’un skipper de renom, c’est à dire d’un bon client qui puisse ferrailler et contester la place qui nous est déjà dévolue : pas plus celle de favori que d’outsider. Qu’il serait fou de présenter un inconnu, manquant du bagout et de l’audience publique dans cette course qui bien souvent départage moins les projets que les habiletés.

Ils ont raison. Et nous ne devons écarter aucun des talents que nous pourrons rassembler. Nous aurons besoin de tous dans cette bataille. Et la lumière que certains sauront capter ne plongera pas les autres dans l’obscurité.

Mais comment ne pas voir aussi que ce n’est pas d’un tour de force individuel que dépend l’issue de ce scrutin ? Que notre peuple, aussi las que nous-même de ces petites compétitions, pourrait bien regarder notre champion comme un aspirant-roitelet de plus, et le châtier comme les autres. Le volontarisme solitaire et guerrier de Sarkozy est usé jusqu’à la corde. Il ne fera pas plus recette s’il est mis au service d’un projet émancipateur.

Faisons le pari au contraire, que notre peuple est assez frondeur et lucide pour plébisciter une démarche bien différente, consacrant le collectif plutôt que le sauveur. Au fond, la nature même de notre projet en dépend : il ne saurait être le même selon qu’il est l’expression d’une rencontre entre un homme et un peuple (posture qui fait consensus du PS à la droite, en passant par les Verts...) ou qu’il est le fruit d’une mise en commun, d’un mouvement populaire, d’une élaboration et d’un projet à l’incarnation collective.

Notons que les communistes des années trente ont su, contre tout sens immédiatement électoral, mais avec une certaine idée de celui de l’histoire, présenter des femmes à la députation, à la direction de villes... alors même que la Loi interdisait de telles candidatures.

L’irruption d’une candidature à plusieurs voix et véritablement collective dans cette Présidentielle Academy serait un événement d’une grande portée, un séisme politique : la candidature par excellence d’un Nous souverain et non du Je autocrate, martelant jusqu’au bout de la campagne cette autre manière de faire de la politique que nous construisons, et exprimant la singularité de notre projet. Une candidature rassemblant des dirigeants d’organisations politiques, des syndicalistes, des intellectuel-les, des citoyen-nes engagées, et répondant inlassablement Nous à l’obsessionnelle question du qui.

On objectera qu’il faudra bien un nom sur le bulletin de vote. Certes, et si nous le décidons ainsi. Mais si nous réussissons à faire vivre cette polyphonie jusqu’au terme de la campagne, si nous sommes entendus dans cette démarche inédite, le choix de ce nom ne sera plus que secondaire. Et la campagne elle-même résoudra ce qui nous semble aujourd’hui insoluble.

Ce n’est certes pas la seule question que nous avons à aborder dans cette période, qu’il s’agisse du monde, du communisme, de notre stratégie ou des échéances qui approchent. Mais en travaillant à cette perspective véritablement collective, nous aurons fait œuvre utile.

Frank Mouly

Membre du Conseil national

Contribution publiée sur : http://alternativeforge.net/spip.php?article2150