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Désobéissance : Keny Arkana ou la radicalité mélancolique (video)
Publie le vendredi 28 mars 2008 par Open-Publishing7 commentaires
La rappeuse revient avec un album thématique, "Désobéissance"*.
Le sociologue Philippe Corcuff fait l’exégèse de ce disque émancipateur, en convoquant Étienne de La Boétie, Pierre Bourdieu, Walter Benjamin…
La gauche radicalement mélancolique n’a pas grand-chose à voir avec la béchamel mélancolique que nous a récemment servie le conseiller en inintelligence de Ségolène Royal dans son dernier opuscule, Ce grand cadavre à la renverse. Á la différence de BHL, elle ne se complaît pas dans le dernier chic du renoncement à l’émancipation. Elle n’a pas perdu ses idéaux, mais son rapport au monde apparaît lesté par les longues douleurs et les éclats de bonheur du passé. Elle sait qu’il y a eu des moments intenses qui ont laissé des traces dans nos imaginaires : 1848, 1871, 1936, 1945, 1968... Elle ne méconnaît pas les acquis sociaux et sociétaux conquis de hautes luttes, et que justement le rouleau compresseur néolibéral s’efforce d’éliminer au nom d’une « modernité » patronalement orientée. Mais elle est bien obligée de constater que, depuis presque deux siècles, d’expériences locales noyées dans les logiques dominantes en impasses totalitaires, d’institutionnalisations affadissantes en rêveries gauchistes sans effets, l’espérance d’une société non-capitaliste sur des bases démocratiques et pluralistes a échoué.
La gauche radicalement mélancolique comprend qu’il n’y va pas seulement des méchants oppresseurs et de leurs méchants médias - même si ce sont bien des composantes du problème -, mais aussi de nous, collectivement et individuellement. Si elle demeure déterminée, elle n’est donc point arrogante. Sa ténacité s’est aiguisée à ses fragilités. Elle n’est pas, non plus, nostalgiquement enfermée dans le culte du passé, mais face aux évidences d’un présent capitaliste qui se croit éternel, elle n’hésite pas à puiser de manière critique dans les traditions libératrices d’hier. « Et mon passé revient du fond de sa défaite », chante Charles Aznavour dans « Non je n’ai rien oublié » ! Ce pourrait être son emblème.
La gauche radicalement mélancolique ne prise guère les langues de bois et les solutions toutes faites. Elle est en quête, elle explore, elle tâtonne. Elle espère une autre gauche, une vraie gauche, mais ne croit plus les beaux parleurs sur leur seule bonne mine. Elle cherche dans les universités populaires, elle agit dans les réseaux associatifs, elle colère dans la rue, elle lit Politis, elle furète sur Internet… Elle a eu plaisir à participer à dégommer quelques caciques UMP aux dernières élections municipales, mais la gueule de ravis des anciens et nouveaux notables socialistes n’est pas loin de la faire vomir.
Cette gauche radicalement mélancolique ne sait peut-être pas qu’une rappeuse de 24 ans, altermondialiste et marseillaise d’origine argentine, fait écho à ses combats, ses aspirations, ses doutes. Après le magnifique Entre Ciment et Belle Étoile (2006), Keny Arkana nous offre d’autres interférences avec nos sonorités intérieures et nos cris collectifs dans son tout nouvel album, Désobéissance.
Le monde est à changer, radicalement : injustices sociales et inégalités internationales (« Apartheid social et culturel »), déchirures écologiques de la planète (« Terre mère, patrimoine ancestrale de vie, considérée comme une vulgaire marchandise à leur service ») et mal-être intime (« Expulsés de nos villes comme expulsés de nos vies »). La démocratie se rétrécit et échappe de plus en plus aux peuples (« C’est le jeu de l’illusion que vous appelez démocratie »). Sous la tutelle des puissants, le présent obère le futur (« Á cause de leurs profits immédiats l’avenir est gâché »). Il est urgent de résister : « Ils veulent dessiner l’apartheid, on dessinera le maquis. »
« Ré-veil-lez vous ! » lance Keny dans une logique de « Désobéissance civile », son premier titre. Pour cela, contre l’effacement de l’histoire des vaincus (le « Nouvel Ordre mondial », « A tué la mémoire pour mieux tuer l’avenir »), les luttes anticipant demain proposeront une alliance mélancolique entre le passé humilié et les possibles futurs. Au carrefour d’un messianisme juif laïcisé et d’un marxisme hétérodoxe, le philosophe Walter Benjamin notait déjà dans ses thèses Sur le concept d’histoire (1940), peu de temps avant de se suicider à la frontière franco-espagnole en fuite devant le nazisme : « Á chaque époque, il faut chercher à arracher de nouveau la tradition au conformisme qui est sur le point de la subjuguer. »
Mais les obstacles à l’émancipation ne se situent pas uniquement dans « le système » et « les puissants » qui en profitent : « Le système est un mirage. » Les ordres dominants savent se rendre désirables et nous rendre complices de ce qui nous écrase. Au XVIème siècle, Étienne de La Boétie détonait avec son libertaire Discours de la servitude volontaire. Au XXème siècle, Pierre Bourdieu parlera de « violence symbolique ». Ainsi, ce serait également une certaine participation des opprimés à leur propre oppression qui donnerait une telle longévité aux diverses formes historiques de la domination. Les lyrics de Keny rebondissent « Les barrières sont là, dans nos têtes, bien au chaud » ou encore « On s’est construit nos propres prisons/Enfermés dans les forteresses de nos ego ».
Pas de transformation du monde sans travail sur soi (« Il faut garder sa vigilance pour ne pas s’éloigner de soi »), donc, mais pas de changement de soi sans implication dans l’action collective. « La vraie révolution sera le changement de nos êtres », individuellement et collectivement, indissociablement. « Réapproprions-nous nos vies », contre l’hégémonie de la loi du profit et contre les pouvoirs étatiques. Chez Keny, pas de recette définitive : ni bons politiciens, ni bon État. Car « La révolution totale n’est pas qu’un but, c’est un chemin et une quête ».
Cette double révolution spirituelle et sociale a à voir avec l’expérience de nos défaillances. L’ordre recourt à la lâcheté de la force brutale (« Tout comme les larmes, les faiblesses/N’ont pas de place dans leur système »), l’émancipation valorise la force convergente de nos fragilités. Après tant de cul-de-sac historiques, Keny pointe légitimement le risque que nos solutions ne ressemblent trop à ce qu’elles prétendent remplacer : « On nique pas le système en voulant le détruire, on nique le système en construisant sans lui ». La Boétie, encore lui, formulait il y a bien longtemps cette énigme, qui semble encore la nôtre : comment « chasser le tyran » sans « retenir la tyrannie » ?
La gauche radicalement mélancolique entend tant de discours convenus et aseptisés, sans vie, y compris dans les gauches anti-libérales qui ont davantage sa sympathie, tant de slogans ivres de leurs pauvres certitudes, que l’énergie rageuse et poétique du flow de Keny Arkana apparaîtra plus à même d’alimenter ses questionnements. Elle y trouvera aussi des contradictions, des hésitations, voire des jugements péremptoires et des stéréotypes, participant de son humaine fragilité.
P.C.
Philippe Corcuff est sociologue, militant altermondialiste, auteur notamment de la Société de verre. Pour une éthique de la fragilité (Armand Colin, 2002).
* Distribué par Because, disponible le 7 avril 2008.
Paru dans l’hebdomadaire Politis
N°994, semaine du 20 au 26 mars 2008
Keny Arkana - Cinquième soleil (live a Lyon)
"Keny Arkana - Désobéissance"
Alors que son premier album Entre Ciment et Belle Etoile se trouve encore dans le top 100 des ventes disques en France et en attendant peut-être un futur disque d’or. Ce projet est un mini-album composé de 10 titres thèmatiques autour de la désobéissance. Parmi la dizaine de morceaux, cinq sont déja mixés dont un qui tourne desobéissance civile . Les cinq autres seront enregistrés bientôt.
Tracklist :
1- Désobéissance civile2- Réveillez-vous3- Heritage4- On ne tue pas un esprit5- Ordre mondial6- La rue nous appartient7- Les chemins du retour8- Dieu créa l’homme9- Terre mère n’est pas à vendre10- Patcha mama11- Cinquième soleil
Site : www.keny-arkana.com
Myspace : www.myspace.com/kenyarkana
Skyblog : http://kenyarkana13.skyrock.com
Messages
1. Désobéissance : Keny Arkana ou la radicalité mélancolique (video), 29 mars 2008, 11:05, par Soleil Sombre
Je ne sais si Philippe Corcuff est le mieux placé pour célébrer les créations radicales de la courageuse Keny Arkana, qui mérite une écoute et un respect analogue à celui qu’on peut accorder à La Rumeur.
Si un sociologue tellement préoccupé de son image, de son ego, de sa vanité petite qu’il en boursoufle plusieurs fois le contenu de sa "fiche" sur Wikipedia - comme la longuement explicité Le Plan B - , au point de rendre celle-ci analogue à celle que peut avoir un Pierre Bourdieu, peut rendre compte de la valeur humaine, citoyenne, politique des musiques de Keny Arkana, je veux bien jurer que Michel Rocard est encore socialiste.
Il me semble que pour les personnes qui demeurent à gauche, la sincérité est une valeur incandescente, quand on voit toute cette pléiade de représentants alller à la soupe chez le frontiste de l’Elysée.
Soleil Sombre
1. Désobéissance : Keny Arkana ou la radicalité mélancolique (video), 29 mars 2008, 22:44
Même si tu as raison sur le personnage de Corcuff,reconnais que l’essentiel est de faire connaître Keny Arkana,non ?
François.
2. Désobéissance : Keny Arkana ou la radicalité mélancolique (video), 30 mars 2008, 08:44
L’essentiel est pour la gauche d’avoir une IDENTITE. Ca veut dire valeurs de gauche - solidarité, désintéressement, anti-hiérarchie, anti-carriériseme, etc. - et intégrité.
Le comportement de Corcuff ne lui donne pas sa place à gauche, ni sa place dans Bellaciao.
Quand à Keny Arkana, tu crois que son message et sa personnalité ne sont pas assez pour forte pour qu’elle apparaisse ?...Regarde la Rumeur et tu comprendras.
Soleil Sombre
3. Désobéissance : Keny Arkana ou la radicalité mélancolique (video), 30 mars 2008, 13:02, par Sébastien
Philippe Corcuff fait partie "de ces prétendants pressés de dépasser ceux qui les dépassent" selon l’expression de Pierre Bourdieu. Il est aussi le pourfendeur de la "théorie du complot" qu’il attribue faussement à Bourdieu et Chomsky et de la critique des médias. A ce prix, il a pu bénéficier de nombreuses chroniques dans les médias. Mais il semble aujourd’hui complètement dévalué, comme presque toujours lorsqu’on en fait trop. .
2. Désobéissance : Keny Arkana ou la radicalité mélancolique (video), 14 avril 2008, 18:50, par tillajow
hello tous bien heureux que l on nomme enfin Kenny Arkana dans votre site je voudrais juste coriger une petite erreur
désobeissance n’est pas le 2 eme album de Kenny mais bien le troisieme il eu L’esquisse en premier puis entre ciment et belle etoile et le 3 eme désobeissance
merci a tous que la lutte continue...
1. Désobéissance : Keny Arkana ou la radicalité mélancolique (video), 14 avril 2008, 21:15
c’est vrai que ca ne fait qu’un peu plus de deux ans seulement !
– Kenny Arkana
Bellaciao
2. Désobéissance : Keny Arkana ou la radicalité mélancolique (video), 4 octobre 2009, 20:27, par Tiphaine
Un seul ’N’ à Keny Arkana déjà. Merci pour Elle.