Accueil > Deux manifestants italiens du May Day font les frais d’une comparution (…)

Deux manifestants italiens du May Day font les frais d’une comparution immédiate hâtive

Publie le mercredi 24 mai 2006 par Open-Publishing

Deux inconnus en détention provisoire

par Dominique SIMONNOT

Pour quelques minutes, comme c’est la coutume, Me Irène Terrel avait rencontré ses clients dans le petit box réservé aux avocats, juste avant leur comparution immédiate, le 4 mai, devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Deux Italiens, Nicola, 27 ans, et Federico, 20 ans, sortant de trois jours de garde à vue. Poursuivis pour violences sur les policiers et bris de vitrines à coups de boule de pétanque, commis lors de la manifestation « européenne » du May Day, un cortège d’intermittents et de précaires. Reconnus par des policiers, ils avaient été arrêtés, place de la République, lors du concert de fin de défilé.

Vers 23 heures, le 4 mai, « après dix minutes de débats », comme de coutume, Nicola, magasinier, et Federico, étudiant, jamais condamnés, se disant innocents, sont expédiés en détention provisoire à Fleury-Mérogis. « La détention provisoire est nécessaire pour garantir leur représentation le jour de l’audience, avait estimé la présidente, Elisabeth Boccara, et il existe un trouble grave et persistant à l’ordre public. » Hier, tous deux demandaient à la 11e chambre de la cour d’appel de les remettre en liberté jusqu’à leur procès, le 29 mai.

Dilemmes. A la cour, où l’abattage des comparutions immédiates (Libération du 15 mai) semble lointain et irréel, Me Irène Terrel a raconté les dilemmes des avocats : « Mes clients juraient de leur innocence, plusieurs témoins m’affirmaient qu’ils n’avaient rien à voir avec les faits. Je voulais aussi que le tribunal visionne un film, tourné par la police. » Impossible en comparution immédiate. Il lui fallait donc un délai « pour préparer la défense ». Elle l’a demandé : « Cela pose un cas de conscience, mais j’y étais contrainte. » Et ce fut donc ­ comme la plupart du temps ­ la détention provisoire.

Ce jour-là, un autre problème ­ récurrent ­ s’est posé. La loi exige, lors de ces procédures ultrarapides, que soit demandée une « enquête sociale », pour que le tribunal ait une idée des gens qu’il juge. Or, ce 4 mai, comme souvent, figure au dossier un PV de carence : « Trop d’enquêtes ce jour par rapport aux effectifs du service. » Rien donc sur les deux Italiens. « Cette enquête est obligatoire pour les comparutions immédiates, accuse l’avocate. Le voeu du législateur était très clair : ne pas placer en détention provisoire quelqu’un dont on ne sait rien ! » Le 4 mai, pourtant, le procureur avait assuré que pour que ça roule, il suffisait que l’enquête ait bien été demandée. Comme toujours, le tribunal n’y avait rien trouvé à redire. Depuis, ça n’a pas avancé. On ne sait toujours rien des deux Italiens, aucune enquête n’a été ordonnée. Quant à l’audience du 29 mai, Me Terrel s’est renseignée : « Déjà quinze affaires sont inscrites, comment faire entendre les témoins et visionner le film dans ces conditions ? C’est mon seul moyen de combattre l’accusation ! »

Attestations. Hier, il s’agissait aussi de montrer que les deux Italiens, une fois libre, n’en profiteraient pas pour filer. Leurs deux mères sont là pour rassurer les juges. Mais aussi pour signaler qu’elles n’ont pas pu voir leurs garçons en prison. Les permis de visite sont compliqués à obtenir. « Approchez les mamans ! » ordonne la présidente Laurence Trebucq. Et où iront leurs fils, « si par hasard ils étaient libérés ? » Ce serait chez le philosophe Etienne Balibar et chez l’ex-députée européenne Aline Pailler, qui ont signé des attestations d’hébergement.

A ces arguments, l’avocat général a opposé un service minimum et réclamé la confirmation de la détention. Les deux prisonniers ont fait traduire : « Nous voulons prouver notre innocence, nous respecterons tout ce que la cour nous dira. » La décision sera rendue aujourd’hui. En attendant, la présidente a demandé aux gendarmes : « Messieurs, organisez-vous pour qu’ils puissent voir leur mère maintenant ! »

http://www.liberation.fr/page.php?Article=384513