Accueil > Dis maman, c’est comment, l’avant-grève ?
– Dis maman, c’est comment, l’avant-grève ?
– Il faut réécouter attentivement la voix d’Elkabbach, interrogeant ce mardi matin, à quelques heures de la grève, un responsable de Sud Rail, Christian Mahieux.
Les paroles sont connues. Alors, cette grève ? Vous la prévoyez longue ? Combien ? Quelle durée ? Vous êtes prêts ? Vous n’en avez pas marre, de prendre les Français en otages pour défendre vos privilèges ? Etc.
Ce responsable de Sud Rail, c’était l’ambassadeur d’Irak reçu à la télé à quelques heures de la guerre du Golfe. C’était l’Ennemi exhibé à la Nation des braves gens, celle qui se prépare à la "galère" et au "cauchemar".
Mais ce n’est pas les paroles du chanteur, qu’il faut écouter. C’est sa voix. Les vibratos d’excitation, dans cette voix, qui auront traversé tous les habitacles de voiture, toutes les salles du bains du pays. Cette sorte de joie. Cette impatience. En découdre, enfin !
Cette excitation, c’est celle de la guerre. Plus exactement, de l’avant-guerre. Tous à Berlin ! Nach Paris ! On les aura !
Pour quelles raisons exactement, le concert des ministres (et Elkabbach, et les JT dans leur sillage) multiplient-ils les roulements de tambour, et les cris d’effroi, depuis plusieurs jours ? Pourquoi tous les bulletins d’info de la radio agitent-ils le spectre de "la grande jonction", l’axe infernal des cheminots avec la grève des fonctionnaires du 20 novembre ? Pourquoi cet épouvantail partout secoué de la "semaine de tous les dangers" ? Pourquoi plongent-ils le pays dans cette ambiance, gravité et excitation mêlées, d’avant-grève ?
On peut, comme Pierre Haski, de Rue 89 et d’Europe 1, les soupçonner d’arrière-pensées. Croyant que le rapport de forces leur sera favorable, ils "poussent les syndicats à un mouvement dur", dans l’espoir évidemment d’une victoire finale, d’autant plus savoureuse qu’elle aura été conquise sur un adversaire coriace.
On peut aussi imaginer que cette dramatisation prépare les citoyens à la divine surprise de l’écrasement rapide de l’adversaire, et à la capitulation en rase campagne de l’armée cheminote.
Peut-être encore les roulements de tambours des stratèges de l’avant-grève ménagent-ils les deux hypothèses à la fois.
Mais les vibratos d’Elkabbach suggèrent autre chose. On peut aussi les imaginer victimes de leur propre "mythologie", comme dit Haski. Victimes, eux aussi, de cette obsession de la revanche, qui les ronge depuis "la grande grève" de 1995. Tant il est vrai que le propre d’un emballement efficace est d’emballer pêle-mêle ses propagateurs, et leur public.