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Documentaristes de création : du désarroi à la réaction

Publie le jeudi 15 janvier 2004 par Open-Publishing

Le Groupe du 24 juillet a rendu public les propositions qu’il veut défendre auprès des institutions pour sortir le documentaire de création de l’indigence.

" Nous voulons devenir un groupe de pression, retrouver une culture commune pour se réapproprier nos films. " Denis Gheerbrandt donne le ton devant celles et ceux qui se sont pressés en nombre au rendez-vous organisé par le Groupe du 24 juillet (1) à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (la Femis), jeudi 8 janvier. Le collectif entend bien poursuivre la lutte en 2004, fort d’un catalogue de propositions dont l’élaboration, au sein de commissions ouvertes aux professionnels du secteur, a débuté aux états généraux du film documentaire de Lussas, fin août, et s’est achevée cet automne.

Le constat de départ est fort simple : le déficit des annexes VIII et X de l’assurance chômage que les partenaires sociaux autoproclamés et signataires du protocole d’accord du 26 juin n’ont eu de cesse de brandir pour justifier la réforme, est largement imputable au sous-financement chronique des ouvres, en particulier audiovisuelles. L’ensemble de la chaîne de création, de l’écriture à la diffusion des films, en passant par leur production, connaît ce phénomène, même si Jacques Bidou (JBA Production), chargé par le Centre national de la cinématographie (CNC) d’une étude sur les mécanismes d’accompagnement à l’écriture, rappelle que, paradoxalement, " la situation française est grave parce qu’on est en train de sortir la création de l’économie, mais elle reste favorable au regard des autres pays européens ". Si la constitution, sous l’égide du CNC, du compte de soutien à l’industrie de programmes audiovisuels (le COSIP, abondé par une taxe de 5,5 % prélevée sur les recettes des chaînes) en 1986 a permis l’apparition d’un vivier de producteurs indépendants et le développement de la création documentaire fondé sur le désir des réalisateurs au cours de la décennie quatre-vingt-dix, l’embellie a fait long feu. Avec le poids acquis par les chaînes - et une poignée de programmateurs - dans le financement des documentaires, " nous sommes en train de basculer d’une économie de l’offre à celle de la demande, c’est-à-dire à la mort du cinéma ", s’insurge le réalisateur Jean-Pierre Thorn.

Il y a péril en la demeure. Les causes sont connues. 60 % des aides du COSIP en 2002 (pour un volume horaire de 2 750 qui a doublé en cinq ans) ont été absorbées par les chaînes thématiques, locales, ou les antennes régionales de France 3, qui investissent peu en production, alors que la part assurée par les grandes chaînes hertziennes de service public (à l’exception notable de France 5 et d’Arte) tend à diminuer. Et le flou entretenu autour de la notion " d’ouvre audiovisuelle " a permis de faire accéder au compte de soutien des programmes de flux (à l’instar de Popstars ou Sagas), contredisant l’objectif initial de cette institution, " le développement d’une industrie des programmes à vocation patrimoniale ". Ce " glissement " est imputable autant à la disparition de la sélectivité - elle aussi originelle - au profit de l’automacité des aides distribuées, qu’à une pression des principaux argentiers du COSIP, au premier rang desquels TF1, pour laquelle la téléréalité doit " figurer au rang des "ouvres patrimoniales" parce qu’elle répond aux attentes du public " et pour qui " la discrimination des programmes autour d’une définition de l’ouvre audiovisuelle fondée sur le critère de créativité n’est plus pertinente " (2).

Sur les rails depuis 2000, la réforme du COSIP, en l’état actuel, inquiète, Gérald Collas, producteur à l’INA, redoutant même qu’elle ne réduise à néant son utilité même, et ne profite, " en définissant des coefficients d’aide en fonction de l’attractivité des programmes, qu’à un petit pôle industriel plus concentré de producteurs se bornant à répondre aux décisions des chaînes ". Si ces craintes se confirment par la suite, la production indépendante sera décimée, par la logique même qui a présidé au " sauvetage " du régime spécifique des intermittents.

Comment, dès lors, sortir de ce contexte fortement dégradé ? Le Groupe du 24 juillet a exposé devant l’assemblée un certain nombre de pistes à suivre : sur le versant de la production, il s’agit de redéfinir la notion d’ouvre, préalable indispensable à une véritable réforme du COSIP censée déboucher sur une augmentation des recettes et un rééquilibrage des aides. On réfléchit également à la mise en ouvre d’un fonds sélectif d’aide à la création abondé par les chaînes, " déconnecté de l’apport préalable d’un diffuseur ", fonctionnant selon des mécanismes prévalant dans le cinéma, et obligeant les chaînes à respecter leur cahier des charges. Sur le versant de la diffusion, le collectif souhaite stimuler l’émergence ou la consolidation de nouveaux espaces, en créant, entre autres, une aide spécifique à l’équipement des salles en vidéoprojecteurs ou au kinescopage, à l’accompagnement des films par le réalisateur... Pourquoi pas, même, réfléchir à de nouvelles visibilités (le DVD, le Net, etc.) pour diversifier le public du documentaire ? Conscient que ces alternatives ne pèseront pas lourd en l’absence d’une réelle volonté politique, le Groupe souhaite les présenter rapidement aux tutelles. Mais, alors qu’ils sont prompts à emboucher des trompettes cocardières devant la Commission européenne, le ministère de la Culture et le CNC ne semblent pas vraiment pressés de modifier à l’intérieur les règles du jeu qui vont, à terme, torpiller l’exception culturelle française.

Emmanuel Chicon

(1) Regroupant cinéastes, producteurs, techniciens ou exploitants, il s’est monté afin de relayer l’opposition à la signature du protocole réformant l’assurance chômage des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel en juin dernier.

(2) Cf. le rapport sur la notion d’ouvre audiovisuelle remis par le directeur du CNC, Denis Kessler, au ministère de tutelle en 2002, en ligne sur http://www.cnc.fr/bactual/frcomjja.htm

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-01-14/2004-01-14-386138