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Du camp de Guantanamo aux prisons françaises

Publie le lundi 2 août 2004 par Open-Publishing

de Mina Kaci

Soupçonnés d’activités terroristes, les quatre détenus français rapatriés de Guantanamo ont été incarcérés ce week-end dans des prisons en région parisienne.

Mis en examen et écroués pour " association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ". Aucun des quatre Français rapatriés mardi dernier de Guantanamo n’a été épargné par cette décision du juge des libertés et de la détention, prise dans la nuit de samedi à dimanche, conformément au réquisitoire du parquet. Brahim Yadel (trente-trois ans), Imad Kanouni (vingt-sept ans), Nizar Sassi (vingt-cinq ans) et Mourad Benchellali (vingt-trois ans) sont depuis incarcérés dans différentes prisons de la région parisienne, après avoir passé plusieurs jours en garde à vue. Ce qui a permis, selon un porte-parole du parquet de Paris, " de remplir un dossier sur lequel il n’existait que des soupçons ". On leur reproche principalement d’avoir participé à une filière de recrutement et de formation de combattants pour le djihad, renseignements que la DST aurait obtenus depuis le placement des quatre hommes en garde à vue en France et non sur la base des documents qu’auraient fournis les États-Unis lors de leur enfermement à Guantanamo.

Prisonniers " coopératifs "

Toujours selon la police, les prisonniers s’étaient montrés " coopératifs ", probablement soulagés d’être sortis de la zone de non-droit que constituait la base américaine. Ils auraient ainsi retracé leur parcours vers l’Afghanistan, via Londres et le Pakistan, et détaillé leurs conditions de séjour dans les camps d’entraînement, avec notamment des précisions sur le maniement d’armes, d’explosifs et sur les cours théoriques professés en langue arabe. Brahim Yadel et Imad Kanouni ont séjourné dix-huit mois en Afghanistan, Nizar Sassi et Mourad Benchellali six mois. Ils étaient tous les quatre présents dans les camps afghans au moment des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, et ont été arrêtés par les Américains en décembre 2001, à la zone frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan.

Jusqu’ici, seul Imad Kanouni était inconnu des services de police. Il aurait vécu un an sur le sol français avant de s’installer en Allemagne, pays qu’il a quitté pour se rendre au Pakistan. On le soupçonne d’appartenir au groupe islamiste dit " de Francfort ", qui envisageait de préparer un attentat visant le marché de Noël de Strasbourg en décembre 2000. Pour sa part, Brahim Yadel, né à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a été condamné en 2000 à un an de prison (en son absence) pour avoir fait partie d’un groupe accusé d’avoir fomenté une action terroriste lors de la Coupe du monde de football en France. On le dit proche des GIA algériens, organisation pour laquelle il collectait des fonds.

" Mauvais traitements "

Les deux autres prisonniers, Nizar Sassi et Mourad Benchellali, sont des amis d’enfance des Minguettes, un quartier de Vénissieux, dans le Rhône. Outre leur mise en examen pour " association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ", ils sont poursuivis pour " usage et détention de faux documents administratifs ", en raison de faux passeports qui leur ont permis de se rendre en Afghanistan, en passant par Londres et le Pakistan. Selon la police, ces pièces d’identité ont été fournies par Menad Benchellali, le frère de Mourad, lui-même écroué dans le cadre de l’enquête dite des filières tchétchènes, comme l’est aussi le père, imam autoproclamé, officiant dans une salle de prière située en bas d’une tour des Minguettes. Dans ce quartier de 21 000 habitants, on s’interroge sur ce qui a pu pousser Mourad Benchellali et Nizar Sassi, employés, avant leur voyage, comme emploi-jeunes, le premier à Rillieux-la-Pape, le second à Vénissieux, à s’embrigader dans la nébuleuse islamiste.

Pour leurs copains des Minguettes, rencontrés vendredi en bas des immeubles, il ne fait aucun doute que " Mourad et Nizar n’ont rien fait ". " Ils sont partis en Afghanistan pour approfondir le Coran ", affirment-ils d’une même voix, continuant ainsi, trente mois après l’incarcération des Vénissians sur la base américaine de Guantanamo, à réitérer cette version des faits, sans toutefois détenir la vérité sur l’affaire. Au lendemain du rapatriement des détenus en France, les copains ont fêté " cette première victoire " en organisant un " grand barbecue dans la cité ". Certains d’entre eux ont tenu à se rendre, samedi, au Palais de justice de Paris pour " attendre Mourad et Nizar ". Un déplacement que n’aurait manqué pour rien au monde Aymene Sassi, le frère cadet de Nizar. Dès vendredi, ce dernier restait très mesuré sur une éventuelle libération : " Logiquement, ils doivent être libérés, mais je me dis que tout est possible au regard de ce qui s’est passé avec la famille de Mourad. " C’est lors de sa garde à vue que ce dernier a appris l’incarcération de son père, de son frère et de sa mère. Lui a été transféré à la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise). Mais son avocat ainsi que ceux des trois autres présumés islamistes ont fait part de leur intention de déposer un recours en urgence. En attendant, ils ont alerté l’opinion sur les " mauvais traitements " infligés à leurs clients à Guantanamo, comparables à ceux subis par les prisonniers irakiens d’Abou Gharib, informations qu’ils disent détenir de Nizar Sassi et Mourad Benchellali. Ils auraient été menacés avec des chiens, obligés de " prendre des médicaments " et auraient subi des " interrogatoires menés avec des fusils à pompe ", ont rapporté les avocats des deux Vénissians.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-02/2004-08-02-398227