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Lu sur le Blog de Sylvie Nony, Prof au Lycée Français du Caire :
"Ni sabre ni goupillon
8 avril 2011
par snony

Ce vendredi se nommait « vendredi de la purge » et le ton est semble-t-il encore monté d’un cran. « Ensemble, faisons la guerre à la corruption, et jugeons les corrompus » dit en substance cette banderole. Certes un ministre de plus vient de rentrer en prison (celui du logement pour une énorme affaire d’abus de biens publics) mais les principaux corrompus sont toujours en liberté. Les gouvernorats sont toujours aux mains des anciens du PND, la télévision et la radio de même, sans parler du clan Mubarak qui semble bien avoir encore des soutiens efficaces, intérieurs comme extérieurs. On murmure que les saoudiens menacent de retirer tous leurs investissements s’ils sont poursuivis…On peut imaginer que d’autres investisseurs dans des pays plus démocratiques en font de même. Tiens, à ce propos, la banderole juste au-dessus clame le refus de l’installation d’une centrale nucléaire dans le pays, alors qu’un appel d’offres a été lancé fin 2010 pour la construction de sa première unité sur la côte, au Nord-Ouest du Caire, à al-Dabea.

Les intentions de cette autre pancarte sont assez limpides : l’équipe Mubarak dont les têtes ont remplacé celles des joueurs de l’équipe de foot nationale ; le capitaine a la corde au cou. « Nous ne nous calmerons pas tant que tu ne nous auras pas rendu notre argent ».
Difficile une fois de plus de chiffrer le nombre de manifestants ayant répondu à l’appel d’autant plus que la place a commencé se remplir tôt le matin, et était encore pleine ce soir malgré un défilé permanent mais on peut estimer l’ordre de grandeur à la centaine de milliers de personnes, certains disent moins, d’autres 500 000… Comme la police n’est pas là, comme dans nos contrées, pour évaluer avec justesse et rigueur les effectifs nous en resterons au sentiment général : on a renoué avec la mobilisation des beaux jours de la révolution.

Les esprits chagrins diront que cette mobilisation est en grande partie due à celle des Frères musulmans, effectivement présents en nombre. Il n’empêche que les calicots qui fleurissaient sur la place étaient sans ambiguïté : « Non à un état militaire, non à un état religieux, oui à un état civil et à la démocratie » (ci-contre). Ni sabre, ni goupillon aurait dit Jean Ferrat.
Ce rassemblement était aussi celui de la solidarité arabe. Aux drapeaux tunisiens et libyens, toujours présents, est venu s’ajouter un immense drapeau aux couleurs de la Syrie (vidéo ici), pays avec lequel le sentiment de solidarité est très fort (l’Égypte et la Syrie ont même formé un seul état entre 58 et 61). On apprenait dans l’après midi que les manifestations du vendredi avaient fait là-bas plusieurs dizaines de morts.

Pour en revenir aux évolutions politiques égyptiennes, l’amplification de l’expression politique se poursuit, sous forme d’affiches, plus ou moins sauvages, de tracts massivement distribués et lus, d’expressions manuscrites à même le sol, de prises de parole publiques. Les gens collectionnent soigneusement les tracts et on les voit lire avec attention au milieu de la foule, sur les terrasses alentour et les discussions vont bon train. Le nombre grandissant de partis politiques qui se créent chaque jour pourrait donner le tournis d’autant qu’une bonne partie de la population analphabète et maintenue dans l’ignorance par trente ans de dictature doit apprendre à se repérer dans cette jungle. Cet apprentissage se passe pour l’instant dans la cacophonie mais c’est bien cela la démocratie, non ?
On ne va tout de même pas leur souhaiter de n’avoir plus que deux partis présidentiables au choix, et plus de changements en vue !"