Accueil > ELECTIONS : PARTICIPER OU PAS ?

ELECTIONS : PARTICIPER OU PAS ?

Publie le lundi 1er mars 2004 par Open-Publishing
2 commentaires

Contribution

de Patrick MIGNARD

Il est un fait évident, c’est que la question se pose avec de plus en plus d’insistance.
Il y a quelques années, mis à part des irréductibles de l’abstention, la question
ne se posait pratiquement pas… aujourd’hui le spectre de l’abstention hante les
organisations politiques. Comment en est-on arrivé là ?

Il y aurait, paraît-il, une « perte de civisme »… c’est un peu rapide comme jugement… mais
il est vrai que l’abstention progresse. A quoi est du ce phénomène ? Ecartons
la thèse ridicule d’une génération qui aurait, « par quel miracle de la génétique
 ? » perdu ce sens inné de la citoyenneté et essayons de comprendre.

Le principe de base de l’élection est clair et précis : faire participer activement
le citoyen aux affaires de la cité, faire en sorte que soit tenu compte de son
opinion et qu’il soit représenté dans les instances décisionnelles… Ce principe
n’est pas nouveau,…il remonte à l’Antiquité. Sur ce principe il y a peu de chose à redire… et
il est évident que la plupart de celles et ceux qui n’ont plus confiance, aujourd’hui,
dans l’élection, ne le remettent pas en cause. Pourtant…

UN SYSTEME VERROUILLE QUI SE BLOQUE

Méfions nous des évidences. Ce n’est pas parce qu’un système est, au niveau de
son principe, juste, qu’il l’est réellement et donne toute satisfaction.

Il est évident qu’un système qui donne le pouvoir de l’expression politique,
comparé au système antérieur qui faisait sans l’assentiment des membres de la
collectivité, est un progrès… en ce sens, le droit de vote est un acquis, c’est
incontestable… mais est ce suffisant ? Apparemment non… pourquoi ?

La critique la plus généralement développée par celles et ceux qui « ne vont
plus voter » est de dire : « même si l’on va voter, rien ne change sur le fond,
après les élections, on est toujours dans la même situation ». Le recul que l’on
a aujourd’hui montre qu’un tel jugement correspond en grande partie à la réalité.

Le principe de l’élection n’est pas contestable, ce qui le relativise ce sont
les conditions sociales dans lesquelles elle s’exerce. En effet, le système marchand
n’est pas un système égalitaire, n’est même pas un système qui fait de l’être
humain son fondement essentiel. La preuve en est, et on peut le vérifier tous
les jours, que les femmes et les hommes dans notre société sont instrumentalisés,
sont soumis aux conditions de la réalisation de la valeur de la marchandise. « J’ai
besoin, j’embauche, je n’ai plus besoin, je licencie » « tu as un revenu, tu
consommes, tu n’en as pas, tu galères », tel est le principe concret du système
marchand… de même qu’entre l’intérêt financier et la santé publique, voire l’environnement
, c’est toujours le premier qui prime. Ceci n’est pas une analyse, c’est simplement
un constat.

Il faut rapprocher cette situation concrète au principe et au discours sur « le
citoyen qui exerce son pouvoir par l’élection », alors apparaît le décalage entre
un statut politique de l’individu, celui de « citoyen », en principe libre et
acteur de la vie politique, et celui économique de salarié ou assimilé, complètement
dépendant de lois économiques qui le déterminent socialement.

Tant que la situation économique des salariés n’est pas catastrophique, tant
qu’ils ont les moyens de gagner leur vie, tant que les possesseurs du capital
peuvent s’acheter la paix sociale… le décalage, même s’il existe, est plus ou
moins accepté par tous. Les choses se gâtent lorsque la situation économique
dévoile l’ampleur du décalage qui rend ridicule le statut de citoyen au regard
des conditions de vie de ces mêmes citoyens. Or c’est exactement ce qui se produit
aujourd’hui. En effet, l’évolution du système économique précarise les individus
et le système a de moins en moins les moyens de s’acheter la paix sociale (licenciements,
exclusion, réduction des budgets sociaux). Le vécu de l’alternance politique
(droite… gauche… droite… gauche…etc) révèle les limites du système politique
comme instrument du changement, voire simplement instrument de gestion des besoins
collectifs.

Ainsi les élections, en principe, expression libre du peuple, peuvent devenir,
et deviennent, un extraordinaire instrument de contrôle et de conservation d’un
système qui instrumentalise l’individu et est incapable de lui assurer bien être
et dignité. Le système est de fait verrouillé.

Les partis politiques qui au début (au 19e s) exprimaient, pour certains, des
nuances, voire des critiques du système sont rapidement devenus les gestionnaires
de ce système et à ce titre trouvent leur compte dans le système électoral qui
permet de conserver une situation qui correspond à leurs intérêts et en particuliers
aux aspirations de leurs dirigeants de bénéficier des privilèges du pouvoir.

La classe politique qui est passée maître dans l’art de la manipulation électorale,
transforme le principe de l’élection en un simple instrument de reproduction
du système politique. pour cela, elle dispose d’un certain nombre de moyens :
le charcutage des circonscriptions (diviser pour régner), la main mise sur les
grands moyens de communication (journaux, télés, radios), et donc organise à son
profit le partage du pouvoir dont l’accès est bloqué et filtré par ces bureaucraties
politiques.

Le discours officiel (la pensée unique) et dominant de la classe politique, ne
retient de tout cela que l’aspect « droit et devoir du citoyen »… l’accent est
d’ailleurs surtout mis sur le « devoir ». En effet, et on le comprend, il est
vital pour la classe politique gestionnaire que le citoyen considère comme un
impératif moral catégorique le fait d’aller voter. Toute suspicion concernant
ce « devoir » remet en question la légitimité du pouvoir et donc la légitimité du
système. C’est ce qui explique l’extraordinaire effort de culpabilisation de
celles et ceux qui ne vont plus voter Autrement dit il faut que le « salarié instrumentalisé » ai
l’impression d’être un « citoyen libre et acteur de la vie sociale »… et pour
cela vote. Cette illusion joue de moins en moins (les marges de manœuvres des
politiques étant limitées par la mondialisation marchande), d’où aujourd’hui
cette soit disante « perte de civisme » qui n’est en fait que la prise de conscience
d’une mystification.

L’ABSTENTION EST-ELLE UNE SOLUTION ?

Bien sûr que non, mais pas plus que l’élection n’en serait une. La seule solution
est (serait) le changement de rapports sociaux, or, nous l’avons vu, tout est
fait par les gestionnaires du système pour faire en sorte que l’élection n’aboutisse
pas à cette situation, ne se pose même pas la question et permette simplement,
avec l’illusion du consentement collectif, la reproduction du système.

On se rend compte également que les organisations politiques les plus contestataires,
les plus critiques à l’égard du système, tentées par l’utilité propagandiste
de l’élection, commencent à participer superficiellement au processus électoral,
puis, peu à peu, en font l’essentiel de leur activité politique… le piège a parfaitement
fonctionné et s’est refermé sur elles.

Alors que c’est la pratique en vue d’un changement des relations sociales, des
rapports de production qui devraient constituer le centre de gravité de toute
stratégie de changement, ce sont en fait les élections qui tiennent ce rôle.
Alors que les élections ne devraient constituer, dans la stratégie de changement,
qu’un facteur marginal, permettant par exemple de populariser les nouvelles pratiques
et d’aider à la prise de conscience collective (l’essentiel se faisant dans la
pratique), elles sont, en fait, présentées comme l’instrument fondamental de
la pratique démocratique. Ainsi, le système marchand a réussi l’extraordinaire
tour de force à faire admettre et accepter la pratique électorale, qui ne fait
que reproduire le système, comme un instrument de changement… la mystification
est totale, l’illusion est parfaite, toute velléité de changement est tuée dans
l’œuf.

La question essentielle aujourd’hui n’est pas, et n’a jamais été : « faut-t-il
aller voter ou pas ? ». Le vote, pas plus que l’abstention, ne peuvent être une
attitude stratégiquement positive en vue du changement. Le problème se situe
ailleurs, dans les pratiques sociales permettant de mettre en place une alternative
sociale et économique aux rapports marchands. Il est évident que dans le cas
d’une dynamique de changement des rapports sociaux, l’élection pourrait être
alors considérée comme un élément intéressant d’échange, de discussion, d’élaboration
et de choix. Or, ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui, l’élection n’étant
même plus l’aboutissement d’une réflexion, d’un débat politique, mais simplement
un « défilé de mode » des candidats prétendant au pouvoir qui sont prêts à tout
(compromission, promesses mensongères, séduction,…)pour être élus.

On peut comprendre ainsi que l’élection soit considérée comme une mascarade et
une insulte à la démocratie et donc que l’abstention ne soit pas une attitude
de désintéressement de la chose publique, mais au contraire un refus de cautionner
une mystification. De même que l’on peut comprendre que devant le vide politique
et social pour l’avenir, certaines et certains, au risque de cautionner, ce système,
aillent « tout de même » voter « pour le moins pire ».

Dans les deux cas c’est une faillite de la démocratie.

29.02.2004
Collectif Bellaciao

Messages

  • Vous dites que ne pas voter revient à refuser cette "mystification". Pourquoi voter alors ? Sauf cas particulier, ( cas où le resultat des urnes pourrait apporter des "changements" sociaux très importants comme une potentielle victoire d’extrème droite ) voter mystifie les votants. Ne votons pas ! Desertons ce désert nommé "démocratie" !

  • Certes !
    ne pas voter c’est, un peu, exprimer son mécontentement.

    Le problème de fond, philosophique, ( osons les mots ) est que dans certains pays, voter ( mal, càd contre le pouvoir en place ) peut s’avérer dangereux, voire mortel !!!

    Le droit de vote ( comme le droit de grève ) porte bien son nom, usons-en pendant qu’on peut encore le faire, avant que " l’Europe" et sa funeste constitution ne renvoie tout ça à une époque révolue.

    Les citoyens ( ou plutôt les voteurs ) ont la fâcheuse tendance à croire, qu’une fois leur devoir d’électeur accompli, ils peuvent repartir la conscience en paix.

    Que le bulletin dans l’urne les dédouane de toute responsabilité jusqu’à la prochaine élection. Qu’en fin de mandat de " l’élu" au vu des actes accomplis ( ou plus souvent non-accomplis ) ils ont le droit d’émettre un jugement définitif qu’en fin de compte " voter ne sert à rien "..... Ce qui fait le jeu des politicards que vous dénoncez dans l’article.

    On en arrive à la situtation des States, 51 % d’abstentions quelques trucages, et boum : Bush !

    A l’Angleterre à l’Allemagne, avec un système bipolaire qu’on l’appelle Républicain-Démocrate, Travaillisme-Conservatisme, Libérale-Sociale-Démocratie, ou à la Gauche-Droite dont rêvent le PS et l’UMP, en résumé à une acceptation de la globalisation économique réformiste-libérale ou ultra-libérale, à la fin d’un pluralisme, qui a au moins le mérite de pouvoir " s’y retrouver " quelque part même si ce n’est pas parfait et de manifester ( un peu ) sa non-acceptation du système, faute de mieux.

    On a les politiques que l’on mérite.

    Je ne sais plus qui a dit : " L’art de la politique, c’est d’empêcher les gens de se mêler de leurs affaires ". Il serait souhaitable que chaque citoyen commence à s’en mêler avant qu’il ne soit trop tard.......