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Effractions, écoutes, menace de mort, des magistrats sous pression.
Publie le samedi 31 janvier 2004 par Open-PublishingEmplois fictifs
Des juges menacés et harcelés
Effractions, écoutes, menace de mort, des magistrats sous pression.
En apparence ce n’était que quelques mots. Alors qu’elle entame la lecture
du jugement, vendredi, la présidente Catherine Pierce glisse une précision
plutôt inhabituelle. Les avocats n’auront une copie complète de la décision
que dans quelques jours, car, dit la magistrate, « l’outil informatique du
tribunal ne garantit pas la confidentialité ». Jusqu’au dernier instant, le
jugement a été conservé hors du système informatique interne, d’où ce retard
pour les prévenus. Depuis des semaines, Catherine Pierce a, en compagnie de
ses assesseurs Alain Prache et Fabienne Schaller, vécu sous une pression qui
fait froid dans le dos : bureaux fouillés, écoutes téléphoniques, menaces de
mort...
Bruit. Il y a deux semaines, Catherine Pierce se trouve dans son bureau, au
premier étage du tribunal. Il est 19 h 30, elle achève sa journée de
travail. Il y a du bruit dans le bureau contigu au sien. Le magistrat voisin
s’acharne sur sa porte qu’il ne parvient plus à ouvrir. Catherine Pierce ne
s’en préoccupe pas davantage et s’en va. Le lendemain matin, stupeur : les
dalles qui composent le plafond de son bureau ont bougé, la pièce a été
fouillée. Alain Prache, son assesseur un ancien juge d’instruction
contacte la société de maintenance sous contrat avec le tribunal.
L’entreprise lui répond qu’elle n’a pas pratiqué d’intervention officielle
dans la nuit. Alertée, la présidente du tribunal, Marie-Françoise Petit
qui a soutenu les trois magistrats demande alors l’intervention du
procureur Bernard Pagès.
Ce dernier saisit la sûreté publique des
Hauts-de-Seine, qui enquête. Après quelques jours, la version officielle
donnée aux magistrats est que, afin d’atteindre la pièce contiguë, qui ne
s’ouvrait plus, des agents de maintenance sont rentrés dans le bureau de
Catherine Pierce, ont déplacé les faux plafonds, escaladé la cloison... pour
ouvrir la porte voisine ! Un haut magistrat de Nanterre a confirmé hier à
Libération qu’un incident s’était produit autour du bureau de la magistrate,
mais que l’enquête officielle n’avait pas conclu à une tentative de vol avec
effraction. Les bureaux des juges ont été abondamment fouillés pendant toute
cette affaire. Même pendant le procès, un magistrat a retrouvé la serrure
d’une armoire métallique brisée. Au printemps aussi, le bureau du substitut
René Grouman a été fracturé, les visiteurs ayant maladroitement tenté d’en
copier la serrure.
« Intervention ». L’impact de ces pressions a été d’autant plus fort que les
magistrats ont achevé leur jugement il y a seulement dix jours. D’ultimes
relectures ont même eu lieu le week-end dernier. Depuis des semaines, les
magistrats ont abandonné l’outil informatique du tribunal, qu’ils ont jugé
peu protecteur. Toutes leurs lignes téléphoniques au tribunal, au domicile
ou les portables semblent avoir été placées sur écoute. Un des magistrats,
ne parvenant plus à joindre l’international depuis sa ligne personnelle,
s’est vu répondre par l’opérateur que c’était normal puisqu’une
« intervention » avait été effectuée sur la ligne. Un autre ne parvenait à
parler à son interlocuteur qu’au bout de longues secondes. Parfois une voix
étrangère répondait alors qu’un numéro d’appelant connu s’affichait. Un
soi-disant agent de France Télécom s’est encore présenté au domicile d’un
des magistrats. Il apprend que seule une concierge peut, à cette heure du
jour, ouvrir la porte. Il n’est jamais revenu. Enfin, Catherine Pierce a
récemment reçu une lettre la menaçant de mort. Pour la deuxième fois, le
procureur de la République a saisi la police judiciaire des Hauts-de-Seine,
qui enquête.
Ces intimidations sont restées vaines. Jusqu’au dernier moment,
contrairement à ce qui circulait dans certains médias, le secret du délibéré
a été conservé. Même le procureur ignorait le coup de tonnerre qui se
préparait. Jeudi, les tirages papier du jugement ont été achevés à 20 h 30.
Tous les exemplaires ont été placés dans un coffre au tribunal, et un des
trois juges a conservé toute la nuit l’unique trousseau de clés.
Libération