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En Birmanie, un processus d’ouverture irréversible ?

par Frédéric Debomy

Publie le lundi 5 décembre 2011 par Frédéric Debomy - Open-Publishing
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La résistance opposée par Aung San Suu Kyi à la dictature militaire au pouvoir dans son pays a de longue date attiré l’attention sur la situation politique en Birmanie. La « Dame » de Rangoun, figure de référence du mouvement démocratique, ne craignait pas d’affronter un régime connu pour sa brutalité et paraissant à jamais hostile à tout compromis. A la surprise générale, le régime du président Thein Sein a pourtant multiplié ces derniers mois les gestes permettant de croire en la réalité d’un changement. Peut-on dès lors parler d’un « printemps birman » ? Aung San Suu Kyi demeure prudente : s’il y a bien une amélioration de la situation, nous en sommes encore « au début du début » des changements espérés. La situation, certes, évolue, mais nous ne pouvons savoir avec certitude où mèneront ces évolutions.

Il est donc nécessaire de recenser précisément les efforts déjà entrepris par le régime pour mieux évaluer le chemin qui reste à accomplir pour l’établissement d’une véritable démocratie.

Force est d’abord de constater que la Birmanie n’est pas à ce jour devenue un Etat de droit : un trop grand nombre de prisonniers politiques demeure enfermé tandis que la presse est toujours soumise au système de la censure préalable.

Les réformes économiques en sont encore, de leur côté, à leurs balbutiements.

Le dialogue avec Aung San Suu Kyi s’avère certes plus substantiel que par le passé. Elle-même le dit ouvertement dans un entretien accordé le 24 octobre au Wall Street Journal : « Jusqu’à présent, s’agissant des sujets dont nous avons discuté, je n’ai pas été déçue par ce que le régime a fait. Nous avons convenu de certaines choses et ces engagements ont été respectés ».

Le fait que le Parlement ait amendé la loi d’enregistrement des partis politiques, qui imposait notamment aux partis de « préserver et protéger » la peu démocratique constitution de 2008, est encourageant. Il est désormais seulement demandé aux partis politiques birmans de « respecter et suivre » la constitution. Les modifications apportées à la loi pourraient ouvrir la voie à l’enregistrement de la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi (aujourd’hui illégale) comme parti politique officiel.

L’adoption par le parlement birman d’une loi autorisant les syndicats et le droit de grève est une bonne nouvelle mais à l’adoption de la loi doit encore s’ajouter la volonté politique de la faire respecter. Cela vaut également pour la loi autorisant les manifestations. La mise en place d’une commission nationale des droits de l’homme ne saurait davantage être prise pour argent comptant : il faudra la voir en activité pour juger de sa marge de manoeuvre et de ses résultats.

Le gel du projet de barrage Myitsone sur le fleuve Irrawaddy est sans doute le geste du régime qui a le plus surpris. Il paraît de prime abord difficile d’imaginer que le régime ait pris le risque de se mettre à dos l’allié chinois (impliqué dans le projet) en raison d’une mobilisation populaire encore peu menaçante. L’activiste Khin Ohmar, interrogée par lnfo Birmanie, pense pourtant que l’opposition au barrage pouvait générer un « printemps birman » : « Le fleuve Irrawaddy traverse le pays du nord au sud, on trouve toutes les communautés le long du trajet. C’est donc un problème à même d’unifier les communautés de différentes parties du pays ». On peut par ailleurs s’interroger sur le caractère apparemment soudain de la décision de Thein Sein de geler ce projet : prendre cette décision (qui ralliera facilement la population birmane, la plus grande partie du régime et le monde extérieur à l’exception de la Chine) aurait pu être pour le président une manière d’affirmer son pouvoir vis-à-vis de rivaux potentiels. Plusieurs observations doivent enfin être faites : le projet est « gelé » et non pas abandonné et le risque que le régime revienne sur sa décision ne semble pas devoir être complètement écarté. En outre, les travaux ne semblent pas à ce jour avoir cessé sur le chantier du barrage.

En somme, si l’amélioration du climat politique est incontestable, les transformations attendues de la réalité politique, économique et sociale n’ont encore été qu’initiées.

Aung San Suu Kyi a jugé le président Thein Sein sincère dans sa volonté de réforme. Quels dangers pourraient alors menacer le processus en cours ?

La poursuite des évolutions souhaitées tient à la bonne entente des principaux détenteurs du pouvoir actuel. Celle-ci ne pourrait-elle pas être menacée -entre autres- par les manoeuvres d’hommes d’affaires birmans soucieux de préserver leur mainmise sur certains secteurs de l’économie ?

Par ailleurs, l’armée birmane saura-t-elle renoncer à sa volonté de soumettre les groupes armés issus des minorités nationales et permettre au gouvernement de mener avec les insurgés des négociations permettant de solides accords de paix ?

Cette question des conflits en cours avec les groupes armés issus des minorités est cruciale. Le fait que ces conflits aient encore lieu ne signifie certes pas que le processus d’ouverture initié par le régime de Thein Sein soit insincère. Mais il ne saurait être question de considérer les progrès accomplis comme suffisants dès lors que des affrontements se poursuivent et que l’armée birmane se rend coupable de graves violations des droits de l’homme à l’encontre des populations civiles établies dans les zones de conflit.

Ainsi, la communauté internationale ne doit pas se réjouir trop vite des changements observés. Elle doit appeler avec force à la cessation des conflits en cours et à la libération des prisonniers politiques. Elle doit, aussi, garder à l’esprit que beaucoup reste à faire : la Ligue nationale pour la démocratie a dit son souhait de prendre part aux prochaines élections, dans l’objectif de pouvoir discuter la constitution de 2008 assurant à l’armée un contrôle certain de la chose politique. Un sujet sensible.

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/301111/en-birmanie-un-processus-douverture-irreversibl

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