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En écho au "J’ai honte pour mon pays" de Danielle Bleitrach

Publie le samedi 5 août 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

La Havane, le 3 août 2006

Chère Danielle

Comme toujours, tu dis juste et vrai, et je te suis. Sauf dans ton titre : « J’ai honte pour mon pays. » Dieu merci, ceux que tu vilipendes avec force raison - la « classe politique » et les médias - NE SONT PAS la France. Moi qui ai le chauvinisme gaulois bien en veilleuse et le cocorico pas mal enroué, parce que je m’identifie avec orgueil depuis maintenant trente-cinq ans à cette Révolution sur laquelle les abonnés à la pensé unique déversent des tombereaux d’immondices ordurières et d’imbécillités prétentieuses, il ne me viendrait jamais à l’idée de penser que ces « choses-là » auxquelles tu t’en prends sont la France. Le peu qu’il me reste au fond des os du pays qu’a honoré René Char s’identifie à bien d’autres réalités qu’à des politiciens pour qui la politique et le politique, loin d’être comme ici un service d’utilité publique pour lequel on ne touche rien, ne servent qu’à se donner quelque notoriété fugace, voire tout bonnement à s’en mettre plein les poches, et à des médias aux mains de marchands de canons, s’abreuvant tous à des sources polluées et se croyant pourtant « libres » !

Tu sais, au fond, c’est un peu comme dans le fameux conte indien au sujet des aveugles et de l’éléphant, et tu es en fin de compte trop injuste : comment peux-tu demander à des pygmées de reconnaître - même sans être aveugles, bien qu’ils le soient de toute évidence - un géant ? Ou au nanisme moral de découvrir la grandeur et de se découvrir devant elle... ? Nous sommes sur deux planètes différentes, vois-tu ?

Tiens, dans Le Monde d’aujourd’hui, jeudi 3 août 2006 (je ne le prends qu’à titre d’exemple pour tous les autres, ou presque), tu auras sans doute eu l’occasion de t’indigner. Que titre en effet ce journal prétendument objectif et se voulant l’aliment médiatique d’une certaine classe intellectuelle, après n’avoir rien dit hier au sujet de ce qu’il se passe ici : « À Cuba, les dissidents anticastristes, terrés chez eux, s’inquiètent de l’avenir ». Je n’ai pas déroulé l’article, mais je suis quasiment sûr qu’il est signé de l’ineffable Paranagua, devenu grand spécialiste ès Amérique latine et supplétifs cubains, ou alors de son correspondant à Saint-Domingue (serait-ce qu’il n’a trouvé personne, et ce ne serait que justice, pour assurer la correspondance dans l’île ?)... À quoi bon en effet perdre mon temps à lire un ramassis de clichés, de sornettes, d’analyses (si tant est qu’on puisse les qualifier de ça) ou plutôt d’approches qui donnent toujours à côté de la plaque et dont la plupart sont puisées dans les dépêches des quatre ou cinq agences de presse vraiment internationales (ce qui explique pourquoi tu retrouves dans les différents pays quasiment les mêmes manchettes !). Ainsi donc, ce qui intéresse Le Monde, encore une fois, ce sont cinquante supplétifs des Etats-Unis, et non onze millions de Cubains ! Que les lecteurs aient peut-être souhaité savoir ce que pensait la population cubaine - les autres, les supplétifs, pensent anglais, ou plutôt étasunien - ne semble même effleurer l’esprit des responsables du journal. Les millions de Cubains en faveur de leur Révolution qui leur a donné ici cette dignité dont justement les faits français crient toute la carence là-bas, les millions de Cubains inquiets à juste titre, d’un bout à l’autre de l’île, pour la santé de Fidel à qui ils vouent, n’en déplaisent aux imbéciles et aux ignares - à qui nous vouons, ici et ailleurs - des sentiments filiaux en raison de tout ce qu’il représente pour la nation et de la manière dont il sait leur être proche, ces millions de patriotes-là n’intéressent pas les faiseurs d’opinion.

D’ailleurs, sais-tu, je pensais que Le Monde n’allait plus rien publier sur Cuba dans la mesure où ici « il ne s’est rien passé ». Mais j’avais oublié qu’il lui fallait donner, comme à son habitude, la parole aux supplétifs de l’Empire. Car il est évident que si la presse internationale s’est précipitée sur la nouvelle de la passation provisoire de ses pouvoirs par Fidel, c’est parce que, d’une part, elle a fait comme s’il était déjà mort et enterré (les nécros insérées dans les articles de tous les journaux et dont on sait qu’elles sont prêtes depuis longtemps au cas où en disaient là sur les espoirs secret de la presse de l’« impensée unique » qui aura pris une fois de plus ses désirs pour des réalités, et avec elle la classe politicarde), et d’autre part, parce que tous ces tristes faiseurs-avaleurs de balivernes étaient persuadés que le peuple cubain allait se soulever comme un seul homme contre l’affreux tyran qui l’asservit depuis quarante-sept ans (un chiffre constamment réitéré), que des émeutes, voire un soulèvement généralisé allaient s’ensuivre, que le pays allait sombrer dans la guerre civile. Bref, qu’il allait enfin « se passer quelque chose ». Puis, comme il ne s’est rien passé, que donc ce peuple cubain était décidément trop veau de ne pas saisir l’occasion de se débarrasser du « régime communiste » et de s’avancer en marche triomphale vers ce néolibéralisme que les supplétifs appellent précisément de leurs vœux, alors, la presse style moulins à prière a dit : à quoi bon tenter d’aider ce peuple, et elle a cliqué pour fermer le dossier Cuba sur ses ordinateurs.

Il n’y a que les médiocres de là-bas pour croire qu’il puisse être gênant de vivre à l’ombre d’un personnage qui est d’ores et déjà entré dans l’Histoire et que les Cubains n’ont qu’une seule envie : être présidés par un Aznar, un Berlusconi, un Blair ou un Chirac (ou demain par quelqu’un au nom de syndrome médical), pis encore par un Bush, j’en passe, bref par un de ces nains qui ne cessent de voir le jour sous ces « régimes » ! Un cas exemplaire d’auto-intoxication...

En fait, on a revécu un peu le scénario de janvier-février 1990 quand on a vu soudain débarquer ici des meutes de journalistes et reporters et opérateurs tout d’un coup intéressés par Cuba : ces messieurs-dames avaient été dépêchés par leurs employeurs pour assister aux premières loges à l’effondrement - enfin ! - du « castrisme » (je te rappelle que celui de Ceaucescu, avec battage médiatique truqué à la clef, datait de décembre 1989). Et puis, comme « il ne s’est rien passé », que le « castrisme » est toujours vivant, et bien vivant seize ans après, les employeurs ont rappelé leurs troupes rentrées tristement à domicile sans le moindre papier intéressant à se mettre sous les rotatives...

Parce qu’au fond, cette presse de l’impensée unique ne s’intéresse qu’aux catastrophes, comme les charognards à la chair en décomposition ! Aborder la Révolution cubaine dans son quotidien, se pencher sur le petit peuple qui la soutient (et non aux supplétifs qui émargent grassement à la Maison-Blanche), analyser le « phénomène » d’un peuple et d’une Révolution qui résistent au déferlement du néo-libéralisme et de la civilisation du fric et de la « réussite » avant tout, qui inventent de nouveaux chemins de coexistence et de rapport entre les peuples et les gouvernements, qui écrivent au jour le jour une nouvelle manière d’envisager la société et le politique, quel intérêt cela peut-il bien avoir ! Lire - je ne dis même pas : analyser - les idées d’un révolutionnaire d’une stature historique constamment en marge des sentiers battus et des clichés éculés, d’un homme qui, contrairement à tant d’autres (mais sans doute est-ce pour cela, entre autres raisons, qu’il suscite des haines si irraisonnées), a maintenu intactes ses convictions de toujours, refuse - et son peuple avec lui - de sacrifier sur l’autel d’une conception de la société qui exclurait à jamais à titre d’utopie la justice sociale et l’égalité, où il y aurait forcément des gueux et des millionnaires, parce que ce serait censément écrit de toute éternité, à quoi bon ? Pourquoi perdre son temps à ça ?

Et c’est justement parce que les médias de l’impensée unique et les classes politiciennes avec elles ne font jamais cet effort-là (et j’y vois d’ailleurs un fort relent de colonialisme mental : qu’est-ce que c’est que cette île des Caraïbes qui se mêle de nous faire la leçon et de nous faire croire qu’il y a d’autres moyens de vivre en société et de concevoir le politique, qui vient nous narguer du fond de sa pauvreté en dépêchant, par exemple, des dizaines de milliers de médecins sauver des vies là où personne ne va jamais, alors que, de tout temps, on le sait, les îles antillaises n’ont été bonnes qu’à produire des plages où bronzer idiot, des mulâtresses de feu et d’autres choses exotiques de ce genre, nous donner des leçons à nous qui avons inventé la théorie de Montesquieu et la manière définitive d’organiser à jamais le pouvoir) qu’ils tombent toujours à faux. Et ne comprennent jamais rien à cette Révolution cubaine.

Les derniers événements cubains n’ont pas fait d’ailleurs que la preuve de l’indigence intellectuelle, voire de la stupidité tout court, des faiseurs d’opinion (médias et politicards confondus) en Occident, avec leur vision trotte-menu de la réalité de l’île, leur carence d’analyse un tant soit peu sérieuse de la société cubaine, de l’organisation de son pouvoir, de la pensée réelle de ceux qui travaillent et bâtissent au jour le jour un édifice sans doute guère ressemblant à ceux des autres rues du monde mais valant quand même la peine d’une visite sérieuse. Non, ils ont aussi fait la preuve de la médiocrité morale de ces messieurs qui n’ont d’yeux que pour leur nombril.

Et là, alors oui, Danielle, Dieu qu’ils sont petits ! Et bas ! Tiens, tu vois, il y a une France après laquelle je languis : celle du « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ». Autrement dit, celle du panache face à l’adversaire. Mais à l’heure où, sans que la fameuse « communauté internationale », autrement dit les quelques grandes puissances ayant droit à la parole et à l’action, s’en émeuve plus que d’une guigne, l’on massacre des enfants par bombes dites intelligentes larguées depuis des avions volant à dix mètres d’altitude ou lancées depuis des canons placés à des dizaine de kilomètres, sans le moindre remords de conscience (bah, ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment), comment demander un zeste de décence dans le combat ? Quand tu constates que la seule réaction à ce jour de l’Union européenne à l’opération de Fidel a été celle d’un porte-parole de je ne sais plus quelle instance de pouvoir (il y en a tant qu’on s’y perd) qui, dans un style berlusconien (pour ne pas dire : à la Pepone), a souhaité un prompt rétablissement « à Castro et à la démocratie », tu te dis que la classe politique est vraiment, comme chantait Brassens, « tombée bien bas bien bas »... Tu me diras : c’est un Italien. Oui, mais les réactions perçues dans un pays qui se vante d’avoir été la mère de la diplomatie dans le monde, dont la langue a été durant longtemps dans ce domaine véhiculaire, ne volent guère plus haut. Au règne de la médiocratie, où la noblesse pourrait-elle fleurir ? Sur ce fumier-là, ne pousse que l’inélégance.

La grandeur, la noblesse, elle est du côté de ceux qui, comme Fidel se batte pour la justice sociale et un monde un peu mieux partagé en vie et en bien-être. Et, derrière lui, et avec lui, et devant lui, le peuple cubain qui a de la dignité à revendre aux médiocres de là-bas et sans qui cette Révolution n’aura jamais pu tenir debout si longtemps face à d’aussi terribles menaces. Un peuple et un « régime » dont les valeurs politiques et sociales sont incompréhensibles pour les cerveaux ratatinés de là-bas, mais se croyant pourtant au premier rang de la « modernité ».

Non, Danielle, un politicard de parti et un journal payé par un marchand de canons ou de bière ne pourront jamais rien comprendre aux idées politiques et sociales de Fidel, non seulement pour la bonne raison qu’ils ne les connaissent pas, qu’ils ne savent de Cuba et de son peuple et de sa Révolution que les clichés « langue de bois » qu’on leur serine à longueur de journée et de vie (ce qui ne les empêchent pas, bien entendu, de donner leur opinion urbi et orbi), mais aussi parce que, compte tenu des fameuses « miasmes morbides » où ils ne cessent d’évoluer, l’air pur - autrement dit les valeurs politiques, morales et sociales sous-tendant la Révolution cubaine (qui sont celles avant tout de Fidel) - leur serait irrespirable !

Laisse donc tes politiciens et journalistes patauger dans la fange. Ils n’ont après tout que le terrain qu’ils méritent. Mais garde-toi bien de leurs éclaboussures, parce qu’ils s’agitent beaucoup.

Le panache, ce mot si français qu’il en est intraduisible, a émigré ici, à Cuba. Et Fidel le porte au plus haut ! Comme le font les géants.

Jacques-François Bonaldi (La Havane)
jadorise@ifrance.com

Messages

  • les participants de ce site ignorent "la philippique" à laquelle tu réponds... Il est vrai que devant le tombereau d’ignominies, de malveillances et de contre-vérités qui se déversent à la télévision, à la radio, dans la presse contre Fidel Castro et Cuba, parfois j’ai envie de hurler... D’aller vous rejoindre à Cuba...
    Le plus insupportable à mes yeux est cet art d’affirmer d’un ton sentencieux des "vérités" que l’on croît établies parce que chacun les répète... Imagine la situation, c’est la presse, la télévision, mais ce sont aussi les amis avec qui tu passes une soirée qui en toute innocence, en se coyant de gauche, voire communistes, exprimant une opinion qu’ils jugent "nuancée" du type "certes à Cuba a le droit de se défendre, mais il faudrait de la démocratie", et tu t’aperçois qu’ils ignorent tout des institutions cubaines, du géant qu’est Fidel Castro, pour eux c’est un espèce de croquemitaine, un pantin sénile... Il faut refaire le terrain, à chacune de leur phrase dire "mais non c’est faux !" Ils ignorent la réalité du blocus, le combat quotidien des Cubains...
    Et je pense à vous tous...
    Ils savent pourtant la manière dont ces médias peuvent mentir, rien n’y fait... Il faut sans cesse recommencer... Et puis cette manie typiquement française d’avoir une opinion sur tout et en particulier sur ce qu’on ignore totalement... Cela tranche tellement sur la politesse des Cubains, leur capacité d’écoute... Leur niveau politique et culturel...
    La nouvelle rumeur est que les Cubains ne connaissent pas Raoul Castro... Celui-ci serait parvenu au pouvoir parce qu’il est le frère de Fidel... L’éternel Alexandre Adler vient même de pondre un article dans lequel il explique que Raoul Castro appartient à un groupe de militaires qui sont restés soviétiques et qui veulent se séparer de ce tiers monde populiste représenté par Chavez pour rejoindre le camp occidental et que donc il vont faire l’alliance avec les Etats-Unis...
    Voilà le délire dans lequel nous sommes plongés...
    Je suis à vos côtés....
    Danielle Bleitrach

  • IL Y A...

    Il y a dans le peuple de France, dans les peuples d’Europe, dans les peuples du Monde, beaucoup de Fidel (s) !
    Il y a dans ces peuples de la grandeur, de la noblesse, du dévouement, du courage... à vivre dans les conditions où on les fait vivre.
    Cuba est partout !
    Ici, en Europe, dans le Monde entier !

    Parce que la lutte pour la liberté et la justice sont le propre de l’humanité !
    Solidarité avec Cuba, oui !
    Mais précisément pour çà, il faut se battre ici pour transformer (notre) monde !

    NOSE DE CHAMPAGNE