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Enseignants stagiaires : "dire que je viens d’en prendre pour 40 ans !"
Publie le samedi 9 octobre 2010 par Open-Publishing3 commentaires
de Guillaume L.
En septembre, les enseignants stagiaires qui ont réussi leur concours en juin ont effectué leur première rentrée. Un mois après, ils font part de leur malaise face au manque d’encadrement et de formation.
* "Je mets en moyenne quatre heures pour monter un cours d’une heure", par Lilas F.
J’aimerais bien vous faire partager mon expérience, malgré tout enrichissante, durant ce premier mois de travail, mais je n’en ai pas le temps. Je dois monter dix-sept heures de cours par semaine et lorsque l’on n’a pas été formé pour faire cela, c’est une affaire laborieuse.
Je mets en moyenne quatre heures pour monter un cours d’une heure. Calculez : sachant que j’ai deux niveaux de classe, cela fait environ 30 heures de préparation de cours auxquelles s’ajoutent les 17 heures de cours hebdomadaires, soit un total approximatif de 50 heures consacrées à mon travail par semaine (sans compter tout ce qui est du ressort de la recherche de matériel, de la communication avec les membres de l’équipe éducative, et puis la correction des copies qui peut être longue surtout quand on ne sait pas créer un barème).
En plus de cela, étant domiciliée à Melun, je dois suivre des cours de formation un jour par semaine à l’IUFM de Saint-Denis, qui me coûtent – car ils ne sont pas toujours très utiles – douze heures supplémentaires de mon temps. Comble de l’absurde : la semaine dernière, ces cours de formation se déroulaient sur trois jours, dont deux pendant lesquels je suis normalement en classe.
Heureusement, c’est un beau métier et quand ça se passe bien en classe, la sensation du travail bien accompli que l’on éprouve n’a pas de prix.
* "La prise de fonction est beaucoup plus difficile que ce qu’on nous avait fait croire", par Anonyme
Actuellement en ZEP dans la région nord-parisienne, j’ai appris mon affectation directe en école élémentaire, ainsi que le niveau de ma classe, seulement trois jours avant la rentrée. Deux réunions peu préparées à l’inspection de circonscription nous ont donné "les armes" a priori suffisantes pour nous lancer. Autant vous dire que nous avons été jetés dans une véritable fosse aux lions : des niveaux scolaires extrêmement différents dans ma classe, conjugués à une équipe pédagogique remodelée à maintes reprises et donc très individualiste. Ajoutons à cela un nouveau directeur devant prendre en charge 17 classes. Tout cela fait que la prise de fonction est beaucoup plus difficile que ce qu’on nous avait fait croire.
Ma formatrice est venue me voir au bout de trois semaines et demie, pour me donner une longue série d’objectifs théoriques dans le but de faire de moi le parfait professeur des écoles. Il n’en fallait pas plus pour m’enfoncer et me faire sentir incapable.
Au-delà de la détresse de certains de mes collègues qui sont dans la même situation que moi, je ne comprends toujours pas comment des élèves en difficulté, dans une école avec si peu de moyens, peuvent se sortir de cet échec programmé. Est-ce cela la République ? Est-ce ainsi que les institutions favorisent l’égalité des chances ?
* "Une rentrée mi-figue mi-raisin", par Violaine J.
Mi-figue parce que ça y est, je l’ai fait ! Je suis entrée dans "ma" classe, je me suis installée derrière "mon" bureau, j’ai donné un cours à des élèves et j’ai adoré ça ! Enfin, après toutes ces années à galérer pour obtenir le concours, j’ai accompli mon rêve. Par chance, j’ai deux classes très agréables et je me suis sentie à l’aise face aux élèves.
Mais aussi mi-raisin. Après un mois de cours, je n’ai toujours pas de tuteur. Pas évident pour une jeune prof de savoir où sont ses défauts et ses qualités. On m’a annoncé qu’un inspecteur pédagogique régional deviendrait à l’occasion mon tuteur en venant assister à certains de mes cours. C’est bien, je vais avoir un regard objectif sur mon travail. Mais quid de la relation privilégiée que l’on peut avoir avec un tuteur qui nous suit et nous voit progresser ?
Je n’ai aucun contact avec l’inspecteur en dehors de cette visite dans ma classe, alors comment et à qui poser mes questions ? Elles sont nombreuses et jusqu’à présent j’ai dû y répondre seule. Comment faire si je panique ? Si je perds pied ? Pis, comment vais-je faire lorsqu’à la rentrée de la Toussaint, j’aurai deux classes supplémentaires ?
En réalité, je ne m’en sens pas capable. Ereintée par le travail que je fournis déjà, dans quel état serai-je lorsque mon temps de travail aura doublé ? Réponse à Noël, si je ne me suis pas écroulée avant.
* "Je passe mon temps à m’organiser pour gérer 160 gamins", par Anonyme
Commencer ma carrière de professeur par un appel à la considération et une protestation n’est pas pour me plaire, mais reste qu’après ce premier mois, il faut bien pointer du doigt de sérieux problèmes. En charge de près de 160 enfants que je vois trois fois par semaine, il me faut comprendre très vite tout un ensemble très disparate de repères qui mènent tous au même but : comment faire pour créer dans la classe une ambiance de travail dynamique ?
Et ça, c’est terriblement compliqué. Ça passe par la maîtrise des "armes" de dissuasion, mais surtout par l’adaptation à son public. Et cette question d’adaptation est celle qui devrait prendre l’essentiel de mon temps : le temps de réfléchir aux notions que je dois développer, les techniques à mettre en œuvre pour que mes élèves apprennent sans trop de fastidieux les repères méthodologiques pour se construire. Et ça, je ne peux pas.
Je passe mon temps à tenter de comprendre comment m’organiser pour gérer 160 gamins qui font tout pour passer à travers les mailles du filet, corriger ces 160 copies toutes les trois semaines, gérer des comportements qui dépassent mes capacités – des diagnostiqués handicapés mentaux, des illettrés, des violents. Au bout d’un mois, le bilan est très sombre. L’année dernière, les stagiaires avaient six heures de cours et le reste pour réfléchir et s’adapter, aujourd’hui j’ai juste le temps de m’épuiser devant eux. Mais plus de réfléchir.
* "C’est face à mes élèves que je ressens le manque de formation",
Au bout d’un mois de cours, ma situation est relativement bonne. Mes relations avec les élèves sont globalement intéressantes, au vu du dynamisme de la plupart de mes classes. Ma tutrice est présente mais son attitude se résume à des conseils pratiques nécessaires, mais pourtant loin d’être suffisants. Ces premières semaines confirment ma passion pour ce métier. Mais ce qui me frappe le plus, c’est l’écart énorme entre les exigences requises pour l’obtention du Capes et la réalité du terrain.
Une de mes premières impressions a été les écarts de niveau entre les élèves, qui peuvent être énormes. Or, en six années de formation à l’université (cinq années jusqu’au master, puis une année de préparation au Capes), pas une seule heure n’a été consacrée à ce sujet dans ma formation. De plus, des compétences en matière de relations humaines sont indispensables à la transmission de la connaissance (dosage entre l’autorité et la pédagogie, gestion de la sanction). Pourtant, pas une seule heure de formation à ce sujet.
Enfin, et c’est peut-être le plus grave, rien ne m’a été dit sur la manière d’évaluer les élèves, alors même que c’est un sujet en débat. Ainsi, au-delà de ma fatigue – réelle –, je suis dans l’obligation de constater que les premières victimes de cette réforme sont bien les élèves, et notamment ceux ayant le plus de difficultés scolaires. C’est peut être face à eux que je ressens le plus mon manque de formation.
* "Dire que je viens d’en prendre pour quarante ans !", par Cédric
Me voilà nommé dans une école rurale, avec un double niveau. Jusque-là tout va bien : je suis loin des clichés sur les jeunes profs envoyés en ZEP et dans les cités. Je découvre des élèves charmants, bons mais plutôt prétentieux. Et très vite je découvre la présence envahissante des parents, qui se montrent fort désagréables et considèrent que puisque je suis jeune, je suis mauvais.
J’ai une tutrice sympathique qui m’aide à faire face à cet aspect du métier, que je ne connaissais pas : des enfants-rois qui ont tout et à qui tout est dû, et des parents qui leur donnent raison quoi qu’il arrive. De plus, ma tutrice n’a pas encore reçu de formation. Pour l’instant, elle me dit surtout ce qu’elle veut que je fasse et me laisse très peu de liberté. Finalement, je me demande déjà si la ZEP, avec ses enfants en difficulté ou livrés à eux-mêmes, n’est pas plus riche pour l’enseignement. Et dire que je viens d’en prendre pour quarante ans !
* "Je n’ai pas assez de temps pour préparer correctement mes cours", par Marina
J’ai 31 ans et j’ai travaillé sept ans dans l’insertion professionnelle avant de me réorienter dans l’enseignement. J’aime mon nouveau métier même si les conditions d’entrée sont particulièrement difficiles. Je suis affectée dans un lycée à 100 km de chez moi. Je dois assurer 18 heures de cours par semaine et suivre également des formations. Je n’ai pas assez de temps pour préparer correctement tous mes cours, TD, TP, évaluations...
Mon tuteur me laisse me débrouiller, il n’est pas du tout disponible et ne souhaitait pas suivre de stagiaire cette année. Le bilan que je tire de ce premier mois de cours ? Eh bien, j’ai déjà perdu 5 kg car je n’ai même plus le temps de manger correctement. Je vais essayer de tenir le rythme infernal imposé à tous les professeurs stagiaires 2010-2011 dans le cadre de la réforme de la formation des nouveaux enseignants.
* "Jamais on ne m’avait déshumanisée à ce point", par A. B.
Après un mois de cours, je m’aperçois que finalement le pire, quand on est professeur, ce ne sont pas les élèves (difficiles, certes, mais ça on le savait déjà). Le pire, c’est l’administration : chefs d’établissement et services du rectorat confondus. Je ne me suis jamais sentie aussi peu respectée qu’en ce moment. Jamais on ne m’avait déshumanisée à ce point.
Tout d’abord, j’ai connu mon établissement d’affectation le 27 août, pour une pré-rentrée le 1er septembre. Pendant un mois, j’ai fonctionné en "sous-service", c’est-à-dire que je ne faisais pas le temps plein exigé par la loi, car l’établissement dans lequel on m’a affectée n’avait pas assez d’heures à me donner. Et puis le proviseur adjoint me convoque dans son bureau : il a trois heures de plus à me faire faire. La collègue à qui je les prends sera avertie quelques jours plus tard par un vulgaire arrêté du rectorat déposé dans son casier. Personne n’a pris la peine de lui annoncer de vive voix.
La loi dit que je dois 16 heures, alors il faut que je fasse 16 heures. La loi dit aussi que je ne dois avoir, dans la mesure du possible, que 2 niveaux différents, alors que j’en ai quatre. Cette logique-là, seule l’administration peut la comprendre. Une administration qui pense avant tout "budget et économies", qui s’appuie sur la loi lorsque celle-ci joue en sa faveur et qui ne prend jamais en compte l’humain, c’est-à-dire les professeurs, mais aussi les élèves.
* "Je me sens débordée", par Anonyme
Je suis professeur stagiaire de français en collège. Je ne suis pas dans la pire situation : l’administration de mon collège est soudée et compétente, mes collègues m’aident, j’ai un tuteur. Pourtant, mon bilan est mitigé.
Je me sens débordée. J’ai beaucoup de mal à construire certains cours, je passe des heures à les préparer. La discipline m’a donné beaucoup de fil à retordre en début d’année (et elle m’en donne toujours), surtout avec une de mes classes, et j’ai donc pris énormément de retard. Mon tuteur m’aide, il me donne des conseils, mais il n’est pas dans mon collège : il nous faut donc communiquer par mail (mais il n’aime pas les mails) ou par téléphone (mais cela n’est pas toujours pratique), car nos emplois du temps sont peu compatibles.
Je tâtonne beaucoup. J’ai essayé des choses que j’ai ensuite abandonnées car elles ne fonctionnaient pas, mais les élèves ont besoin de rigueur et de clarté. La discipline reste toujours un problème et je ne parviens pas toujours à faire cours dans le calme. Je perds beaucoup de temps à écrire des mots dans les carnets, donner des colles, et ce n’est pas toujours efficace.
Je n’ai pas passé, depuis le 25 août, une seule journée sans travailler, week-end compris. Je dors mal, j’ai déjà été arrêtée une journée pour maladie, la fatigue se fait sérieusement sentir. J’ai peur de ne pas arriver à tenir le rythme toute l’année.
Messages
1. Enseignants stagiaires : "dire que je viens d’en prendre pour 40 ans !", 9 octobre 2010, 12:21
Non pas 40 ans, bientot 42 ans voire plus.
2. Enseignants stagiaires : "dire que je viens d’en prendre pour 40 ans !", 9 octobre 2010, 17:07, par école privatisée
Non pas 40 ans, mais 42 ans voire plus d’accord... Et pas en tant que FONCTIONNAIRE, mais précarisé, déplaçable à l’envie, soumis au harcèlement hiérarchique, sous contrat d’objectif et avec des heures à gogo... Le tout dans l’ordre et le silence s’il vous plaît !
3. Enseignants stagiaires : "dire que je viens d’en prendre pour 40 ans !", 10 octobre 2010, 09:35, par Ciapa Rusa
J’ai la "chance" d’être en retraite (avec quand même une décote de 2%) mais il y a près de 40 ans en 1968 (ça ne s’invente pas) j’entre en classe à l’Ecole Normale (de Garçons). Mes études seront prises en charge intégralement mais je signe un contrat décennal me liant à l’Etat. En cas d’échec au baccalauréat, mes parents devront rembourser le coût total de cette prise en charge...
Nous suivons les cours du programme de Seconde , Première puis Terminale et le couperet de suppression de nos classes (malgré un long mouvement de grève) tombe après chaque passage au niveau supérieur... Nous sommes alors la dernière promotion à bénéficier d’études de bon niveau avec un taux de réussite quasi total !!!... Déjà le début de la fin ???...
Bref, une fois le bac en poche, formation intensive (au passage nous sommes rémunérés et cotisons déjà comme tout le monde) : en première année, nombreux stages d’observation en classe , formation théorique de haut niveau (professeurs "spécifiques" formés eux aussi pour ce type d’enseignement) puis en seconde année : stage en situation d’un trimestre où l’on démarre la classe avec l’aide du titulaire avant de se retrouver "seul" aux commandes avec une ou deux visites de professeurs ou de "maîtres d’application" par semaine. Passation en fin de cette année-là du CFEN (Certificat de Fin d’Etudes Normales). Nomination et passation du C.A.P. d’instituteur... Passons sur les nombreuses "réformes" en tous genres qui ont vu la formation des enseignants se réduire inexorablement en peau de chagrin... mais qui s’en soucie au gouverne-ment ?... Reste qu’il semble qu’on vive une période formidable qui permet d’acquérir une formation sensée être équivalente non plus en DEUX ANS mais bien en DEUX JOURS (et encore)... C’est proprement SCANDALEUX et absolument sans égard pour l’avenir de nos enfants et tout aussi méprisant pour les éducateurs que sont parents et enseignants... Mais devinez donc à qui profite ce crime et pourquoi essaie-t-on de dévoyer les enseignants "nouveaux" retraités pour aider à briser les grèves plutôt que, par exemple, leur demander de venir aider et conseiller nos camarades plus jeunes ??? ???...