Accueil > Entretien avec Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT
Entretien avec Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT
Publie le samedi 19 juin 2004 par Open-PublishingComment s’est passé votre entretien avec Jean-Pierre Raffarin, jeudi 17 juin ?
Je lui ai remis la pétition nationale sur l’avenir de l’assurance-maladie, qui a recueilli 773 873 signatures. Il n’en maintient pas moins son cap. Celui d’une gestion comptable des dépenses de santé par des mesures inéquitables. Il a souhaité aussi aborder la réforme du statut d’EDF et de GDF. Nous avons là deux sujets de désaccord profond.
En difficulté sur EDF, isolée sur l’assurance-maladie, la CGT perd-elle de son influence ?
Si l’influence d’un syndicat se mesure au volume de commentaires qu’il suscite, alors nous avons la médaille d’or. Cela dit, nous sommes conscients que l’absence d’unité entre organisations permet au gouvernement de faire avancer ses réformes, même si elles sont impopulaires. C’est vrai pour la sécurité sociale, ça l’est moins pour EDF-GDF où le rapport de forces est plus favorable. Parvenir à l’unité, dans un pays faiblement syndiqué, exige de confronter les stratégies syndicales. Sur la sécurité sociale, beaucoup privilégient des démarches solitaires.
Que répondez-vous à la CFDT qui souligne votre isolement ?
Je n’ai vraiment pas le sentiment d’être seul. François Chérèque sait pertinemment que ce n’est pas la réalité. Ce n’est pas de notre fait si la CFDT a eu besoin de trois semaines pour répondre à notre proposition de mobilisation au début du mois de juin. Il ne faut pas renvoyer sur les autres ses problèmes internes. Nous sommes en phase avec une large partie de l’opinion qui juge cette réforme injuste et inefficace. S’il s’en donnait les moyens, le syndicalisme français pourrait intervenir avec plus d’efficacité face à un gouvernement très affaibli après les élections régionales et européennes.
Etes-vous prêt à soutenir le plan préparé par Jean-Louis Borloo sur la cohésion sociale ?
Manifestement, M. Borloo éprouve les plus grandes difficultés à obtenir les moyens de son action. On attend de savoir plus précisément quel sera le contenu de ce plan. Nous soutiendrons tout ce qui permettra d’agir contre les inégalités et les exclusions. Mais, dans le même temps, le plan gouvernemental concernant la Sécurité sociale va amplifier les inégalités dans l’accès aux soins. La contradiction entre l’affichage, le discours et les actes est la marque de ce gouvernement. Elle fait l’objet d’un rejet de plus en plus large. L’opinion publique n’est pas sotte.
Sur EDF, la CGT négocie au niveau confédéral alors que la base rejette toute réforme. Comment conciliez-vous ces deux attitudes ?
Nous sommes cohérents alors que nos interlocuteurs le sont de moins en moins. Les arguments gouvernementaux en faveur du changement de statut d’EDF et de GDF ne tiennent pas. La SNCF est dans une situation comparable et le premier ministre m’affirme que son changement de statut n’est pas à l’ordre du jour. Parallèlement à la question juridique, le problème de la maîtrise du capital est primordial. Dès lors que des capitaux privés interviennent dans la gestion d’une entreprise publique, les critères de rentabilité financière se substituent à l’intérêt général. Nous sommes opposés à un changement de statut. Le gouvernement agit comme avec les intermittents du spectacle, avec dogmatisme : on décide d’une réforme, on s’aperçoit que l’on a fait des bêtises et on nomme une commission pour s’en sortir.
Soutenez-vous les coupures de courant ?
Il a fallu ces coupures pour qu’on reparle de la loi concernant EDF-GDF. C’est dommage mais c’est un fait. Tant qu’il n’y a pas de perturbation, les problèmes sociaux n’existent pas. Oui, nous assumons, et je peux vous assurer que les agents réfléchissent collectivement à la forme de leurs actions. Aujourd’hui, plus de deux millions de foyers bénéficient du tarif "heures creuses" et plusieurs milliers de foyers modestes ont été rebranchés au réseau. Les agents ne sont pas naïfs au point de ne pas savoir qu’à la moindre occasion le gouvernement serait tenté d’utiliser le bâton.
M. Raffarin a menacé et évoqué des "actions illégales"...
Pas dans la conversation que j’ai eue avec lui. Il a souligné que ceux qui étaient intervenus à son domicile l’avaient fait avec un grand professionnalisme... (Le 16 juin des agents EDF ont démonté le compteur de la maison de M. Raffarin à Chasseneuil-du-Poitou (Vienne ) ) Dans un conflit social, le problème de la légalité ne se pose pas ainsi. Est-il légal qu’une entreprise comme ST Microelectronics, à Rennes, recoure aux forces de l’ordre pour déménager les machines de l’usine qu’elle veut délocaliser, juste avant que le tribunal ne se prononce sur le bien-fondé de cette opération ?
Néanmoins, n’êtes-vous pas débordé ?
Pas dans les entreprises où les salariés votent à 53 % et 56 % pour avoir des élus CGT. Les initiatives des agents sont décidées le plus collectivement possible et les conséquences en sont analysées préalablement. Ce ne sont pas des actions individuelles et irresponsables. Si des individus veulent interférer dans cette mobilisation pour la détourner ou la faire échouer, ils savent que la CGT s’y opposera.
Ce mouvement pose une nouvelle fois la question du service minimum. L’opinion y est favorable. Etes-vous prêt à la suivre ?
Concernant le droit de grève ou les sanctions à l’égard des grévistes, j’ai clairement indiqué que cela ne ferait qu’envenimer la situation. D’autres sujets sont aussi importants : il faut réformer les règles de la représentativité syndicale. Il est anormal que le gouvernement ou les employeurs appliquent des accords signés avec des organisations minoritaires. Il est anormal qu’un gouvernement ne tienne pas compte de la manière dont les Français s’expriment lors des élections ou des manifestations. En ignorant ces formes d’expression démocratiques, on favorise les actions plus radicales.
Propos recueillis par Rémi Barroux
Le texte de cet entretien a été relu et amendé par M. Thibault.