Accueil > Face au démenti de l’Élysée, Le Monde enfonce le clou
Face au démenti de l’Élysée, Le Monde enfonce le clou
Publie le mardi 14 septembre 2010 par Open-Publishingde Emmanuel Berretta
En frappant une seconde fois à la une, Le Monde ne désarme pas face au démenti de l’Élysée concernant les "fuites" de l’affaire Woerth. Le journal "met en doute" la défense qui s’est organisée lundi à travers les explications des services policiers et de contre-espionnage. Le quotidien maintient ses affirmations et déposera plainte pour violation du secret des sources à la suite de la mise au placard d’un haut fonctionnaire du cabinet de Michèle Alliot-Marie, soupçonné d’avoir éventé les P.-V. des auditions d’Éric Woerth dans l’affaire Bettencourt.
La protection du secret des sources journalistiques a été réaffirmée dans la loi Dati de janvier 2010. Le texte législatif, encore nouveau, n’a pas fait l’objet d’une interprétation par la justice. "Ce qui est important pour nous, c’est précisément d’obtenir qu’une jurisprudence soit établie sur la base de cette nouvelle loi, indique Éric Fottorino, directeur du Monde, interrogé par Le Point. De même qu’il est urgent que, dans cette affaire Woerth, un juge d’instruction soit saisi. Notre plainte est aussi une façon d’y arriver par cette voie-là."
Le flou juridique de la loi Dati
Le texte de loi prévoit qu’il ne peut être porté atteinte "directement ou indirectement" au secret des sources sauf à justifier d’un "impératif prépondérant d’intérêt public". Aucun juge n’a encore précisé ce que cette acception floue signifiait exactement. Lors des débats parlementaires, il était plutôt question de lever le secret des sources en cas de danger imminent pour la sûreté des citoyens dans le cadre d’une menace terroriste.
Pour autant, en l’espèce, ce n’est pas le téléphone d’un journaliste du Monde qui a été mis sur écoute. Le contre-espionnage a étudié les relevés téléphoniques d’un haut fonctionnaire, puis en a déduit qu’il était l’un des informateurs du quotidien. Peut-on empêcher l’État de surveiller ses fonctionnaires ? "Si ce n’est pas le texte, c’est du moins l’esprit de la loi Dati qui a été foulée au pied", argumente Éric Fottorino. En tout cas, la procédure utilisée n’est pas conforme au droit. Les services de police affirment avoir consulté une "personnalité qualifiée" désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) avant de procéder à la surveillance téléphonique de ce haut fonctionnaire. Or la CNCI dément.
Éric Fottorino dénonce "une procédure opaque"
"Le Monde ne déclare pas la guerre à Nicolas Sarkozy, rappelle Éric Fottorino. Mais je suis choqué que l’on utilise les services du contre-espionnage pour rendre inactive une supposée source du Monde et venir en aide à un ministre. Dans une procédure opaque, la présidence instrumentalise le contre-espionnage à des fins politiques. Il y a là une zone de non-droit dangereuse."
Pour mémoire, le 18 juillet, Le Monde révèle le contenu de l’audition de Patrice de Maistre devant les policiers. Il affirme qu’Éric Woerth lui a demandé de recevoir sa femme pour la "conseiller sur sa carrière". L’enquête de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) est déclenchée peu après afin de découvrir qui a renseigné Le Monde. Pour Éric Fottorino, les révélations du Monde ont profondément irrité Nicolas Sarkozy, lequel était désireux qu’Éric Woerth puisse être entendu par la police le 29 juillet dans un climat apaisé. Il fallait donc faire cesser les fuites qui viendraient remettre en cause sa version de l’affaire Bettencourt.