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Fourniret a braqué le butin des postiches

Publie le dimanche 25 juillet 2004 par Open-Publishing

« Libération » a remonté la piste du trésor du tueur en série : lingots et pièces d’or ont été volés, via des codétenus complices, au fameux gang.

Par Patricia TOURANCHEAU

Il était une fois un magot en or, volé plusieurs fois à des bandits de grand chemin, puis tombé entre les sales mains de Michel Fourniret. Le tueur en série fit ainsi fortune et acheta même un château. Il a été question à tort du butin du groupe terroriste Action directe (AD) ou du produit des braquages d’un Breton d’extrême gauche, Jean-Pierre Hellegouarch.

Le « serial killer » a avoué avoir volé en 1988 « une cinquantaine de kilos d’or » enterrés dans un cimetière en région parisienne et tué la compagne d’Hellegouarch, son ancien codétenu, qui lui avait demandé de les transporter dans une nouvelle cachette. Interrogé il y a deux semaines, Hellegouarch a déclaré, lui, que ce « stock d’or » appartenait à un taulard italien qui, en voie d’extradition, voulait « sortir absolument son stock d’or de sa cachette ».

Nous avons retrouvé le nom de cet Italien, alors incarcéré à Fleury-Mérogis : Gian Luigi Esposito. Et c’est là que son histoire croise celle du gang des Postiches. Car cet Italien s’est fait la belle en hélicoptère de la prison de Rome en compagnie d’un membre du gang et s’est réfugié en banlieue parisienne dans la planque de ces bandits. Nous révélons aujourd’hui que le meurtrier des Ardennes a récupéré, par ricochets et sans le savoir, le « trésor de guerre » du gang des Postiches.

Des millions disparaissent d’un cimetière

Ces pilleurs de banques aux airs de Robin des Bois, qui ont dévalisé les coffres clients dans les beaux quartiers de Paris, Neuilly, Passy dans les années 80, ont en effet enfoui, une nuit de décembre 1986, « 34 lingots et des milliers de pièces d’or à côté d’une tombe, dans un petit cimetière tranquille de la région parisienne », selon Robert Marguery, ancien Postiche devenu mystique en Thaïlande. « Ils étaient quatre pour l’enterrer. Moi, j’étais déjà au ballon (en prison, ndlr) quand ça s’est passé. Après, feu mon coéquipier Jean-Claude Myszka a voulu me donner l’endroit de la cachette : "Je te dis où est planqué le trésor au cas où tu sortirais avant moi." J’avais la tête ailleurs, je pensais prendre perpète, j’ai jamais voulu savoir l’endroit exact. C’est un peu lugubre. Moi, j’irais pas mettre mes lingots dans un cimetière. » Ses copains Postiches pensaient que les flics ne dénicheraient jamais leur magot dans un lieu pareil. Le hic, c’est que d’autres l’ont débusqué.

A sa sortie de prison, en 1999, Jean-Claude Myszka, qui n’a pas passé un jour depuis treize ans sans penser à son « trésor », n’a plus rien retrouvé dans la tombe d’Ali Baba. Il a pioché, fouillé, creusé, en vain. Plus le moindre « jaunet ». Et impossible de déposer plainte. « 600 à 800 millions d’or ont disparu de la tombe de ce cimetière, ça c’est sûr », rapporte son confident Marguery. Fini, les années d’or. Pauvre et désespéré, RMiste chez sa mère à Aubervilliers, Myszka, qui fut plein aux as, dégringole, obsédé par la perte de son or. Un fossoyeur ou un jardinier serait-il tombé « par hasard » sur le magot ? Pire, l’un des trois autres qui partageaient le secret a-t-il trahi ? Myszka se met alors à douter des deux Postiches, comme de « l’évadé italien », Gian Luigi Esposito, qui l’accompagnaient lors de l’enfouissement de l’or.

Ils étaient quatre planqués dans un pavillon à Yerres (Essonne). Au bout du 27e braquage en cinq ans, des milliers de coffres ouverts au marteau et au burin, ces gangsters de Belleville et de Montreuil qui se déguisaient en bourgeois loden et cachemire, costumes griffés, chapeaux british , avec perruques et fausses moustaches, ont chuté le 14 janvier 1986 à la sortie du Crédit Lyonnais de la rue du Docteur-Blanche à Paris (XVIe). Une fusillade avec la police a tué un gangster et un inspecteur. Marguery a été coffré. Les trois rescapés des Postiches franchissent les Alpes à skis. Ils passent une retraite paisible à Rome. Mais l’un d’eux, André Bellaiche, est interpellé par les carabiniers le 5 août 1986 pour une infraction routière et emprisonné à Rebibbia avec les mafiosi, les Brigades rouges et les chemises noires.

Le fidèle Myszka et un second pilier du gang volent à son secours avec un hélicoptère de la Croix-Rouge. Le 23 novembre 1986, André Bellaiche, anar sur les bords, s’évade de la cour de promenade avec un codétenu : Gian Luigi Esposito, braqueur lié à l’extrême droite italienne. Les quatre fugitifs rentrent en France à bord d’une « Lancia couleur or » et se terrent en banlieue parisienne. La police débusque l’adresse 28, rue des Pins à Yerres (Essonne) et surveille la villa. Les enquêteurs identifient quatre hommes qui sortent du pavillon, le 11 décembre 1986 à 13 h 10, et montent dans la voiture : Gian Luigi Esposito, écharpe rayée jaune et noir, au volant, et Jean-Claude Myszka sur le siège passager ; André Bellaiche et Patrick Geay, autre Postiche, sapés comme des princes, à l’arrière. Ils filent à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), puis roulent vers Paris. Les policiers « stoppent la filature par mesure de discrétion ». Les suspects reviennent à Yerres à 22 h 35. C’est probablement ce soir-là que les bandits transportent le « trésor » exhumé de leurs cachettes, pour l’enterrer sur la tombe d’un inconnu dans un cimetière champêtre.

Le Raid interpelle les quatre bandits le 13 décembre 1986. La brigade criminelle rafle alors dans les murs de la maison, trouée comme un gruyère par Myszka, plus de 6 000 pièces d’or et des kilos de bijoux. Mais aucun lingot !

La trahison d’un mystérieux « Italien »

Pendant ce temps, à Fleury-Mérogis, Jean-Pierre Hellegouarch, emprisonné pour trafic de drogue et vol à main armée, partage sa cellule avec un certain Michel Fourniret, un « pointeur » qui a violé des adolescentes. De 1984 à 1987, les deux taulards ont eu le temps de se lier d’amitié. Fourniret sort le premier, en octobre 1987, laisse son adresse de Saint-Cyr-les-Colons dans l’Yonne à son codétenu, continue à lui écrire et à « l’assister ». Puis Hellegouarch découvre un bon filon « en mars 1988 », selon ses déclarations récentes à la police judiciaire de Versailles : « Je rencontre à Fleury un Italien recherché en Italie pour une évasion en hélicoptère de la prison de Rébia (sic) appartenant à un mouvement d’extrême droite et qui dispose d’un stock d’or dans un cimetière en région parisienne. » Il précise que cet Italien en voie d’extradition lui demande de « l’aider à sortir l’argent pour le changer de place », moyennant une commission. Sur son procès-verbal, Hellegouarch ne cite jamais le nom de l’Italien. Il ne s’en souvient pas. Les enquêteurs n’insistent pas, persuadés que c’est une invention pour masquer l’origine d’un butin personnel.

Or nous avons démasqué cet Italien qui correspond à la description fournie par Hellegouarch. Des évadés de la prison de Rebibbia en hélicoptère, il n’y en a pas deux. Gian Luigi Esposito a inauguré en 1986 avec André Bellaiche ce type d’évasion baptisée en Italie a la francese et a assisté à l’enfouissement du « trésor » des Postiches. La PJ de Versailles a vérifié cette semaine notre hypothèse : Gian Luigi Esposito a bien été détenu à Fleury-Mérogis du 15 décembre 1986 au 12 avril 1988, en même temps que Jean-Pierre Hellegouarch et Michel Fourniret. Depuis, les enquêteurs essaient de remettre la main sur Esposito et envisagent de réentendre Hellegouarch.

Un trésor exhumé et un corps enterré

D’après sa première audition, Hellegouarch accepte donc, en mars 1988, de donner un coup de main à son codétenu italien, via sa compagne Farida Hamiche et un bon copain sur lequel on peut compter, Fourniret. Au parloir suivant, le Breton informe Farida de la mission à remplir, lui indique le lieu exact de la cachette des lingots, « à l’arrière d’une tombe dans une jardinière en marbre », et lui enjoint de contacter « Michel » dans l’Yonne pour lui demander ce service, en échange « d’une prime de 500 000 francs ou de l’achat d’une ferme ». Voilà donc l’Ardennais et Farida qui partent en équipée dans le fameux cimetière. Ils récupèrent « une cinquantaine de kilos d’or », selon les aveux de Fourniret, puis « transvasent » le lourd fardeau dans l’appartement de Farida et de son concubin (encore incarcéré), à Vitry dans le Val-de-Marne. Fourniret, qui s’y connaît en maçonnerie et en menuiserie, aménage même une cache au-dessus de la porte des WC du couple et enfourne tout le magot à l’intérieur. Dans la quinzaine de jours suivante, Fourniret se ravise et forme un noir dessein.

Selon le procès-verbal de ses aveux, il persuade Farida de venir avec lui pour « chercher des armes à Rambouillet », un prétexte pour l’attirer sur ses terres à Clairefontaine (Yvelines). Il tue Farida, met son corps dans sa voiture et « tourne toute la journée » avant de l’enterrer « à la sortie d’un village des Yvelines, en bas d’une pente », si l’on en croit ses déclarations floues et sujettes à caution. Il n’oublie pas d’aller voler dans la cache qu’il vient de bricoler « la moitié du stock d’or ». Il prétend qu’il a laissé l’autre moitié dans l’appartement d’Hellegouarch à Vitry.

Après la « disparition » de Farida, le 12 avril 1988, le jour de l’extradition d’Esposito, Fourniret compatit à la peine de son ex-compagnon de cellule, participe aux recherches avec la famille et emploie même un détective privé pour retrouver la jeune femme. Libéré le 15 octobre 1988, Hellegouarch ne ramasse dans la cache de sa maison à Vitry que « 200 000 francs en pièces d’or ». Il soupçonne un peu Fourniret du vol du magot et de la mort de Farida. Il s’empresse d’aller le voir dans les Ardennes. Monique et « Michel » le reçoivent dans leur masure à Floing, et lui font le coup de la pauvreté. Le Breton repart, rassuré. Il ne se doute pas que Fourniret a changé les lingots en Belgique, les pièces chez des numismates, pour acheter le château de Sautou à Donchery (Ardennes), plus un appartement à Sedan et une nouvelle camionnette.

Vengeance et « règlements de comptes »

Puis, en 1991, Hellegouarch apprend par hasard l’acquisition du domaine de Sautou à cause d’une petite enquête de la brigade criminelle de Paris sur une histoire de faux papiers. Le château de Fourniret est perquisitionné. Cette adresse figure sur la procédure qui parvient à... Hellegouarch. Furieux d’avoir été « doublé », Hellegouarch fonce demander des comptes à Fourniret, qui s’éclipse en voiture. Hellegouarch tire un coup de feu sur le « traître », menace son épouse Monique Olivier d’une arme placée sur sa tempe. Pour échapper à la possible vengeance d’Hellegouarch, les Fourniret vendent aussitôt le manoir et déménagent en Belgique, à Sart-Custinne.

Selon Monique Fourniret, qui, le 29 juin, a dénoncé son mari à la police belge pour dix crimes, le meurtre de Farida Hamiche s’apparente à un « règlement de comptes » de la part de son époux, afin de « récupérer l’or qu’il était censé partager » avec la compagne d’Hellegouarch.

Du trésor des Postiches, trahis par Esposito qui a utilisé Hellegouarch, lui-même dépouillé par le tueur en série des Ardennes, il ne reste plus que l’équivalent de 25 000 euros en pièces espagnoles, canadiennes, mexicaines et en louis d’or, retrouvés début juillet dans une lessiveuse enterrée par Fourniret en Belgique.

Le Postiche Jean-Claude Myszka est mort à 47 ans le 11 février 2003, désargenté et fou, malade de ce « trésor » perdu qu’il a pisté sans jamais en retrouver la trace.

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