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Gauche plurielle : stop ou encore ?

Publie le jeudi 24 décembre 2009 par Open-Publishing
12 commentaires

Ci-dessous un article éditorial de Daniel Bensaïd "Notes sur l’actualité". La revue Contretemps participe pertinemment aux débats en cours sur la recomposition/reconstruction du mouvement ouvrier et révolutionnaire

Les récentes élections allemandes et portugaises ont confirmé l’émergence, dans plusieurs pays d’Europe, d’une nouvelle gauche radicale. En Allemagne, Die Linke a obtenu 11,9 % des suffrages et 76 députés au Bundestag.

Au Portugal, le Bloc de gauche a atteint 9,85 % et doublé sa représentation parlementaire avec 16 députés. Cette nouvelle gauche a émergé vers la fin des années 1990 avec le renouveau des mouvements sociaux et l’essor du mouvement alter-mondialiste. La nouveauté réside dans sa percée électorale qui ne se limite pas à un ou deux pays mais dessine une tendance européenne (illustrée entre autres par l’Alliance rouge et verte au Danemark, Syriza en Grèce, ou le NPA en France), encore fragile et inégale, en fonction notamment de systèmes électoraux différents.

Ainsi, le NPA et le Front de Gauche ont en France un potentiel cumulé d’environ, 12 % mais aucun élu parlementaire du fait d’un système uninominal à deux tours qui exclut toute représentation proportionnelle et favorise le « vote utile » comme moindre mal.

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, à commencer par l’effondrement ou le recul des partis, sociaux-démocrates ou communistes, qui ont structuré depuis un demi-siècle la gauche traditionnelle. Les partis communistes qui s’étaient identifiés au « camp socialiste » et à l’Union soviétique ont disparu ou ont vu leur base sociale fondre, à l’exception relative de la Grèce et du Portugal. Quant à la social-démocratie, en accompagnant ou en impulsant les politiques libérales dans le cadre des traités européens, elle a activement contribué au démantèlement de l’Etat social dont elle tirait sa légitimité. Sous prétexte de « rénovation », de « troisième voie » ou de « nouveau centre », elle s’est ainsi métamorphosée en formation de centre gauche à l’instar du Parti démocrate italien. Au fur et à mesure que ses liens avec l’électorat populaire s’affaiblissaient, son intégration aux milieux d’affaires se renforçait. Le passage de Schroder au conseil d’administration de Gazprom, ou la promotion de deux« socialistes » français (Dominique Strauss-Kahn et Pascal Lamy) à la tête du FMI et de l’OMC symbolisent cette transformation des hauts dirigeants socialistes en hommes de confiance du grand capital. Championne de « l’économie sociale de marché » et du compromis social, la social-démocratie allemande en a payé le prix, enregistrant, lors des élections du 27 septembre, une perte de dix millions d’électeurs en dix ans.
Alors que cette gauche du centre se distingue de moins en moins de la droite du centre, une nouvelle génération a grandi après la chute du mur de Berlin, et qui n’aura connu que les guerres chaudes impériales, les crises écologiques et sociales, le chômage et la précarité.

Une minorité active de ces jeunes reprend goût à la lutte et à la politique, mais elle reste méfiante envers les jeux électoraux et les compromissions institutionnelles. Refusant un monde immonde sans parvenr à concevoir« l’autre monde » nécessaire, cette radicalité peut prendre des directions diamétralement opposées : celle d’une alternative clairement anticapitaliste, ou bien celle d’un populisme nationaliste et xénophobe (Front national en France, National Front en GrandeBretagne), voire celle d’un nouveau nihilisme. Il est néanmoins encourageant de constater que l’électorat de Die Linke comme celui d’Olivier Besancenot à l’élection présidentielle de 2007 se caractérisent par une composante jeune, précaire, et populaire proportionnellement supérieure à celle des autres partis.

La nouvelle gauche ne constitue pas pour autant un courant homogène rassemblé autour d’un projet stratégique commun. Elle s’inscrit plutôt dans un champ de forces polarisé d’un côté par la résistance et les mouvements sociaux, de l’autre par la tentation de la respectabilité institutionnelle. La question des alliances parlementaires et gouvernementales est déjà, pour elle, une véritable épreuve de vérité. Rifondazione Comunista, qui apparaissait, hier encore, comme le fleuron de cette nouvelle gauche européenne, s’est suicidé en participant au gouvernement Prodi sans empêcher pour autant le retour de Berlusconi. Bien au-delà des tactiques électorales, ces choix sont révélateurs d’une orientation bien résumée par Oskar Lafontaine : « Faire pression pour restaurer l’Etat social. » Il ne s’agit donc pas de construire patiemment une alternative anticapitaliste, mais de « faire pression » sur la social-démocratie pour la sauver de ses démons centristes et la ramenerà une politique réformiste classique dans le cadre.de l’ordre établi. Quant à « restaurer l’Etat social », il faudrait pour cela commencer par rompre avec le pacte de stabilité et le traité de Lisbonne, reconstruire des services publics européens, soumettre la banque centrale européenne à des instances élues ; bref, faire exactement le contraire de ce que les gouvernements de gauche ont fait depuis vingt ans et continuent à faire quand ils sont au pouvoir. La modération de la social-démocratie face à la crise économique et sa déclaration commune lors des dernières élections européennes indiquent que sa soumission aux impératifs du marché n’est guère réversible.

Inversement, au lendemain des élections portugaises, le député coordinateur du Bloc de gauche, Francisco Louça, a rejeté l’appel des sirènes gouvernementales, déclarant clairement que sa formation serait« dans l’opposition » contre les privatisations annoncées, contre le démantèlement des services publics, contre le nouveau code du travail, donc dans l’opposition au gouvernement Socrates. Ce choix est également au coeur des divergences entre le NPA d’Olivier Besancenot, qui refuse toute alliance avec le Parti socialiste dans les exécutifs, et le Parti communiste français clairement engagé dans une perspective de reconstitution de la « gauche plurielle », dont le gouvernement a conduit au désastre de 2002 avec Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle. Ces deux options traversent sans doute la plupart des partis de la nouvelle gauche, et notamment Die Linke dès lors que sa coalition avec le SPD, déjà très contestée dans la municipalité de Berlin, pourrait se généraliser ainsi que semble l’annoncer l’alliance nouée dernièrement dans le land de Brandebourg.

Se dessine ainsi le choix stratégique auquel la nouvelle gauche va se trouver confrontée. Ou bien se contenter d’un rôle de contrepoids ou de pression sur la gauche traditionnelle en privilégiant le champ institutionnel ; ou bien, privilégier les luttes et les mouvements sociaux pour construire patiemment une nouvelle représentation politique des exploités et des opprimés.

Cela n’exclut nullement la recherche de l’unité d’action la plus large avec la gauche traditionnelle contre les privatisations et les délocalisations, pour les services publics et la protection sociale, pour les libertés démocratiques et la solidarité avec les travailleurs immigrés et sans-papiers.

Mais cela exige une rigoureuse indépendance par rapport à une gauche qui gère loyalement les affaires du capital au risque de dégoûter de la politique les nouvelles forces émergentes.

La crise sociale et écologique n’en est qu’à ses débuts. Par delà de possibles reprises ou embellies, le chômage et la précarité continueront à des niveaux très élevés et les effets du changement climatique à s’aggraver. Il ne s’agit pas, en effet, d’une crise comme le capitalisme en a connu périodiquement, mais d’une crise de la démesure d’un système qui prétend quantifier l’inquantifiable et donner une commune mesure à l’incommensurable.

Il est donc probable que nous ne sommes qu’au début d’un séisme dont le paysage politique, de recompositions en redéfinitions, sortira d’ici quelques années bouleversé.

C’est à cela qu’il faut se préparer en refusant de sacrifier l’émergence d’une alternative à moyen terme à des opérations politiciennes et à des gains immédiats hypothétiques qui se traduisent par d’amères désillusions.

Messages

  • quand le NPA et d’autres politiciens seront dans les quartiers populaires, à faire aussi du porte à porte, ça changera peut-être.

    Quand ils seront dans les luttes au quotidien, pas seulement pour les TV....

    Cela demande de l’investissement militant, ce que le PCF faisait en son temps

    Maintenant, ils donnent raison à Debord

    En attendant, ce qui se profile, c’est une abstention massive de la classe ouvrière populaire

    • Ah bon, on n’est pas dans les luttes au quotidien ? De quel piédestal te permets-tu des affirmations pareilles ? J’ai fait lire ton commentaire à mes proches, qui me reprochent souvent de consacrer trop de temps au militantisme au quotidien, ils ont bien rigolé. Moi tu me fous plutôt les boules... La Poste, les sans-papiers, la défense des petits hôpitaux, la lutte contre la précarité dans la grande distribution (quelques unes des causes auxquelles j’ai consacré pas mal de temps ces derniers mois, comme la plupart de mes camarades du NPA), ce n’est pas de la lutte au quotidien pour toi ? Vraiment, des commentaires comme ça...

      Chico

    • Tout à fait d accord !le npa est présent dans les luttes des salariés :poste ,hopitaux,mollex , continental ,cheminots et surtout défend la perspective d un mouvement d ensemble des salariés , alternatif à ce que proposent chereque et thibautj( que mg buffet s abstient de critiquer...au npm de l independance syndicale !!!!!)Le npa est aussi present sur des terrains ou le poi ou lo sont totalement absents:lutte antinucleaire, feminisme et droits des femmes,tout cela est facile à verifier ! Quand à la presence sur le terrain et pas seulement à la tele il est dommage que buffet ,melenchon et d autres ne soient pas venus devant l assemblée nationale contre la loi de privatisation de la poste :seuls olivier et a coupe étaient presents avec des militants de sud !!!

    • je ne voulais pas insulter les trop rares camarades qui se dévouent au quotidien : j’en connais, tant au PCF, qu’au NPA

      à ceux là, mille excuses

      Mais ceux qui restent assis sur leur cul de chaise en se prétendant révolutionnaires

      salutations militantes

      Patrice

    • Les camarades du NPA qui se bougent au quotidien, ça n’a rien de rare, donc ton message reste insultant.

      Et même ceux (la grande majorité de la population) qui ne se bougent pas au quotidien, je n’ai aucune envie de les insulter comme tu le fais, mais au contraire de trouver la solution pour les amener à agir, à lutter, à militer...

    • quand le NPA et d’autres politiciens seront dans les quartiers populaires, à faire aussi du porte à porte, ça changera peut-être.

      Dommage Bardet, tu es insultant inutilement , par haine et par ignorance.

      Dans de nombreux quartiers populaires le NPA y est. Pas suffisamment, mais Il n’a pas besoin "d’y aller" .

      Dans le sud notamment.

      Il vaut mieux argumenter, c’est préférable.

  • Sans une "Gauche plurielle forte", c’est : 2ème tour des Présidentielles 2012, Sarkozy - Marine Le Pen !!! Et là, on fait quoi ??? comme en 2002 ???

    • Non ce n’ est pas tout ou rien !Il faut appeller a battre la droite et sarkozy tout en restant independant du ps et donc en ne participant pas au gouvernement ou aux executifs dans le contexte actuel C est ce que le pc avait fait en 36 en participant a battre la droite mais pas au gouvernement de front populaire. Il est possible pour les anticapitalistes de soutenir les mesures qui sont dans l interet des travailleurs et dénoncer celle qui vont dans le sens du liberalisme par exemple des privatisations ,ce que n a pas fait le pcf dans la gauche plurielle. Par ailleurs il faut l unité dans les mobilisations de toute la gauche sociale et politique car pour battre sarkozy aux elections il ne faut pas le laisser gagner sur le plan social ,lui infliger des defaites sociales des aujourdhui sans s en remettre a des lendemains electoraux bien hypothetiques !C est ce a quoi s emploie le npa dans les luttes poste, edf ,sans papiers, hopitaux et en essayant de mettre sur pied des listes unitaires anticapitalistes independantes du ps ! Relisez Daniel Bensaid !!!

  • Scénario gauche plurielle :

    1) Éliminer l’extreme gauche (le FdG sert à ça + quelques "amis" "radicaux")

    2) une fois liquidé ces témoins gênants et encombrants faire des primaires à gauche
    (objet des primaires à gauche : baiser ce qui restera de vaguement à gauche)

    3) les libéraux emporteront ces primaires à gauche après un score honorable de Mélenchon qui réclamera à cette fin quelques bons ministères

    4) faire le boulot de la bourgeoisie (comme d’habitude, comme dans les régions actuellement la gauche zunie ...).

    Démolir le scénario : construire un parti révolutionnaire indépendant des institutions et travaillant à reconstruire les organisations de masse et de classe de la classe populaire, pour faire reculer les patrons et la bourgeoisie.

    S’allier pour avancer sur ces points et seulement ces points.

    Toutes les défaites de ces dernières années sont venues de la faiblesse d’organisation du mouvement de masse et des nomenclaturas non redressables et incapables de faire leur boulot.

    La tâche est donc immense et les alliés ne sont pas ceux qu’on pense. Ce ne sont pas les petits partis PC et PdG du moins, pour leurs appareils qui se sont construits dans une alliance explicitement contre cette orientation et contre la mobilisation sociale en appelant à désertion pour les urnes dés le début 2009.

    Ce sont bien dans les communistes oppositionnels, LO, le NPA et des dizaines de milliers de militants que se trouve les alliés pour construire les outils qui repousseront la bourgeoisie.