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Harcelées par la police, quatorze personnes sont à la rue depuis trois semaines.

Publie le samedi 28 août 2004 par Open-Publishing

L’errance sans fin des expulsés de La Courneuve

de Damien ALBESSARD

C’est l’histoire d’une errance. Celle de quatorze personnes, dont deux enfants en bas âge. Ballottées pendant trois semaines de place en trottoir. De ville en gare. Sans même le droit de dormir en paix. Tout commence mercredi 4 août à l’aube. Sur ordre de la préfecture, la police expulse quatorze locataires, en majorité d’origine africaine, d’un petit immeuble vendu par la mairie à une entreprise qui a l’intention de rénover les appartements. On est au 11 de la rue Lénine à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), commune pourtant déclarée « zone hors expulsion » par Gilles Poux, son maire communiste.

Certains habitaient là depuis cinq ans. Du jour au lendemain, ils se retrouvent sur le trottoir. Ils décident alors de se rendre à la mairie pour trouver un hébergement. « Mais on n’obtient aucune réponse du maire ni du préfet », explique Edwige, responsable de Droit au logement (DAL). Qu’à cela ne tienne. Ils dormiront sur le parvis en attendant que ça s’arrange. « Et on pensait que ça allait s’arranger vite », avoue Denis, un jeune expulsé de 21 ans. Les militants du DAL apportent des duvets et une bâche de chantier à poser sur le sol ou à accrocher aux arbres en cas de pluie.

Encerclés. Le lendemain matin, la police arrive à 9 heures. Contrôle d’identité. « Le commissaire nous a prévenus que si on décidait de redormir ici, il nous promettait une nuit chaude et douloureuse », raconte Edwige. Les familles anticipent. Elles se rendent à 23 heures devant le commissariat. Où elles commencent à installer les duvets pour la nuit. Mais les policiers, d’abord perplexes, sortent en nombre. Le petit groupe est rapidement encerclé. Nouveau contrôle d’identité. Les familles sont priées de déguerpir. Elles partent alors s’installer sous un porche à quinze mètres de là. La police les laissera dormir tranquilles, mais reviendra à 15 h 30 le lendemain. Une première fois. Juste pour prévenir. « Ils nous ont dit qu’ils ne voulaient pas de nous dans la ville et qu’il fallait partir, raconte Amadou, 50 ans. Mais on ne savait pas où aller. Alors on est retournés devant la mairie. »

Tramway. Un quart d’heure plus tard, crissements de pneus. Des voitures de police. En nombre. Le commissaire leur ordonne de quitter les lieux, et, dans sa bonté, leur laisse le choix du moyen. RER ou tramway. Personne ne répond. Il décide : ce sera le tram. Et là, direction Bobigny ou Saint-Denis ? Ce sera Bobigny. « Mais comme on refuse de monter, ils nous jettent un par un à l’intérieur et attendent que le convoi s’en aille. » Station suivante, tout le monde descend. Mais la police les attend, les refoule de nouveau dans les rames. « A chaque arrêt, c’est le même cirque », explique Edwige.

Une demi-heure plus tard, les familles se retrouvent devant la préfecture du département, à Bobigny. Personne ne veut les rencontrer. Alors elles attendent, sur le parvis, que l’agent chargé de les surveiller s’en aille. C’est ce qu’il fait, à 19 heures précises. « Il nous a dit qu’il devait partir en week-end », raconte un militant du DAL. Les familles reprennent la route. Direction La Courneuve et le parc Jean-Moulin, derrière la mairie. Il est 20 heures. Dix minutes plus tard, des policiers passent en voiture banalisée, observent le groupe, repartent. Comme si de rien n’était. « Ils pensent être discrets mais on les remarque chaque fois », raconte Edwige. Les familles sortent leurs duvets, et s’endorment tranquillement.

Le lendemain se passe sans encombre. Mais dans la nuit de dimanche à lundi, à 3 heures, les jets d’eau se mettent en marche. Tout est trempé, les duvets, la bâche. La police revient à 9 heures. Nouveau contrôle d’identité. Les familles sont aussitôt emmenées de force à Aubervilliers. La police locale les repousse vers La Courneuve. Ils sont fatigués. « On décide alors de se disperser pour la journée », explique Edwige. Histoire d’aller se reposer chez un ami, un voisin ou un membre de sa famille. Avant de se retrouver, le soir, sur le parking de la mairie.

Balade escortée. Mardi 10 août, 2 heures. Alors que tout le monde dort, « une dizaine de voitures arrivent en trombe dans le parking. Pleins phares. Une trentaine d’agents fondent sur nous », témoigne Amadou. Nouveau contrôle d’identité. Et nouvelle balade escortée. Mais cette fois jusqu’à Drancy. A 5 kilomètres de là. A pied, en pleine nuit et avec deux enfants. Là, ils sont autorisés par la police drancéenne à « passer la nuit sur une pelouse près de l’hôpital Avicenne », raconte Denis. A 6 heures, le petit groupe décide de regagner une nouvelle fois la mairie de La Courneuve. Au soir, la police revient, les autorise à dormir sur place. Mais sans bâche, et les duvets réservés aux seuls enfants. Et obligation de partir à 8 h 30.

Depuis, la police est revenue toutes les nuits « entre 23 heures et minuit ». Les priant de quitter le parvis. Et enchaînant les contrôles d’identité. Mercredi 18 août, la sous-préfecture accepte de reloger la moitié. Mais pas les familles des enfants. Le lendemain, Gilles Poux accepte enfin de payer aux sept personnes encore sur le carreau des chambres dans un Etap Hotel d’Aubervilliers. Mais seulement pour quatre nuits. Le temps que les choses s’arrangent. Quatre nuits, c’est court. Et rien ne s’est arrangé. Ce matin, les familles ont repris leur quotidien sur le trottoir du parvis de l’hôtel de ville de La Courneuve...

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