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Hier, je suis mort. N°2

Publie le mardi 24 février 2009 par Open-Publishing

Michel MENGNEAU

Hier, je suis mort. N°2

Maintenant que j’étais paré d’atours bien comme il faut – à mon grand regret – je pouvais recevoir les gens sans passer pour un mort fantaisiste. Ma compagne ne s’est d’ailleurs pas privée pour en inviter une ribambelle.

Pour cela, aussitôt après mon habillage, elle fut prise d’une frénésie téléphonique. Le pauvre engin en a même surchauffé. D’abord, elle a prévenu mes enfants. Normal ! Puis invité la famille. Les amis. Les relations, etc., etc., etc. Tiens, me suis-je dit amusé ! : « Pour une fois, ce n’est pas toi qui va payer la note ». Et ça m’a surtout rassuré vu l’ampleur de la facture à venir. Et tout cela en mon honneur, étonnant, non ! Mais, soyons réaliste, comme j’apprécie beaucoup la solitude et le calme, c’était vraiment un jour sans.

Les enfants arrivèrent assez rapidement, les uns après les autres. En les voyant pénétrer dans ma chambre avec leurs mines tristes et morbides je ne les ai pas tous reconnus sur l’instant. Et aussi, chose étonnante, il ne me semblait pas en avoir eus autant. Sans doute doit-on perdre un peu la mémoire en vieillissant, ou alors, dans sa jeunesse on ne sait pas toujours ce que l’on fait !

Baiser d’adieu ; cérémonial un peu froid, n’est-ce pas. Puis ils se sont plantés, figés comme des cons au pied de mon lit. Ensuite pendant un quart d’heure au moins ils sont restés là à me regarder comme s’ils ne m’avaient jamais vu. Seuls, un sanglot, une petite larme, un rictus et quelquefois un geste inachevé dans ma direction trahissaient leurs émotions. Puis peu à peu ces signes de chagrin se sont estompés pour laisser apparaître sur leurs fronts les prémices d’une cogitation. Cogitation qu’ils allèrent finir ensemble dans le salon autour d’une tasse de café. Il m’aurait bien plu de connaître les fruits de ces réflexions. Eh, c’est quant même moi le principal intéressé dans cette affaire !

Cette porte de mon lieu de repos à peine close sur les vivants m’avait laissé, de longues minutes, perplexe… Pendant que je m’interrogeais sur mon avenir, elle se mit à grincer lentement. Un museau qui l’écarte, le bruit des griffes sur le parquet, deux pattes sur le bord du lit, et un grand coup de lèche sur le visage.

Etonnant, il est froid ? Tiens, il est étrangement fringué ? Ce n’est pourtant pas dans ces habitudes de porter un tel accoutrement ! Surtout que nous devions aller dans les marais, au soir, écouter le chant d’amour des chevreuils. A-t-il oublié ? Puis il a compris. Il s’est assis sur son postérieur et m’a regardé longuement, et là, j’ai vu dans son regard un vr

Mon compagnon canin ne fut pas le seul à s’inquiéter de mon état. Une petite boule de poils gris et blancs s’était glissée dans l’entrebâillement de la porte, et en trois bonds félins avait sauté sur mon lit. En frottant sa moustache à ma barbe naissante elle avait entamé une mélopée ronronnante. Ce qui l’a surpris, c’est que je ne la repousse pas d’un geste impatient. Elle a tourné ses yeux en amande vers son copain : qu’est-ce qu’il a ? Dans l’attitude de mon camarade elle a compris alors que je les avais abandonnés. Ensemble, ils ont quitté la pièce pour aller cacher leur chagrin dans un endroit isolé de la maison, dignement à l’écart du brouhaha des humains.

Occupée par ce va-et-vient incessant, ma compagne n’avait pas l’opportunité de se laisser aller à sa peine. Il lui fallait préparer le café, infuser le thé, servir un petit verre de vin à un voisin venu « rendre visite ». Et en même temps raconter un certain nombre de fois la même chose, afin d’expliquer comment j’étais mort. Il y eut aussi la mise en place d’une des coutumes de nos villages qui lui prit un bon moment.

Beaucoup d’habitants de nos campagnes reculées ne pouvant recevoir le journal, il était habituel d’envoyer une estafette pour propager cette sorte de nouvelle. Pas une fourgonnette d’une marque bien connue, mais un inactif de la commune à qui l’on déléguait cette triste mission. En l’occurrence chez nous, le préposé n’était pas l’idiot du village, certes, mais certainement pas le plus intelligent. Disons : un peu entamé, si vous voyez ce que je veux dire. Après lui avoir appris sa leçon, on précisait : « Tu y vas, soit, à pied, à vélo ou à la limite à mobylette, mais surtout pas en voiture ».

Ces recommandations à peu près assimilées, voilà notre messager parti à vélo porter de vive voix le funeste faire-part. Dès la première maison où il s’arrêta, en le voyant paré de sa plus belle tenue, on lui demanda aussitôt : « Qui c’est qu’est mort ? Rentre donc, tu vas nous expliquer. Tu boiras ben un p’tit coup ? ». A la deuxième, pareil. A la troisième…

Au milieu de l’après-midi, le vélo qui commençait à s’inquiéter des zigzags que lui imposait son pilote cherchait tant bien que mal à retrouver son indépendance. A la fin de la soirée, il gisait dans un fossé, et quelques mètres plus loin des ronflements prouvaient qu’il n’avait pas réussi totalement à échapper à son propriétaire ; dont la mission restait, dans ce cas là, parfois inachevée. Vous comprenez pourquoi il n’était point souhaitable qu’il se déplaçât en voiture !