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Il Manifesto : un article récent de Giuliana Sgrena

Publie le samedi 5 février 2005 par Open-Publishing

Mithal : je ne vote pas pour ces gens corrompus

Torturée en prison : les candidats sont ceux qui n’ont rien fait pour le peuple. Et ils sont responsables des sévices de Abu Ghraib comme les américains.

de GIULIANA SGRENA ENVOYEE A BAGDAD Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

La maison de Mithal est barricadée, les grilles fermées avec une chaîne en fer. Elle a du déménager chez son fils, dans un immeuble voisin, parce qu’elle n’avait plus d’argent pour payer son loyer. Sa mésaventure a commencé le 28 février de l’année dernière, quand les américains l’ont traînée dehors en pleine nuit, avec son fils Jasem, et lui ont soutiré 7 millions de dinars (plus de quatre mille dollars) qu’elle avait obtenus de la vente de deux voitures, et qui devaient servir à payer des dettes accumulées avec son commerce. Son fils ayant trouvé du travail dans un restaurant, elle avait loué son magasin mais ensuite le locataire avait été arrêté et depuis le petit local était fermé. Mieux. Un voisin qui travaille pour les américains et, assure-t-elle, pour le Mossad aussi, a essayé de le lui prendre mais sans y arriver. Et comment aurait-il pu le faire ?

« Ici, il n’existe plus de loi ; souvent les américains arrivent, s’installent dans un appartement, pour des motifs de sécurité, disent-ils, et ensuite quand ils partent, au lieu de le restituer aux propriétaires légitimes ils le cèdent à d’autres, qui seraient désignés par le ministère de l’intérieur ». En tout cas, elle, pour survivre et entretenir ses trois filles dans leurs études (deux à l’université et une au lycée), son ex-mari étant parti en Libye après le divorce en les abandonnant ; elle a été obligée de vendre l’or de sa dot et d’autres valeurs. Mais elle ne se laisse pas accabler. Elle a réagi avec beaucoup de fierté même aux tortures subies à Abu Ghraib : quand elle est sortie, après quatre vingt jours d’horreurs, elle a dénoncé les sévices qu’elle avait subis, sans céder aux chantages d’une société qui impose aux femmes victimes de violences de se cacher.

Etes-vous arrivée à obtenir quelque dédommagement ?

J’ai d’abord présenté ma requête au ministère de la justice qui l’a passée à celui de l’intérieur, puis à celui des affaires étrangères, à l’ambassade américaine et finalement elle devrait être arrivée à l’ONU, mais moi je n’ai eu aucune réponse.

Et les américains ne sont plus revenus ?

Chez moi, non, mais j’ai toujours peur parce qu’ils continuent à arrêter des voisins, des femmes même. Il y a deux semaines ils ont emmené la femme d’un ex-officier et on ne sait pas où elle est. On a arrêtés plusieurs étudiants et même un vieux qui n’y voit plus et n’entend plus, qui avait été un collaborateur du président Ahmed Hassan al Baker. Moi, en tout cas, je garde toujours mes vêtements prêts sur une chaise à côté du lit, dans le cas où ils arriveraient en pleine nuit comme l’autre fois.

Que pense des élections une femme qui d’abord a subi la répression de Saddam Hussein puis les tortures des américains ?

Je ne crois pas dans ces élections, mais s’il y a des chantages, j’irai voter et je mettrai un bulletin blanc dans l’urne. Des rumeurs circulent disant qu’on te donne un Id (certificat de reconnaissance) qui peut servir quand tu t’adresses à une institution publique. Mais s’il n’y a pas de menaces je n’irai pas voter.

La défiance est-elle dans la façon dont se présentent ces élections ou dans les candidats ?

Les gouvernants qui veulent être élus sont les mêmes que ceux qui n’ont rien fait jusqu’à présent : il manque l’électricité (pendant notre entretien aussi, NDR), l’eau, l’essence et même la nourriture. Ils ont gouverné pendant deux ans avec les américains qui m’ont torturée, comment pourrais-je voter pour eux ?

Il y a des candidats qui promettent de demander le départ des troupes étrangères...

Personne ne demandera aux américains de partir, ce ne sont que des slogans.

Vous, qui êtes chiite, vous n‘avez même pas confiance dans l’ayatollah al Sistani ?

Sistani quand il était malade est allé à Londres sous la protection des américains, et puis ça n’est pas Sistani mais al Hakim, le candidat.

Alors, dans cette situation, pour chasser les américains il faut soutenir la résistance.

La résistance n’est pas une solution parce qu’elle tue des innocents. Moi je me sens otage du gouvernement et des américains d’un côté et de la résistance de l’autre.

Vous ne faites pas de différence, vous, entre résistance et terrorisme ?

Moi je suis contre tous ceux qui tirent, et puis ils sont tous soutenus par les pays voisins.

La solution ?

L’Irak a besoin d’un leader démocratique qui n’ait pas les mains salies de sang, qui n’ait pas la tentation de l’argent. Ici, tout le monde est corrompu ou corruptible : pour passer des informations aux américains, on te donne 200 dollars et beaucoup le font en dénonçant souvent des choses fausses comme on l’a fait pour moi.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

http://www.ilmanifesto.it/pag/sgrena/art_20050130_2_fr.html

Aujourd’hui manif à 18 heures devant le Capitole ,à Rome.pour la libération de Giuliana Sgrena