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Il est en train de se passer quelque chose en Allemagne

Publie le jeudi 21 juillet 2005 par Open-Publishing
6 commentaires

de Etienne Chouard

Emmanuelle, française expatriée, m’a envoyé cet intéressant message :

Bonjour,

Il est en train de se passer quelque chose en Allemagne. Les allemands n’ont pas eu droit à un référendum sur la constitution européenne. En revanche, ils vont vraisemblablement aller aux urnes avec un an d’avance. Et un nouveau parti dans le paysage politique !

Parce que le temps jusqu’aux élections du 18 septembre est très court, le (lui aussi nouveau) parti WASG - Wahlalternative für Arbeit und Sozial-Gerechtigkeit (en français "alternative électorale pour le travail et la justice sociale") et le rejeton de l’ancien parti communiste de l’Allemagne de l’Est encore bien implanté dans l’ex-RDA, le PDS, se mettent ensemble pour réunir les forces de gauche représentant une alternative au néo-libéralisme.

Les deux partis se sont regroupés le week-end dernier dans une alliance portant le nom de Parti de Gauche. Ses leaders sont côté WASG Oskar Lafontaine et côté PDS Gregor Gysi.

Leur programme est un programme sortant de la pensée unique : retraite minimum pour tous de 800 EUR, salaire minimum pour tous de 1500 EUR (il n’existe pas de salaire minimum en Allemagne), relance de l’économie par la création d’emplois par l’état, allocations familiales minimum de 250 EUR par enfant, assurance citoyenne dans laquelle les revenus des actions seraient aussi mis à contribution, mise en place d’un impôt sur les grandes fortunes, etc.

Ce parti est crédité pour l’instant de 11 % des intentions de vote, ce qui en ferait le 3e parti allemand. Dans les Länder de l’ex-RDA, il est même au-delà de 30 %, soit au-dessus du CDU (démocrate chrétien). Il monte dans les sondages, il ramènerait même des abstentionnistes aux urnes et de plus en plus de gens s’imaginent pouvoir voter pour lui. Pour l’instant, ce parti fait peur aux partis traditionnels et il est victime côté médias et élites politiques de la même chose que le NON en France : on ne parle pas beaucoup du fond, juste de la forme. Il y a de cela quelques semaines, les journaux se préoccupaient du nom qu’allait prendre cette nouvelle alliance et des difficultés qu’il allait y avoir à la réaliser des deux côtés.

Le problème est maintenant résolu : les délégués des deux partis (WASG et PDS) ont voté à plus de 75 % pour partir ensemble en campagne électorale. Oskar Lafontaine est critiqué, taxé de "populiste" et montré du doigt comme chassant des voix du côté de l’extrême droite par la classe politique traditionnelle parce qu’il a dit qu’il ne trouvait pas normal que les salariés allemands perdent leurs emplois du fait de la délocalisation ou de l’arrivée sur le marché du travail d’étrangers sous-payés (vous savez : le plombier polonais).

Pas grand-chose pour l’instant dans les médias sur le programme du Parti de Gauche, si ce n’est pour le fustiger en disant qu’il s’agit d’un retour en arrière et de propositions démagogiques. Et pour cause ! Relance de l’économie par la création d’emplois financés par l’état, imposition de tous les revenus, y compris ceux du capital, création d’une "sécurité sociale citoyenne" où chacun participerait en pourcentage de ses revenus, id. pour le système des retraites, représentent une politique en rupture avec le néo-libéralisme ambiant, avec la possibilité d’avoir un vrai débat sur les choix de société, ce dont les partis traditionnels ne semblent pas vouloir.

En France, on ne parle pas ou très peu du Parti de Gauche. Je viens de trouver un article en anglais disant que d’après des journalistes allemands (bien-pensants, cela va de soi), ce parti était un parti dangereux, populiste et démago. Étant donné que ce qui est ou va être véhiculé dans les médias français sera ce que les médias allemands diront de leur campagne, il existe un gros risque qu’en France, on n’en sache pas plus sur ce nouveau parti que l’on a véritablement lu en Allemagne les raisons pour lesquelles les français ont voté NON.

Comme ce sont cependant les mêmes raisons qui ont mis le NON à 55 % en France et qui font du Parti de Gauche le parti qui monte, je voulais attirer l’attention là-dessus : il y a un truc qui est en train de se passer de l’autre côté du Rhin, une remise en cause du néo-libéralisme au niveau politique qui pourrait faire de grosses vagues. Et M. Lafontaine n’est pas plus populiste que MM. Mélenchon ou Emmanuelli. Mais évidemment, dans la pensée dogmatique ambiante des faiseurs d’opinion, ils ont profondément tort. À suivre.

Emmanuelle

Liens en français :

Un article du Monde du 18/07/2005 sur le sujet :

http://www.lemonde.fr/web/article/0...

et http://www2.dw-world.de/french/pres...

Sites en allemand : http://www.linkspartei.info/

et http://www.w-asg.de/

Articles en allemand :

http://www.spiegel.de/politik/deuts...

http://focus.msn.de/hps/fol/newsaus...

http://www.zeit.de/2005/29/linksalt...

L’article en anglais dont je parle (traduit d’un article allemand paru dans Die Zeit) : http://www.signandsight.com/feature...

Question française : nos vieux partis sont-ils capables de défendre ardemment une réforme institutionnelle profonde ou faudra-t-il, chez nous aussi, faire émerger de nouvelles forces politiques ?

Autrement dit : le néolibéralisme (accepté aujourd’hui par les vieux partis du centre, à gauche comme à droite) est-il compatible avec une authentique démocratie ?

Est-il nécessaire, avant de réformer les institutions, de disposer d’un parti qui résiste vraiment à cette doctrine économique ? Ou bien faut-il d’abord rétablir des institutions démocratiques pour permettre un changement de cap économique, éventuellement d’initiative populaire ?

Les deux problèmes, économique et politique, sont sans doute liés, mais je ne sais pas si l’un doit trouver sa solution avant l’autre.

E. Chouard.

Messages

  • Bonjour,

    L’article ci-dessus a été posté hier, pour lire les premiers commentaires, voir ici : http://bellaciao.org/fr/?page=article&id_article=17328

    Laure.

  • D’autant plus que s’est ouvert aujourd’hui un forum social en Allemagne qui regroupent des syndicats, et des associations altermondialistes. De quoi alimenter plus encore une possible alternative aux politiques néolibérales menées en Allemagne. C’est vrai que ça donnerait un coup de fouet à l’athonie française, liée en grande partie à la toujours omniprésente propagande des médias qui se gardent bien de rapporter ce qui se passe en dehors du périphérique parisien. De toute façon, ça ne m’étonne pas ce qui se déroule chez nos cousins germaniques. Lors dun meeting des partisans du non à Lyon, un membre d’attac allemagne était venu apporter son soutien et témoigner que chez lui ses concitoyens réclamaient également un débat contradictoire sur le sujet. Si d’aventure ces forces comme les idées qui les animent pouvaient travailler de concert, ça bousculerait tous les pronostics selon lesquels les conservateurs de dame Angela sont déjà considérés vainqueurs d’un scrutin qui n’a pas eu lieu. Les jeux sont loin d’être faits. Amitiés.

  • Le néolibéralisme n’est pas compatible avec une authentique démocratie, c’est pourquoi il la modèle et l’instrumentalise, et on a des fausses démocraties. Il faut en finir avec le néolibéralisme et les néolibéraux. Si je ne me trompe c’est Oskar Lafontaine qui a été viré du gouvernement, après qu’il ait envisagé une harmonisation des salaires et des charges sociales au niveau européen ?

    • Non. Oskar Lafontaine a quitté ses responsabilités au SPD et son ministère, la « mauvaise équipe » a-t-il dit. Il n’était pas d’accord avec la politique des taux pratiquée par la banque allemande et ensuite avec la politique fiscale du gouvernement. En politique internationale, il est de longue date sur plusieurs questions en désaccord avec le SPD. Il est contre le réarmement, contre le nucléaire, pour la sortie de l’Allemagne de l’OTAN, contre l’intervetion en Bosnie au profit de solutions pacifiques, avant la chute du mur, il est pour le rapprochement avec la RDA et des
      relations normales de pays à pays, après la chute, il craint le nationalisme, et pense que les transferts de capitaux vers l’Est ruinent les investissements publics. Au cours de sa carrière il a montré un intérêt social rare chez les sociaux-démocrates, notamment dans son Land, la Saar au moment de l’effondrement de la sidérurgie.

      Virer les néo-libéraux n’est pas un problème aujourd’hui en France, et à court terme en Allemagne. Le problème est de proposer un nouveau modèle politique. C’est une immense attente. Si c’est crédible, décidé, cohérent, si cela prend en compte les aspirations et les besoins populaires (et si le populaire pousse aux fesses !) cela bousculera tout. Nous en somme capables.

      Sinon, changer le personnel ne changera rien.

      Helge

      PS : J’ai mis très longtemps à apprécier Oskar Lafontaine qui m’a toujours semblé être un « mauvais comédien ». Je pensais que son départ du gouvernement était une manière de se mettre au vert, comme Chirac l’a fait en 1976. Mais avec le temps, à force de le voir du bon côté dans les conflits sociaux, mon regard sur lui change. Et du moment que ça bouge en bas, je n’ai aucune raison de ne pas lui faire confiance. Et tout cas, la formation du "Parti de Gauche" et l’union avec son mouvement permet avec raison d’espérer que Merkel et la CDU peuvent être battues en septembre. Comme le dit ironiquement le journal de ce matin ; Pourquoi la truie mécontente de sa ferme irait-elle se réfugier chez le boucher ?

      On peut aujourd’hui voter utile à gauche en Allemagne, et cela on le doit en grande partie à Oskar Lafontaine.

      Helge

    • Tiens tiens... Helge...

      N’étais-ce pas toi qui me disait il n’y a pas longtemps que nous n’avions pas besoin de "figures" à qui nous référer en politique ?

      Je suis ravie de voir que tu sembles avoir changé d’avis, car hélas... si nous n’utilisons pas l’appareil politique existant ou tout du moins ses mécanismes pour y placer ceux et celles qui portent nos aspirations, je ne vois pas trop comment nous nous en sortirons, en l’état actuel des choses.

      Les mouvements citoyens et collectifs divers ont plus que leur utilité... je ne reviens pas là-dessus, mais tant que la démocratie participative ou quelque chose s’en approchant de très très près n’existe pas efficacement... il est dangeureux de prétendre que les citoyens parviendront à imposer quoi que ce soit... (à moins bien entendu d’une organisation cohérente, massive... qui fasse le (contre)poids et devienne à terme un interlocuteur crédible.)

      Et dans ce cas là... au lieu de tout bazarder... il vaut peut-être mieux penser pour le moment à récupérer, changer et contrôler ces "institutions politiques" (partis, syndicats...) pour qu’elles soient enfin les représentantes réelles des populations, non ?

      Laure.

  • Bravo et félicitations à nos amis allemands pour le bébé et surtout prenons en de la graine !
    A suivre... de très près.