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"Il y a une contradiction entre l’affichage social du gouvernement et les mesures concrètes prises"
Publie le jeudi 9 décembre 2004 par Open-PublishingPropos recueillis par Rémi Barroux
Bernard Thibault est secrétaire général de la CGT. Le dirigeant syndical est prêt à discuter du "contrat de travail intermédiaire" proposé par M. Borloo.
Le ministre de l’emploi, Jean-Louis Borloo, vient de proposer la création d’un "contrat de travail intermédiaire" pour les salariés victimes d’un licenciement économique, et reprend l’expression de "sécurité sociale professionnelle" chère à la CGT.
Êtes-vous satisfait ?
Nous pouvons certes nous satisfaire qu’un rapport propose de réfléchir sur les relations du travail et reprenne un intitulé s’inspirant de la revendication mise en avant par la CGT. Ce n’est pas banal. Mais ce n’est pas parce que l’on reprend l’intitulé ou l’objectif que nous sommes d’accord sur ce que l’on met derrière. Notre approche d’une "sécurité sociale professionnelle" ne se résume pas au droit dont chaque salarié pourrait bénéficier lorsqu’il est licencié économique. Il existe une dimension qui n’est pas abordée, la reconnaissance pour le salarié du droit d’intervenir sur la marche même de son entreprise. Le traitement du chômage c’est une chose, le bien-fondé des licenciements en est une autre.
Comptez-vous discuter avec M. Borloo de son nouveau contrat pour les licenciés ?
Nous sommes demandeurs de discussions, voire de négociations sérieuses. Il faut que l’on en sache davantage sur ces réformes à venir du gouvernement, annoncées sous couvert d’une appellation faite pour nous séduire. Si ce contrat a comme conséquence de faire de la précarité la norme - qui doit rester, comme dans toute l’Europe, le contrat à durée indéterminée -, nous n’y serons pas favorables. Si cela vise à empêcher une rupture sociale par la perte d’emploi, nous pouvons alors discuter. Mais nous restons opposés à la tendance qui veut faire supporter à la collectivité - nationale ou locale - les responsabilités qui sont celles des employeurs.
Pensez-vous qu’il soit possible de combiner plus de flexibilité de l’emploi et plus de sécurité pour le salarié ?
Je conteste radicalement l’image d’un droit du travail français trop rigide parce que trop protecteur pour le salarié. Les employeurs bénéficient d’une souplesse importante pour recruter et réduire leurs effectifs. Les trois quarts des embauches se font sur des contrats à durée déterminée ou à temps partiel. Nous sommes le seul pays européen à avoir un tel taux. Que l’on ne raconte pas d’histoires ! Les employeurs dans les petites entreprises peuvent licencier en vingt-quatre heures, sans difficulté majeure. Les entreprises de moins de 50 employés, sans comité d’entreprise, emploient 53 % des salariés. Ce qui représente des dizaines de milliers de licenciements pour lesquels les salariés n’ont pratique- ment aucune protection.
Vous n’êtes donc pas convaincu par la politique sociale du gouvernement incarnée par le projet de cohésion sociale de M. Borloo ?
Au moment où l’on nous propose de discuter de ce nouveau droit, le gouvernement et les députés de la majorité réduisent les voies de recours des salariés dans les procédures de licenciement.
Mais la justice se prononce en faveur de la réintégration de salariés plusieurs années après leur licenciement, dans des entreprises qui, parfois, ont disparu...
Nous sommes les premiers à regretter le délai de certaines pro- cédures. D’ailleurs, la CGT va lancer une grande campagne à propos des tribunaux de prud’hommes. Car le gouvernement vient de diminuer leurs moyens, ce qui aura pour conséquence d’allonger encore les délais. Nous sommes donc favorables à un raccourcissement des procédures, mais il ne doit pas se faire au détriment des droits des salariés.
Que pensez-vous des propositions du gouvernement sur les 35 heures ?
La méthode demeure scandaleuse. Quand la CGT a rencontré le premier ministre sur son plan d’action pour 2005, le 12 octobre dernier, j’avais posé clairement la question de savoir si on découvrirait par voie de presse les dispositions arrêtées. M. Raffarin avait alors pris l’engagement que le gouvernement rencontrerait les syndicats, avant toute annonce publique. Je m’aperçois qu’une fois de plus nous allons découvrir jeudi, à l’occasion de sa conférence de presse, les arbitrages du gouvernement. Quand on met bout à bout les mesures portant sur l’augmentation du contingent d’heures supplémentaires, l’extension du recours au compte épargne-temps, la confirmation de la disparition d’un jour férié - un jour volé aux salariés -, cela nous ramène aux 39 heures, voire aux 40 heures. Dans tous les domaines, il y a une contradiction entre l’affichage social du gouvernement et les mesures concrètes prises.
Pourquoi, face à ces mesures, les syndicats ne mobilisent-ils pas vraiment ?
Il est vrai que nous vivons une certaine atonie, une absence d’initiatives syndicales coordonnées. Je suis le premier à regretter cette situation. Dans les branches, nous arrivons à mobiliser souvent unitairement, mais au niveau interprofessionnel cela reste l’éparpillement, la division. Nous essayons d’y remédier. Mais notre trop faible présence, voire notre absence, dans certaines professions, dans certains bassins d’emplois, nous handicape. Pour cela, nous lancerons à partir du 13 janvier 2005 une grande campagne de syndicalisation à la CGT.
Propos recueillis par Rémi Barroux
Cohésion sociale : le projet de loi voté à l’Assemblée
Les députés ont adopté, mardi 7 décembre en première lecture, le projet de loi de cohésion sociale, couvrant à la fois l’emploi, le logement et l’égalité des chances. L’UMP et l’UDF ont voté pour, le PS et le PCF ont voté contre. Déjà voté par le Sénat en première lecture, ce texte devait faire l’objet d’une commission mixte paritaire (7 députés, 7 sénateurs) mercredi 8 décembre à l’Assemblée. Parmi les mesures phares du volet emploi figurent la création d’un "contrat d’avenir" destiné aux bénéficiaires de minima sociaux, la réforme de l’apprentissage et la fin du monopole de l’ANPE en matière de placement. Concernant le logement, le texte prévoit la construction de 500 000 logements locatifs sociaux entre 2005 et 2009.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-390072,0.html