Gaza : Le Plan Trump, une Paix par la Force sous l’Ombre du Sionisme Chrétien

17 octobre 2025 Mounir Kilani

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Sous couvert d’un plan de paix, Donald Trump tisse une stratégie d’influence où se mêlent intérêts électoraux, alliances évangéliques et calculs géopolitiques. Derrière la trêve de Gaza, se joue peut-être bien plus qu’un cessez-le-feu : une recomposition du Moyen-Orient sous tutelle idéologique.

Le « plan Trump » du 9 octobre 2025 instaure une trêve précaire à Gaza, prévoyant la libération d’otages, l’acheminement de l’aide humanitaire et un retrait partiel de l’armée israélienne. Mais ce « château de sable » résistera-t-il aux tempêtes ?

Miné par l’influence des donateurs sionistes, les manœuvres de Trump pour sauver Netanyahou et les provocations de Charm el-Cheikh, ce plan – hanté par les échecs d’Oslo et de 2014 – risque de n’être qu’un énième mirage géopolitique.

Au-delà de ces fragilités, une analyse approfondie s’impose. Pour en évaluer les chances de succès ou les risques d’échec, il convient d’examiner cette initiative à l’aune des dynamiques régionales, des perspectives de chaque acteur et des principes intangibles du droit international.

Le Contexte : Une Trêve Ambitieuse mais Précaire

Après deux ans de guerre dévastatrice – plus de 67 000 morts palestiniens, des dizaines de milliers de blessés, une Gaza en ruines –, le plan en 20 points de Trump, annoncé fin septembre, promet la création d’une « zone déradicalisée et sans terrorisme ».

La phase 1, effective depuis le 10 octobre, comprend :

La libération des otages israéliens vivants (dont 20 le 13 octobre, ainsi que des dépouilles) ;
L’échange de 2 000 prisonniers palestiniens, dont 250 condamnés à perpétuité, ainsi que tous les enfants et les femmes ;
Un retrait partiel de l’armée israélienne (53 % de Gaza restant occupé) ;
Une aide humanitaire sans restrictions et la réouverture du poste-frontière de Rafah ;
La mise en place d’un « Board of Peace », présidé par Trump, supervisant le processus avec un comité transitoire de technocrates palestiniens pour l’administration intérimaire de Gaza ;
Le déploiement prévu d’une force de sécurité arabe internationale, sous l’égide de l’ONU, assorti d’une amnistie pour les membres du Hamas optant pour la paix ou l’exil, et d’un programme de reconstruction sans expulsion forcée.

Un sommet arabe tenu le 13 octobre a accéléré le lancement de la phase 2, qui prévoit un retrait total israélien, le déploiement des forces arabes et des négociations sur la gouvernance. 
Trump, qui rêvait du Nobel, s’est vu offrir une consolation égyptienne : « l’Ordre du Nil », pour une trêve aussi précaire que symbolique. La récompense fleuve pour une paix qui ne coule pas encore de source.

Malgré ces avancées, les failles du plan demeurent béantes : le désarmement du Hamas reste flou, Israël bloque partiellement le passage de Rafah, et les tensions internes menacent sa pérennité. Le rejet du désarmement par le Hamas et les critiques de l’Autorité palestinienne sur l’absence de garanties pour une souveraineté pleine soulignent l’ampleur des défis.

Une Alliance Occulte : Évangéliques, Sionistes et l’Ombre de Miriam Adelson

Pour bien comprendre cette stratégie, il convient d’examiner un levier d’influence puissant mais peu médiatisé : l’alliance entre les évangéliques américains et les sionistes. Forts de 62 millions de membres (Pew Research Center), les évangéliques constituent un socle électoral clé pour Donald Trump. Leur soutien à Israël, fondé sur une lecture littérale de la Bible, perçoit dans l’État hébreu l’accomplissement de prophéties apocalyptiques, où le retour des Juifs en Terre promise annoncerait la Fin des Temps. Des figures comme John Hagee (CUFI) ou Mike Pompeo défendent ainsi un « Grand Israël », incluant la Cisjordanie, qu’ils nomment « Terre sainte ».

Cette alliance, loin de faire l’unanimité, provoque de vives résistances. Sa vision est contestée par des voix israéliennes, notamment au sein de l’opposition à la Knesset, ainsi que par des analystes palestiniens. Ces critiques dénoncent une ingérence nuisible au processus de paix et appellent à une approche respectueuse du droit international.

Cette opposition repose sur un paradoxe juridique ignoré par le plan Trump. La Palestine, reconnue par une majorité d’États et dotée du statut d’observateur à l’ONU, dispose du droit inhérent à la légitime défense. La « paix par la force » promue par Washington entre ainsi en conflit direct avec le droit international, opposant la logique unilatérale de la force à celle du droit.

Les résolutions de l’ONU, notamment les résolutions 242 (1967) exigeant le retrait israélien des territoires occupés, et 2334 (2016) condamnant la colonisation, illustrent cette tension et rappellent la nécessité d’une solution négociée.

L’influence évangélique trouve ses racines au XIXᵉ siècle. Dans « Occident & Islam », Youssef Hindi*, rappelle que ce sionisme chrétien, incarné par William Blackstone, précéderait le sionisme juif de Herzl. Cette mouvance trouve un écho contemporain en Miriam Adelson, donatrice majeure de Trump (100 millions de dollars en 2024), présente à la Knesset le 13 octobre. Celle que Trump décrit comme aimant « Israël, peut-être même plus que l’Amérique » aurait joué un rôle clé dans la libération des otages.

Une influence si directe ne manque pas de susciter la controverse. Sur les réseaux sociaux, des utilisateurs dénoncent une diplomatie biaisée, tandis que l’opposition israélienne réclame une prise en compte des aspirations palestiniennes.

Au-delà de la polémique, cette situation révèle une inquiétante privatisation de la diplomatie. Les Adelson, piliers du lobbying pro-israélien, ont pesé sur des décisions majeures : transfert de l’ambassade à Jérusalem (2018), reconnaissance du Golan israélien (2019). Sur les réseaux, nombreuses sont les voix qui dénoncent un « gouvernement par donateurs », accusant Trump de sacrifier l’équité au profit d’intérêts privés.

Trump et Netanyahu : Un Duel de Duplicité et une Grâce Controversée

Les tensions entre Trump et Netanyahou révèlent un double jeu. Sous la pression de sa coalition ultranationaliste, le Premier ministre israélien maintient une présence militaire à Gaza et restreint l’accès à Rafah, contredisant l’esprit de l’accord. Tandis qu’il insiste sur la nécessité d’« écraser le Hamas », le plan prône plutôt la déradicalisation. De son côté, Trump présente une « victoire » à sa base évangélique, mais ses délais stricts semblent davantage dictés par des impératifs électoraux que par une réelle stratégie.

Cette ambiguïté se reflète dans les positions divergentes des autres acteurs. Tandis que le Hamas et les factions qui lui sont affiliées rejettent catégoriquement toute perspective de désarmement, l’Autorité palestinienne, gardienne autoproclamée de la légitimité nationale mais discréditée pour avoir présidé justement à l’échec des accords d’Oslo, dénonce avec une certaine audace l’absence de garanties pour une souveraineté pleine et entière. Il fallait oser : celle qui a cautionné des processus ayant conduit à l’expansion coloniale s’érige aujourd’hui en garante de l’intégrité territoriale.

La duplicité a trouvé son point d’orgue dans une ingérence aussi spectaculaire qu’inédite : lors de son discours à la Knesset, Trump s’est mué en avocat improvisé, exhortant avec un sans-gêne remarquable le président Herzog à gracier Netanyahou, pourtant poursuivi pour corruption. Sa déclaration – « Cigares et champagne... qui s’en soucie ? » – a provoqué un curieux mélange d’applaudissements nourris et d’indignations prévisibles. L’ancien Premier ministre Ehud Olmert, qui connaît peut-être trop bien les rouages du pouvoir pour en sourire, n’a pas mâché ses mots, qualifiant la scène de « scandale » – un mot qui, dans la bouche d’un ancien chef de gouvernement, prend une résonance particulièrement savoureuse.

Cette intervention a exacerbé les fractures israéliennes. L’opposition a dénoncé une ingérence flagrante, tandis que les partisans de Netanyahou y ont vu un soutien stratégique.

Cette manœuvre, qui vise à préserver un allié essentiel pour la phase 2 du plan, risque d’envenimer les tensions internes. La complexité du dossier est encore accrue par les divisions palestiniennes et par la posture défensive de l’Iran, qui revendique une stabilité régionale que les sanctions occidentales lui refusent. Téhéran, à travers son réseau d’influence, cherche moins à faire basculer l’équilibre qu’à garantir sa propre sécurité dans un environnement qu’il perçoit comme hostile. Dans ce contexte explosif, un simple incident – une roquette tirée de Gaza ou une frappe israélienne « préventive » – pourrait, en dépit des intentions iraniennes, précipiter la région dans un nouveau cycle de violence. Acteur désormais incontournable, l’Iran rappelle qu’aucune solution durable ne pourra faire l’économie de la reconnaissance de ses intérêts sécuritaires.

Une Paix par la Force : Leçons d’Oslo, de 2014 et du Sommet de Charm el-Cheikh

Le cœur du plan repose sur une paix imposée, via une force arabe internationale soutenue par l’ONU pour sécuriser Gaza. L’histoire régionale en révèle pourtant les limites : les accords d’Oslo (1993) ont échoué face à l’expansion coloniale et au déni de souveraineté palestinienne, tandis que le cessez-le-feu de 2014, après l’opération « Bordure protectrice », n’a résisté que quelques mois au blocus et aux provocations.

Ce constat se vérifie avec les exemples récents. Le cessez-le-feu de 2021, négocié après onze jours de combats, n’a pas abordé les causes profondes du conflit. Celui de 2023, bien que temporairement stabilisateur, s’est effondré face aux provocations mutuelles et à l’absence d’avancées politiques.

À Charm el-Cheikh, le 13 octobre, Trump a offert une mémorable leçon de diplomatie... à sa manière. Ignorant superbement les enseignements du passé, il a magistralement alterné entre flatteries grossières et provocations calculées. Tour à tour, il encensait Erdogan, le qualifiant de « dur à cuire » avec l’admiration d’un fan, puis s’acharnait sur Macron avec un sens aigu de la mise en scène. D’abord reprochant au président français de « regarder depuis les gradins », il a surenchéri lorsque ce dernier a décliné son invitation à monter sur scène, lançant avec une feinte perplexité : « Emmanuel, toi, le roi de l’Europe, assis comme un spectateur lambda ? C’est comme Napoléon dans un café !  » Une performance qui, il faut le reconnaître, avait au moins le mérite de la cohérence : celle d’un spectacle permanent où la subtilité n’est clairement pas invitée.

Cette approche hégémonique rappelle les écueils des interventions passées. En Irak et en Afghanistan, la primauté de la force a engendré le chaos. À Gaza, le Hamas refuse de céder son influence et Israël maintient son contrôle militaire, contredisant l’esprit du plan.

In fine, sans une négociation inclusive, cette paix trumpienne n’est qu’une chimère. Gaza, meurtrie par des décennies de conflit, ne saurait se contenter d’une trêve dictée par des donateurs et des provocations calculées. Trump y joue sa grandeur, Netanyahou son impunité, mais sans accord négocié, ce plan restera un mirage de plus.

Seule une paix véritablement négociée, impliquant toutes les parties prenantes dans un cadre multilatéral respectueux du droit international et des aspirations des populations, pourrait enfin briser ce cycle de violence

 *Youssef Hindi est un essayiste et historien français contemporain, né en 1985

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